Théodore Géricault, Pity the Sorrows of a Poor Old Man! Whose Trembling Limbs Have Borne Him to Your Door, from Various Subjects Drawn from Life and on Stone, also known as the English Series, 1821. Lithograph. Yale University Art Gallery, Gift of Charles Y. Lazarus, B.A. 1936
Alors que je terminais la rédaction d’un article sur les mille et une façons d’être, j’ai pris le temps de parcourir le livre de l’historienne de l’art Linda Nochlin, intitulé Misère (2018). Les artistes qui contemplent la misère du monde et trop souvent la vivent savent brosser des tableaux poignants et se servent parfois de la satire pour décrire la société rendue insensible. Dans le cadre du vieux débat sur les choix économiques résonnent les paroles d’Eugène Buret :
“A côté du grand phénomène de l'accroissement des richesses, il est, chez les nations les plus avancées en civilisation et en richesse, un autre phénomène, bien aussi digne que le premier, d'appeler l'attention des économistes, et qu'ils ont tous plus ou moins négligé ; nous voulons parler du phénomène de la misère. Et cependant l'étude de la misère , s'il est vrai que la misère existe , s'il est vrai surtout qu'elle marche du même pas que la richesse, qu'elle se développe sous l'influence des mêmes causes, qu'elle en soit le contre-poids , la compensation fatale, l'étude de la misère n'est-elle pas une partie intégrante et nécessaire de l'économie politique ou sociale, ou de la physiologie de la société, comme on voudra l'appeler? Nous ne croyons pas faire un jeu de mots en disant, qu'en regard du tableau de la richesse des nations, il faut placer aussi le tableau de la misère des nations” (De la Misère des classes laborieuses en Angleterre et en France : de la nature de la misère, de son existence, de ses effets, de ses causes, et de l'insuffisance des remèdes qu'on lui a opposés jusqu'ici, avec les moyens propres à en affranchir les sociétés, 1840, p.13)
La misère, "...c'est le dénûment, la souffrance et l'humiliation qui résultent de privations forcées, à côté du sentiment d'un bien-être légitime, que l'on voit tout le monde se donner à peu de frais , ou que l'on s'est longtemps donné à soi-même” (ibid. p.112)
“...c'est la pauvreté moralement sentie. Il ne suffit pas que la sensibilité physique soit blessée par la souffrance, pour que nous reconnaissions la présence du fléau : il intéresse dans l'homme quelque chose de plus noble , de plus sensible encore que la peau et la chair ; ses douloureuses atteintes pénètrent jusqu'à l'homme moral. A la différence de la pauvreté qui, comme nous allons le voir, ne frappe souvent que l'homme physique, la misère, et c'est là son caractère constant, frappe l'homme tout entier, dans son âme comme dans son corps. La misère est un phénomène de civilisation; elle suppose dans l'homme l'éveil et même déjà un développement avancé de la conscience”. (ibid., p.113)