Alexander Von Humboldt
« I was forced into a thousand constraints... and into loneliness, hiding behind a wall of pretense... »
Alexander Von Humboldt a éprouvé une grande solitude sa vie durant. Il se sentait incompris et, dans le même temps, ne pouvait accepter l’ignorance et la bêtise humaine. Afin de cacher sa propre vulnérabilité, il avait construit une carapace d’ambition et de sagacité. Enfant, il était craint pour ses réparties tranchantes qui lui valaient le surnom de « petit esprit malin », une réputation qui le poursuivit toute sa vie... Il semble avoir été écartelé entre sa vanité et sa solitude, entre son désir de louanges et sa soif d’indépendance. Il basculait entre son besoin d’approbation et son sentiment de supériorité (p.15)… Il passa de longues heures jour et nuit avec le seul ami intime qu'il n’ait jamais eu, furieux contre lui-même pour s'être laissé aller à nouer des liens si étroits, sachant pertinemment qu'il devrait un jour ou l'autre le quitter. Pendant deux ans, il se remémorait avec nostalgie les moments passés avec lui et s’épanchait dans des lettres espacées par de longs intervalles d'oubli. Un tel tempérament à la fois distant et sensible faisait qu'il demeurait insaisissable.
Il connut Goethe, le poète, alors que celui-ci était plein de désillusions, vivait en ermite et pour lequel la seule chose qui le poussait à continuer était ses recherches scientifiques.
Il connut Thomas Jefferson qui déclarait ne pouvoir vivre sans livres et qu’il admira tout en dénonçant la question de l’esclavage fondée sur l’avarice humaine. Humboldt, quant à lui, n’aurait pas pu vivre sans mener des expériences scientifiques, notamment l'émission de chocs électriques sur lui-même ou sur des animaux. Friedrich Schiller, son contemporain, estimait qu’Alexandre Von Humboldt n'aurait jamais pu rien accomplir parce qu’il touchait à trop de sujets à la fois. C’est ce qu’on n’hésiterait pas à lui reprocher aujourd’hui. Pourtant, la capacité de jongler entre différents sujets pour mieux prendre la mesure des choses est essentielle. Puiser son inspiration dans les arts et les sciences permet d’ouvrir des portes et de franchir des horizons insoupçonnés. Alexander Von Humboldt était peut-être l’un des derniers grands disciples de voyages polymathiques.
Humboldt était un fervent partisan de l’empirisme, qui est de croire que notre esprit, à la naissance, est pareil à une page vierge sans idées préconçues et que, tout au long de notre vie, nous amassons des informations fondées sur l’expérience et l’observation. L'homme n'est pas au centre de l'univers ni même au centre de la nature. Aristote avait tort et Humboldt, le père du mouvement écologiste, avait raison d’affirmer que la nature dans son ensemble n’a pas été créée pour le plaisir de l'homme. Il faudra qu’il prenne un jour conscience de ses devoirs à l’égard de l’environnement. Il est intéressant de noter qu'en 1669, déjà, le contrôleur général français des finances Jean-Baptiste Colbert interdisait aux villageois le droit d'exploiter les forêts et avait fait planter des arbres pour pourvoir à la construction future des navires tandis que Benjamin Franklin, craignant la disparition des forêts, inventa le chauffage par convection et conçut un foyer plus économe en combustible. Mais la conquête d'espaces vierges, comme l'Ouest américain, soulignait la pensée archaïque consistant à dompter le sauvage, dominer le chaos apparent de la nature et des êtres qui l'habitent, qu'ils soient humains, animaux ou végétaux. Ancienne dichotomie entre ordre et chaos, fondée sur notre peur instinctive de l'inconnu. C'est cette angoisse primitive qu'il aurait fallu et qu’il faudrait dompter. Comment renverser la tendance de milliers d'années durant lesquelles l'être humain ne voit de beauté que dans une nature cultivée c'est-à-dire civilisée ? Un gazon obstinément arrosé malgré la sécheresse, des plantes et arbres non indigènes plantés en hâte pour le regard ou par convenance sans considération pour les conséquences à plus ou moins long terme. N'est- il pas temps d'éduquer l'homme sur la façon dont les forces de la nature contribuent entre elles, des quatre coins du monde, dans l'espace et sous les mers et comment elles sont liées entre elles? C’est bien là le barbarisme de l'homme civilisé. Qui est le barbare? L'étranger ou Celui qui n'a aucun respect pour l'autre ?
La vie coule en ligne droite et puis s'arrête et tourne en rond à l'infini... Deux conceptions s'opposent: celle qui pose en préalable l'éducation en tant que fondement d'une société libre et heureuse et celle qui voit le danger d'éduquer le peuple de crainte qu'il se détache de ses devoirs de servitude. Faut-il vivre en retraite dans une humble solitude ou renoncer à sa liberté intellectuelle et à son génie et prendre sa place de courtisan dans la société peut-être dans l’abnégation de soi et pour le bénéfice de la communauté ?
De la révolution à la dictature impériale ou monarchique... Là est bien le cycle des choses et rien n'y change. Rien ne subsiste. Tout se transforme. La liberté des opprimés est bafouée par les forces réactionnaires qui se soulèvent sempiternellement. Tourner le dos à la politique des hommes et se consacrer entièrement et uniquement à la science et son art et à l'éducation pour aider les êtres à décupler le pouvoir de leur intellect.
Avec la connaissance vient la pensée et avec la pensée vient la puissance. Au crépuscule de la vie, les amis reviennent, les liens se renouent, la boucle est bouclée. La chance tournera et un départ vers de nouveaux horizons approchera. La vie, sous toutes ses formes, crée une toile de relations complexes entre les êtres vivants et inanimés.
Comment comprendre la nature? Il faut l'interpréter, comme l'ont fait Humboldt et Thoreau, dans son ensemble et à travers les liens et connexions de ses éléments, êtres vivants et êtres inanimés et ne pas conclure fatalement que les voies de l'Eternel sont impénétrables.