La taupe et le papillon
堯讓天下於許由,曰:「日月出矣,而爝火不息,其於光也,不亦難乎!時雨降矣,而猶浸灌,其於澤也,不亦勞乎!夫子立而天下治,而我猶尸之,吾自視缺然,請致天下。」許由曰:「子治天下,天下既已治也。而我猶代子,吾將為名乎?名者,實之賓也,吾將為賓乎?鷦鷯巢於深林,不過一枝;偃鼠飲河,不過滿腹。歸休乎君!予無所用天下為。
Si l’on mentionne souvent le rêve du papillon dans l’œuvre Zhuangzi, le passage précédent tiré du chapitre premier fait allusion à deux autres animaux qui me ramènent à mon quotidien.
Un jardin de plantes indigènes offre l’occasion inespérée d’observer le comportement des tamias, des merles d’Amérique, des lapins, des écureuils, des cardinalidés et des troglodytes de Caroline notamment. Serpents, musaraignes ou taupes, buses à queue rousse, grands corbeaux, sauterelles, la nature dans toute sa diversité s’épanouit et présente les phénomènes les plus extraordinaires comme les Tettigoniidae et la floraison en automne des hamamélis. La nature rappelle à chacun qu’aucun être humain, individuellement ou collectivement, ne vit en vase clos et que la vie est par essence plurielle.
L'empereur Yao voulait céder son royaume à Xu You. Il lui dit: « Au clair de lune ou sous les rayons du soleil, n’est-ce pas difficile pour une torche qui n’est pas encore éteinte d’illuminer par sa clarté ? Et si une averse tombe, n’est-ce pas gaspiller l’eau que de continuer à irriguer le champ ? Si vous occupiez le trône, l'empire serait bien gouverné, et pourtant c’est moi qui vainement le gouverne. Je reconnais mes propres lacunes, et vous prie de prendre les rênes du pays ». Et Xu You de lui répondre : «Vous régnez sur le royaume, et l'empire est déjà bien gouverné. Est-ce pour me faire un nom que je devrais vous remplacer ? Un nom n'est que le substitut de la réalité, pourquoi me substituerais-je à vous ? Le troglodyte mignon au fond des bois ne fait son nid que sur une branche. La taupe ne boit l’eau de la rivière que pour remplir sa panse. Allez tranquille ! Je n’ai que faire de votre empire ».
D’après l’histoire naturelle des taupes (Martyn L. Gorman, R. David Stone – 1990), on rapporte en effet qu’une taupe portant une étiquette radio a parcouru plus d’un kilomètre pour trouver un point d'eau et s'y remplir la panse avant de retourner dans son antre. La taupe est un nom vernaculaire qui n’explique pas à quoi l’animal pouvait bien ressembler puisqu’il existe plusieurs espèces de taupes asiatiques.
Le troglodyte mignon fait penser au troglodyte de Caroline qui fait son nid à moins de deux mètres du sol et qui souvent sautille au raz du sol si bien qu’il évoque par les couleurs de son plumage le tamia.
Si j'étais une taupe, je regarderais le papillon avec envie. J'imaginerais dans chaque recoin de mon antre souterrain un prédateur. Les émotions comme la peur sont souvent considérées comme l'héritage de nos ancêtres animaux. La peur est un état émotionnel de la conscience qui dépend d'une série de circuits du système limbique lié aux noyaux amygdaliens. De nombreuses recherches ont prouvé qu’une lésion causée à cette région entrave la capacité des animaux et des êtres humains à réagir aux menaces auxquelles ils sont confrontés. La définition de ce qu'est la peur est subjective car elle est tributaire de l'expérience individuelle. C’est au fil d’un processus phylogénétique que les circuits défensifs de survie ont appris à détecter les menaces et à y répondre machinalement.
Ce sont essentiellement les cortex préfrontal et pariétal qui permettent à l'expérience phénoménale du cortex visuel d’entrer dans le champ cognitif. La conscience existe dans le cadre d’une relation qui s’engage entre, d'une part, le premier ordre de la conscience que sont l’observation et l’anticipation de l’environnement perceptif direct et, d'autre part, l'ordre supérieur de la conscience qui est la conscience du déroulement des processus cognitifs. La double conscience. La rumination du « je pense donc je suis », du « je pense donc l’univers existe ». C'est l'introspection qui conduit à un ordre supérieur de la conscience. Avant la conscience, il y a l'expérience. Il n'y a pas de conscience sans l'expérience de quelque chose. Les circuits sous-corticaux véhiculent les représentations non conscientes qui influent sur la formation de sentiments conscients d'ordre supérieur comme la peur. La conscience s'explique par la mémoire et les représentations sensorielles qui l’animent.
Si j'imaginais la rencontre d'une taupe et d'un papillon, le papillon demanderait consterné: comment tu fais pour vivre sous terre? Et la taupe de répondre : comment je fais ? Je ne connais rien d'autre. Je m'en contente. Voilà tout. Vivre dans les airs ou vivre sous terre, est-ce bien différent?
Et le papillon de répondre: la différence, c'est la lumière. Baigné par la chaleur du soleil, je me laisse porté par le vent. Et la taupe de rétorquer: l'obscurité oblige à confronter ses peurs. Mes yeux laissent à mes pattes le soin d'explorer et partir à la conquête du centre de la terre.
Ma conscience autonoétique qui revit les événements passés et voyage mentalement dans le temps et l’espace se limite-t-elle à ma présente existence ou montre-t-elle les signes du vécu de mes ancêtres voire manifeste-t-elle le lien phylogénétique d’avec tous les êtres ?