Bouddhisme

Publié par Catherine Toulsaly

Le Prince Damrong Rajanubhab avait coutume de dire que cette tête de Bouddha en stuc était l’objet le plus beau de tout le musée de Bangkok

Le Prince Damrong Rajanubhab avait coutume de dire que cette tête de Bouddha en stuc était l’objet le plus beau de tout le musée de Bangkok

Au-dessous du ciel, il y a vingt choses difficiles :

  1. Étant pauvre et dans l'indigence, accorder des bienfaits, c'est difficile;
  2. Étant riche et élevé en dignité, étudier la doctrine, c'est difficile;  
  3. Ayant fait le sacrifice de sa vie, mourir véritablement,  c'est difficile;
  4. Obtenir de voir les prières de Bouddha, c'est difficile;
  5. Avoir le bonheur de naître dans le monde de Bouddha, c'est difficile;
  6. Transiger avec la volupté,  et vouloir être délivré de ses passions, c'est difficile;  
  7. Voir quelque chose d'aimable, et ne pas le désirer,  c'est difficile;
  8. Ne pas être porté vers ce qui est lucratif et honorable, c'est difficile;
  9. Être injurié, et ne pas s'irriter, c'est difficile;
  10. Dans le tourbillon des affaires, se conduire avec calme, c'est difficile;
  11. Étudier beaucoup et approfondir, c'est difficile;
  12. Ne pas mépriser un homme qui n'a pas étudié, c'est difficile;
  13. Extirper l'orgueil de son cœur, c'est difficile;
  14. Rencontrer un  vertueux et habile maître, c'est difficile,
  15. Pénétrer les secrets de la nature, et approfondir la science, c'est difficile;
  16. Ne pas être ému par un état de prospérité, c'est difficile;
  17. S'éloigner du bien, et vouloir marcher dans la sagesse, c'est difficile;
  18. Décider les hommes à suivre leur conscience, c'est difficile;
  19. Tenir toujours son cœur dans un mouvement égal, c'est difficile;
  20. Ne pas médire, c'est difficile.
Tête de Bouddha

Tête de Bouddha

L’arbre tombe dans la forêt. Le bruit fait tressaillir l’être qui vit dans l’effroi désormais. Le plus fracassant est le bruit, le plus effrayé l’être vit. Le son crée la réalité du fait. Pourtant, ce n’est pas parce qu’un arbre tombe dans la forêt que l’on en sera la victime.

Le bouddhisme définit trois sortes de peurs :

  • La première se fonde sur la haine. La crainte de perdre un bien matériel est cause de haine.
  • La seconde est la réaction à une crise morale.
  • La troisième est la conscience de notre évanescence dont la vieillesse, la maladie et la mort ne sont que les manifestations.

Des trois, c’est la première qu’il s’agit de combattre car elle appartient à l’ego et engendre la souffrance. La haine se manifeste à travers la colère, la peur et la tristesse dans l’appréhension de la perte d’un bien ou de subir un préjudice. La peur naît de nos désirs insatiables et de nos illusions. Illusion de la pertinence de notre existence et pérennité. De la peur individuelle à la peur collective, concrètement, deux catégories se profilent : celles fondées sur des faits connus et celles sur des faits inconnus (Management of fear : A Buddhist perspective, Arijyayori Bhikkhu). Confusion et soif irrépressible nourrissent l’effroi intime qui nous habite. Confusion qui force à croire au caractère irrésistible du désir et accentue la crainte de perdre l’objet convoité. Mais surtout, la peur naît d’un esprit agité par les bruits de la vie, ballotté entre l’imagination et la réalité. Surmonter la crainte quotidienne par la sagesse supramondaine, la concentration de l’esprit et le respect des préceptes moraux, voilà les clefs.

Bodhisattva

Bodhisattva

"Reprendre son souffle et trouver sa voie, sa voix." disais-je. Cette voie telle que définie par Laozi est  la voie invisible, la voix inaudible de l’Inconscient.

La non-pensée, c’est ne pas penser au sein de la pensée. L’absence de demeure représente la nature originelle de l’homme… (Sûtra de la plate-forme, édition la plus ancienne de Dunhuang datant du IXe siècle, section 17),

Que nomme-t-on la non-pensée ? La loi de la non-pensée est de contempler toute chose sans s’attacher à aucune, être partout sans avoir d’attaches nulle part. Etant doué d’une nature propre constamment pure, c’est rejeter les six ravisseurs par les six portes et, au milieu des six poussières, n’être ni détaché ni souillé dans un libre va et vient (ibid.,section 31).

Maitreya

Maitreya

Au-dessus du  royaume du désir se trouvent les cieux du royaume de la forme et encore au-dessus, ce sont les quatre mondes infinis du royaume de l’absence de forme. Burnouf dans le Lotus de la bonne loi  parle de « dix-huit Dhâtus ou éléments, qui ne sont autres que les six organes des sens, les six qualités sensibles, et les six perceptions ou connaissances qui en résultent ». Que sont les dix-huit domaines (dhātus) ? Ce sont les six poussières, les six portes et les six consciences. Que sont les six poussières ? Ce sont les formes, sons, odeurs, saveurs, contacts et choses. Et les six portes ? Ce sont les yeux, oreilles, nez, langue, corps et mental. Les six poussières, les six portes et les six consciences, que sont celles de nos yeux, oreilles, nez, langue, corps et mental, surgissent de la nature de loi. La nature propre embrasse les dix mille choses et se nomme « réceptacle des consciences » 含藏識 ālayavijñāna. Réfléchir consiste à transmuer la conscience pour en produire six qui s’échapperaient des six portes à la découverte des six poussières. Trois fois six font bien dix-huit !  (Sûtra de la plate-forme, section 45)

何名十八界六塵、六門、六識。何名十二入?外六塵、中六門。何名六塵?色聲香味觸法是。何名六門?眼耳鼻舌身意是。法性起六識:眼識、耳識、鼻識、舌識、身識、意識。六門、六塵,自性含萬法,名為含藏識。思量即轉識。生六識,出六門、六塵,是三六十八。

La nature propre, réceptacle des consciences, est la huitième conscience d’après l’école bouddhiste Yogācāra. Elle s’ajoute aux six consciences mentionnées plus haut (la septième étant la conscience aveuglée par les six premières).

Les quatre attributs

Les quatre attributs

Parfois une seule expression résume l’effort d’une vie, une seule sculpture symbolise le combat des mots et de l’esprit. Au début des années 90, j’écrivais à propos de l’index des termes de ma traduction : Il m’a appris combien il est téméraire de vouloir conserver la même traduction pour chaque caractère. Elle varie, en effet et bien évidemment, selon l’emploi de celui-là… Le choix des mots indexés ainsi que la traduction des termes sont peut-être arbitraires, car ils se plient tous deux à ma sensibilité et à mon appréciation de la valeur des mots. (Sûtra de la Plate-forme, p.14-15, 1992).

Ainsi le traducteur est face à un dilemme entre résonance et vanité, ce même dilemme dont parlait Saint-Jérôme dans la Lettre LVII, § 5, à Pammachius, 395 ou 396 :La traduction, pigeon voyageur entre nos origines et l’humanité millénaire, comme le fait si bien remarquer Elihu Vedder (1836-1923) s’agissant de sa collaboration à travers les âges avec Khayyam (1048-1141) et Fitzgerald (1809-1883) à l’oeuvre Rubáiyát of Omar Khayyám, the astronomer-poet of Persia (Boston, Houghton, Mifflin and company, 1884.). Le traducteur n’est-il pas un artiste? Un artiste n’est-il pas un traducteur ? La différence est le moyen d’expression.

Huit règles gouvernent la conduite des traducteurs de textes bouddhiques :

  1. Un traducteur doit se libérer de toute motivation qui le pousserait à rechercher gloire et célébrité
  2. Un traducteur doit se garder de toute arrogance et de vanité
  3. Un traducteur s’abstient de se vanter et de dénigrer autrui
  4. Un traducteur ne doit pas s’établir comme le garant de l’exactitude et empêcher les autres dans leur travail par son esprit critique
  5. Un traducteur doit adopter l’esprit du bouddha comme le sien.
  6. Un traducteur doit se servir de la sagesse que détient l’œil du Dharma perçant pour définir les principes véritables
  7. Un traducteur doit invoquer les êtres vertueux des dix directions pour qu’ils marquent de leur sceau ses traductions
  8. Un traducteur doit entreprendre de propager l’enseignement bouddhique par la publication de ses traductions une fois certifiées des œuvres bouddhiques (BuddhaNet)
Prémices de Maitreya

Prémices de Maitreya

Les lois de la physique n’expliquent pas pourquoi le temps avance mais jamais ne recule…

Humboldt écrivait que cosmos signifie « l’ordre dans l’univers et la magnificence dans l’ordre ». D’aucuns pensent que le bouddhisme et la science ne se contredisent pas fondamentalement et que le bouddhisme peut être pour la science une source intarissable de réflexion. Le cosmos est-il fait d’une infinité d’univers ? Ces milliers d’univers mentionnés dans le Lotus de la Bonne loi,  la très belle traduction d’Eugène Burnouf du Saddharmapuṇḍarīka Sūtra, que l’on dit contenir la vision la plus complète de la vie et de l’univers, semblent étrangement faire écho à la théorie du multivers, évoquée dans l’article précédent sur les univers-bulles. La vision mahayanique du monde décrit l’univers comme une infinité de mondes qui s’étendent à travers les six directions et se dispersent dans les dix régions de l’espace.

Chaque système mondain est présidé par un bouddha et nommé champ ou terre bouddhique, théâtre de la lutte eschatologique des êtres. Ces royaumes innombrables se juxtaposent dans de plus hautes sphères dimensionnelles que les sens de l’homme commun ne perçoivent pas directement. Chaque univers parallèle offre sa version propre de la réalité, comme si l’espace-temps était coupé en tranches et que chaque tranche représentait un univers. 

Plus de sept milliards de personnes vivent sur terre, mais d’ici une centaine d‘années, il est probable que pas une, moi y compris, ne survivra, comme le disait Jōsei Toda. Cela suscite le besoin urgent de poser des questions essentielles quant à l’existence humaine et au cosmos. Le précepte fondamental de la secte bouddhiste Tientai 天台selon lequel l’univers peut être analysé en terme de trois vérités  - la non-substantialité, la temporalité et la voie du Milieu -  ne semble pas manquer de pertinence encore aujourd’hui. Lorsque l’on dit que chaque parcelle de l’univers contient le cosmos dans son ensemble, c’est pour mieux reconnaître que les molécules qui forment notre corps, les atomes qui structurent ces molécules proviennent de ce même creuset qui fut le noyau de l’univers.

Le cosmos est un réseau de systèmes en mouvement perpétuel, qui peut sembler chaotique aux yeux de celui qui l’observe. Seulement ni le temps ni l’espace ne sont des paramètres tangibles. « Le temps n’est-il qu’une propriété fondamentale de la réalité ou l’apparence macroscopique des choses ? ». Pour W. Randolph Kloetzli, le cosmos «  ne doit surtout pas être interprété comme un univers physique mais plutôt comme une réalité structurée à tous les niveaux, physique ou spirituel ».

La cosmologie bouddhiste présente un panorama simple, mathématique et  schématisé : «  Des unités fondamentales desquelles tous les phénomènes ne sont que des composés ou combinaisons » (A manual of Buddhist philosophy, William Mc Govern, 1923). Tracé sur le papier ou peint sur les murs des grottes, à Kizil ou ailleurs le long de la Route de la Soie, le tableau cosmologique semble représenter le schéma de quelque réalité géographique. D’un point de vue cartographique, la représentation visuelle de l’univers multidimensionnel, quoique verticale, est à deux dimensions. 

La cosmologie bouddhiste la plus ancienne connue sous le nom de système des trois mondes se divise en trois royaumes du bas vers le haut : le royaume du désir (kāma, 欲界), celui de la forme (rūpa, 色界) et celui de l’absence de forme (arūpa, 無色界).  Un autre schéma sotériologique présente un axe vertical entrecoupé de couches stratifiées dans lesquelles un être parcourt les étapes d’une longue ascension dans l’espace et le temps. Les représentations de la création ou du cosmos en forme de cercles concentriques sont communes aux civilisations du monde. La conception même d’un univers au-delà du temps et de l’espace implique qu’une transmigration graduelle des êtres dans un cycle de naissance et de mort peut se faire en même temps que des envolées instantanées vers les plus hautes sphères de l’existence par la réalisation d’un éveil subit. Le destin eschatologique n’est pas écrit.  

De la vision ancienne du monde ...

Meditation (2015)

Meditation (2015)

Lewis Lancaster se penche dans l’article Pattern Recognition and Analysis in the Chinese Buddhist Canon: A Study of “Original Enlightenment” (Academia.edu) sur les premières mentions du terme 本觉 dans l’édition coréenne du canon bouddhique. L’origine du terme serait apocryphe selon l’auteur dans la mesure où il n’existe aucune équivalence en sanskrit. Le terme a été ainsi traduit dans les sutras à partir du IVe siècle. Deux textes, l’un peut-être datant du IV/V siècle et l’autre datant du 7e siècle notamment montrent le plus grand nombre de fois que le terme a été employé (K.1397, 231 fois et K.1501, 133 fois). Les emplois les plus anciens sont dans K. 186, K.385, K.521, K.951, K.1397 (IV/V siècle) ; K.616 (VIe siècle) ; K.1406, K.1501, K.1502 (VIIe siècle) et 11 textes au VIIIe siècle, la période de Huineng 慧能 et du 坛经 et 4 textes au Xe siècle.

C’est posséder soi-même … la nature de l’éveil originel. 自有本觉性 (Sûtra de la Plate-forme, article 21, You-Feng, 1992)

L’auteur note l’emploi du terme au IVe siècle qui s’interrompt entièrement à une exception près pour reprendre 200 ans plus tard en 635. Cependant la datation des textes K.1397 et K.521 est à mettre en doute. Mais dans les références les plus anciennes, l’auteur note qu’il ne s’agit pas du terme composé 本觉 mais des deux caractères 本 et 觉 juxtaposés. Les textes K. 521 et K. 616 constituent les références les plus anciennes avérées ainsi que K. 426 et K.623 du VIIIe siècle. L’auteur traduit le terme probablement d’origine chinoise par « basis for enlightenment » considérant qu’il s’agit d’un processus et non pas d’une entité résiduelle au fond de l’être. Une étude semblable de l’emploi du terme 佛性 serait bien indiquée.

Golden Graveyard of the Four selves

Golden Graveyard of the Four selves

Il y avait probablement 20 000 manuscrits dans la bibliothèque murée 藏经洞啊 aux grottes de Dunhuang 敦煌石窟également connues sous le nom des grottes de Mogao 莫高石窟et des grottes aux mille bouddhas千佛洞. La Bibliothèque Nationale a répertorié la collection Pelliot. La plupart avaient été écrits à la main. Très peu ont été imprimés à partir de bois gravés 木刻本. Les manuscrits datent de la fin du IVe siècle à la fin du Xe siècle. Selon Guide to an exhibition of paintings, manuscripts and other archeological objects collected by Sir Aurel Stein, in Chinese Turkestan (Londres, 1914), les fresques bouddhiques ont été exécutées par des artistes locaux dans un style d’influence chinoise proche de l’école gréco-bouddhique de Gandhara. De ces sites ont été recueillis environ 8 000 fragments de décor en stuc,  morceaux de bois gravé, outils en métal et en bois, lambeaux de tissu et vêtements, pièces de monnaies et gravures, 50 grands panneaux peints à fresque, 500 fragments de peintures à fresque et  environ 4 500 manuscrits sur papier, bois, etc. De la Grotte aux mille bouddhas, 500 peintures sur soie, papier et lin, dessins et gravures sur papiers, 150 pièces de tissu, de soie, de brocart, de damas et de gaze, etc, environ 6 500 manuscrits et livres imprimés, notamment un  rouleau de 16 pieds de long contenant le plus ancien texte dont la date est attestée, le Sûtra du Diamant avec frontispice imprimé par Wang Jie 王玠 le 15e jour du 4e mois, 9e année de l’ère Xiantong (11 mai 868). Les fresques sont des peintures sur plâtre décrochées des murs. Elles proviennent de Mingoi 七个星佛寺遗址, Miran, Khadalik et Farhad-beg-yailaki. Les peintures sur soie et papier proviennent toutes de la Grotte des mille bouddhas. Maitreya le plus souvent est dépeint comme un bodhisattva puisqu’il n’est pas encore bouddha.

Commencement du Bodhisattva (The Fragility Within)

Commencement du Bodhisattva (The Fragility Within)

Les manuscripts de Dunhuang furent trouvés en 1899. Le 敦煌遗书总目索引敍例(1962, 2,552p. 27cm. Z7059.S5 China copy1) publié dans les années soixante est critique des deux explorateurs Stein et Pelliot quant à la façon dont les manuscrits sont entrés en leur possession et leur méthodologie. Consulté dans la salle de lecture de l’Asie dans le bâtiment Jefferson de la Bibliothèque du Congrès, l’auteur indique qu’au moment de la publication de l’ouvrage, il n’existait aucune compilation complète 全部集 des manuscrits de Dunhuang. A l‘époque étaient répertoriés 8 000 manuscrits à la Bibliothèque de Beijing. 称垣 est l’auteur du 敦煌劫余录. A Londres étaient catalogués 7 000 manuscrits (Aurel Stein 斯坦因) bien qu’aucun index n’ait alors été publié. 刘铭怒 est l’auteur du斯坦因劫经绿.A consulter Descriptive Catalogue of the the Chinese Manuscripts par Lionel Giles. Pp XXV+334. London : The Trustees of the British Museum, 1954, ainsi que Les Documents chinois de la troisième expédition de Sir Aurel Stein en Asie centrale, édité par Henri Maspero et publié à titre posthume par The British Museum en 1953. A Paris étaient catalogués 2 500 manuscrits (sans compter les文卷) qu’avait alors acquis Paul Pelliot 伯希和. L’index était incomplet avant les efforts entrepris par Wang Zhongmin pour le compléter. En 1961, le Musée Guimet et Le Louvre comptaient tous deux dans leurs collections des manuscrits de Dunhuang. A consulter Le Catalogue de la collection Pelliot, Fonds des Manuscrits chinois de Touen-huang.

Pour les peintures, à consulter A catalogue of Paintings Recovered from Dunhuang par Sir Aurel Stein, London 1931 .

Les manuscrits de Dunhuang connus pour leurs œuvres bouddhiques répertoriées, comptaient aussi 道德经,论语,庄子 et des commentaires de ces oeuvres ainsi que la carte céleste mentionnée dans l’article précédent. Le 巴黎敦煌残卷敍绿 de Wang Zhongmin explore ces autres manuscrits.

Profil de Bodhisattva

Profil de Bodhisattva

Dans A descriptive Catalog of Rare Chinese books in the Library of Congress 美国国会图书馆藏中国善本书录 que Wang Zhongmin 王重民 a compilé et publié en 1957, il y est fait mention dans l'introduction en anglais de huit manuscrits de Dunhuang. Cependant seuls 6 manuscrits y sont répertoriés et confirmés dans son ouvrage ultérieur 中国善本书提要 (Shanghai,1983).

大般涅槃经卷第二

大般波罗蜜多经卷第二百六十六

大般波罗蜜多经卷第二百四十七

妙法莲华经卷第二

妙法莲华经卷第七

胜天王般若波罗蜜经卷第四

Les trois manuscrits du Sutra du Diamant 金刚般若波罗密经 cités dans les catalogues de 1957 et 1983 sont datés de l'époque Ming (美国国会图书馆藏中国善本书录, vol.2, p. 777,778,779):

Au terme d'un recensement récent effectué par la division de l'Asie, les manuscrits suivants sont répertoriés à ce jour, le 1er août 2016 :

勝天王般若波羅蜜多經 (第四)   (陳)月婆首那 譯   1卷    敦煌出初唐寫本

敦煌唐人寫經 (殘卷一頁) 抄寫者不詳   唐寫經殘卷

大般若波羅蜜多經 (第二百六十篇) (唐)玄奘 (三藏法師) 譯1函1册       1卷 敦煌出土唐寫本

大般若波羅蜜多經 (第二百四十七篇)   (唐)玄奘 (三藏法師) 譯  1函1册1卷 敦煌出土唐寫本

妙法蓮華經(卷七) (姚秦) 鳩摩羅什 譯    1卷       敦煌出土初唐寫本

妙法蓮華經(卷二) (姚秦) 鳩摩羅什 譯    1卷       敦煌出土中唐寫本

妙法蓮華經(序品一, 卷一) (姚秦) 鳩摩羅什 譯   1函     1册       1卷       敦煌寫本

妙法蓮華經(品十二, 卷五) (姚秦) 鳩摩羅什 譯   1函     1册       1卷       敦煌寫本

妙法蓮華經(品二十五, 卷八) (姚秦) 鳩摩羅什 譯1函     1册       1卷       敦煌寫本

大般涅磐經(卷二) (北涼)曇無懺 譯 1函1册1卷  敦煌初唐寫本

 

S'agissant du Sutra du diamant, deux manuscrits datant de la dynastie des Ming sont seulement mentionnés dans ce nouveau recensement:

金剛般若波羅蜜經         (姚秦)鳩摩羅什  譯         1函       2册       1卷       明萬曆年間刻本

金剛般若波羅蜜經         (姚秦)鳩摩羅什  譯         1函       1册       1卷       明抄本

Toutefois la politique de conservation en vigueur restreint leur accès par le public.

Meditation (2015)

Meditation (2015)

L’immatérialité captive l’esprit comme un aimant…L’article de 陳淑芬 Shu-Fen Chen publié en 2013 a revisité la question des œuvres bouddhiques, de leur sens et de leur traduction et guidé le lecteur ou le traducteur dans la difficile tâche d’interpréter le texte chinois.

 L’absence de ponctuation compliqua la traduction du chinois ancien et en particulier des œuvres bouddhiques, un idéogramme après l’autre sans marque de ponctuation jusqu’au XIXème siècle avec l’édition japonaise Hongjiaozang 弘教藏 de 1880. Sans ponctuation, il n’est pas facile au simple coup d’œil de comprendre de quoi il est question. Elle est essentielle à la compréhension du lecteur. Mais si elle est mal employée, le sens en est détourné.

Son ajout subséquent pour faciliter la lecture des canons bouddhiques ne saurait avoir été sans erreur. L’auteur Shu-Fen Chen a comparé les six traductions chinoises du Vajracchedikā Prajñāpāramitā Sūtra et recherché le sens original sur la base du sanskrit.

En l’absence de ponctuation, comment marquait-on une pause dans la narration ? Par l’introduction régulière d’adverbes de temps tels que 時,一時,爾時. L’accusatif en sanskrit était remplacé en chinois par le caractère 邊. 

中華電子佛典協會(CBETA) introduit de nombreuses marques d’exclamation. La comparaison entre les textes du Taisho 大正藏 et du CBETA montre combien le premier présente un emploi irrégulier de la ponctuation et combien le second est clair et plus aisé à lire, CBETA améliorant le texte et corrigeant même les erreurs de ponctuation introduites dans  大正藏.

A la question « c’est quoi faire l’aumône ? », l’article y répond.「布施」traduit l’expression sanskrite dānaṃ dadāti, dānaṃ signifiant給予的行為、捐款、禮物. Dadāti est le complément du verbe。「福德」traduit le mot sanskrit puṇyaskandha, dérivé de l’expression tasya puṇyaskandhasya pramāṇam.

L’auteur cependant a souligné les anomalies ou fautes commises par CBETA. Mais il apparaît après vérification que les exemples cités dans l'article de 2013 ont été depuis rectifiés et donc n’apparaissent plus en ligne à ce jour à l’exception des corrections proposées en rouge pour les paragraphes suivants :

以實無有法得阿耨多羅三藐三菩提,是故然燈佛與我受記,作是言:『汝於來世,當得作佛,號釋迦牟尼。[0751a19]

若有法如來得阿耨多羅三藐三菩提者 [0751a19]

我於阿耨多羅三藐三菩提 乃至無有少法可得,是名阿耨多羅三藐三菩提。[0751c21]

若人滿三千大千世界七寶以用布施,是人所得福德,寧為多不?」[0749b18]

D’autre part, l’auteur a estimé que l’ajout par CBETA de la ponctuation était parfois superflue dans les exemples en rouge demeurant  à ce jour :

「無法相亦無非法相。何以故?是諸眾生若心取相,則為著我、人、眾生、壽者。[0749b05]

佛告須菩提:「凡所有相皆是虛妄。若見諸相非相,則見如來。」[0749a23]

La virgule devrait par ailleurs être supprimée entre le sujet  et son prédicat  dans les exemples suivants:

善男子、善女人發阿耨多羅三藐三菩提心[0748c24][0748c29] [0751a08] [0751a10]

善男子、善女人發菩薩心者[0752b23]

若復有人於此經中,乃至受持四句偈等,為他人說,其福甚多。[0750a23]

若復有人於後末世,能受持讀誦此經,[0750c27]

若復有人於此經中受持,[0749b21]

頗有眾生於未來世,[0751c16]

頗有眾生得聞如是言說章句,[0749a26]

Dans la mesure où certaines critiques ont été prises en compte et corrigées par CBETA, on peut se demander si  celles omises l'ont été volontairement.

Après un rapide examen du commentaire de Huineng sur le Vajracchedikā Prajñāpāramitā Sūtra, il est regrettable qu’ il n'incorpore pas les corrections apportées à la traduction de Kumarajiva. Il convient de vérifier s’il en est de même pour les nombreux autres commentaires publiés par CBETA.

C’est pour moi l’occasion de revenir au commentaire attribué à Huineng afin de modifier la ponctuation du texte de Kumarajiva intégré dans le commentaire et revoir, à la lumière des corrections apportées,  l’interprétation du texte.

Commencement du Bodhisattva (The Fragility Within)

Commencement du Bodhisattva (The Fragility Within)

C'est au deuxième siècle de notre ère que les missionnaires bouddhistes ont commencé à traduire les sûtras bouddhiques en chinois. Parmi ceux-là, se trouvait An Shigao 安世高 qui fonda le premier bureau de traduction dans la capitale de Luoyang.

C'est en 402, sous le règne de l’empereur Yao Xing 姚兴, héritier du souverain fondateur Yao Chang 姚苌 de la dynastie Yao Qin 姚秦 (Qin postérieurs) (384-417), durant les seize royaumes que Kumārajīva 鸠摩罗什vint à la capitale Chang’an pour y traduire, assisté par une large équipe, jusqu’à la date de sa mort, en 409, de nombreux textes bouddhiques dont le Vajracchedikāprajñāpāramitā Sūtra (T. 235), suivant La biographie des moines éminents de la dynastie Liang (1). C'est  Liang Shaoming 梁绍明 (501-531), fils aîné de l'empereur Wudi 武帝, dénommé 萧统, qui traditionnellement serait l'auteur de la division en 32 sections qui facilite la récitation du sūtra. D'après T.F. Carter, auteur de The Invention of Printing and its Spread Wesward, l'exemplaire le plus ancien du Sūtra du diamant est le Manuscrit de Dunhuang conservé au British Museum datant de 868, ce que confirme Pal Pratapaditya dans Buddhist Book Illuminations.

Par la suite, cinq autres traductions furent composées successivement au cours des siècles suivants. Même si la traduction de Kumārajīva n’est pas la plus fidèle – il semble qu’il faille en imputer partiellement la faute à la différence entre les sources sanskrites – elle a le mérite d’être la plus concise et la plus facile à réciter.

Le traducteur ou, plus exactement, l’équipe plus ou moins large de traducteurs dirigée par Kumarajiva, Bodhiruci, Dharmagupta… donne la priorité dès le début de la dynastie Sui (581-618) à l’interprétation doctrinale des textes, inaugurant ainsi le règne des exégèses et cédant le pas à la simple approche linguistique du texte. La traduction de Dharmagupta du Sûtra du Diamant (T.238) est la plus littérale des six traductions chinoises, en fait c’est quasiment une traduction interlinéaire du texte sanskrit qui semble ne pas avoir été éditée et reste donc inachevée.

(1) D'après Price, le texte fut écrit au IVème siècle et traduit en chinois à la même époque.

Meditation (2015)

Meditation (2015)

Que votre esprit jaillisse sans demeurer nulle part

En ce qui concerne les commentaires du Sūtra du diamant, la légende veut que le premier qui le commenta fut Maitreya 弥勒. Au-delà de la légende, il faut noter les commentaires sanskrits, traduits en chinois, des auteurs suivants :

Asanga 无著(IVème siècle) traduit par Dharmagupta 达磨笈多(T.1510, 金刚般若论)

Vasubandhu 天视 frère cadet d’Asanga (IVème siècle) traduit par Bodhiruci (T.1511, 金刚般若波罗蜜论)

T.1512 金刚仙论十卷 (La tradition veut qu’il ait été traduit par Bodhiruci, mais il semble, suivant les études contemporaines, qu’il ait été composé en Chine)

Vasubandhu traduit par Yijing 义净 contemporain de Huineng (T.1513, 能断金刚般若波罗蜜多经论释

Asanga traduit par Yijing  (T. 1514, 能断金刚般若波罗蜜多经论颂)

Srīdatta traduit par Divākara (T.1515, 金刚般若波罗蜜经破取著不壞假名论) (Vagra-kkhedikā prajñāpāramitā-sūtra-sāstra on the refutation of grasping and attachment to the undestroyed and artificial name ainsi mentionné dans A Catalogue of the Chinese Translation of the Buddhist Tripitaka, the Sacred Canon of the Buddhists in China and Japan)

Vasubandhu et Asanga sont souvent cités par les commentateurs ultérieurs. Parmi les commentaires chinois anciens se trouvent ceux des auteurs suivants et des compilations ci-mentionnées :

Sengzhao僧肇 (384-414), disciple de Kumārajīva (金刚经註dans 续藏经, 38-3)

Zhiyi 智顗(538-597) de la secte Tientai (T.1698, 金刚般若经疏 glose’)

Jicang 吉藏  (549-623)patriarche d'origine parthe de la secte des trois traités (T.1699, 金刚般若经序)

Huijing 慧净 (578-645)(金刚经注疏三卷dans 续藏经, 38-3)

Kuiji 窥基 (632-682) de la secte Faxiang, disciple de Xuanzang (T.1700, 经刚般若经替述)

Zhiyan 智俨(602-668) (T.1704, 佛说金刚般若波罗蜜经略疏)

Huineng 金刚经解义 dans 大日本 续藏经, 38-4, pp.330-347 (et dans  Enô kenkyû, p.418-465)

Huineng 金刚经口诀dans 大日本 续藏经, 92-1

Daochuan道川 (XIIème siècle) (金刚经註 dans 续藏经, 38-4)

Zongmi 宗蜜 (780-841) (T.1701, 金刚般若经疏论纂要)

Zixuan de la dynastie Song (T. 1702, 金刚经纂要刊顶记七卷)

T.1703  金刚般若波罗蜜经註解 (commentaire du XIVème siècle)

Compilation de l’époque Ming 金刚经集註, 上海古籍出版社 (1984)

传大士Chuan Dashi (T.85, 金刚经颂) http://www.daode.org/rdbook/sutra/jgjs.htm

金刚宗通缘起(1885)http://buddhism.lib.ntu.edu.tw/BDLM/sutra/10thousand/pdf/X25n0471.pdf

五家解本: Kihwa's commentary to the redaction of five famous East Asian scholars on the Diamond Sutra 金刚经. This includes the commentaries by (1) Zongmi 宗密; the Jingang jing shoulun zuanyao 金刚经疏论纂要. (2) Huineng 慧能 the Jingang jing jieyi 金刚经解义. (3) Shuanglin fu 双林傅, the Liangzhao fu dashi song jingang jing 梁朝傅大师颂金刚经. (4) Yefu Daochuan 冶父道川. (5) Yuzhang Zongjing 豫章宗镜. Interwoven with these commentaries and the text of the sutra itself is Kihwa's own sub-commentary. Kihwa also writes a substantial introduction to this piece, in which he makes powerful argument for a balanced approach to religious practice, including both sitting meditation 禅 and scriptural study 教. HPC 7.10-107. (http://cidian.foyuan.net

金刚般若波罗蜜经五十三家记住(Taibei, 1969)http://www2.fodian.net/baoku/FoJingWenInfo.aspx?ID=X0468

能断金刚般若波罗蜜多经纂释,罗时宪 ( Hongkong 1975) http://59.188.0.185/lsx/books/ndbrblmdj_trad.pdf

Parmi les commentaires contemporains se trouvent :

金刚般若波罗蜜经par Ding Fubao 丁福保, Hongkong 1980

金刚般若波罗蜜经讲记par Yin Shun 印顺般若经讲记,p.1-184,  Taiwan 1979

金刚般若波罗蜜经述义 par Zhou Zhi’an 周止菴, 美国佛教会出版, 1965

金刚般若波罗蜜经讲义par Yuanzhu, Shanghai 1990

Sutra du Diamant et commentaire sur le site du centre bouddhiste de Paris

Meditation (2015)

Meditation (2015)

Le présent texte du Commentaire par le sixième patriarche, le Grand Miroir 大鑑, est extrait du Xuzangjing 续藏经 (1), le canon supplétif (vol.38, T.4, p.330-346). On trouve aussi une édition dans le xintangshu 新唐书 juan 59, intitulée  金刚般若经口诀正义. Faisant suite à cette édition ont été réimprimées les postfaces de deux anciens manuscrits:

  • la première, datée de l'an 1084, a été composée par le moine Luoshi 罗适 de la secte Tientai 天台à l’époque des Song du Nord (http://ccbs.ntu.edu.tw/FULLTEXT/JR-BJ001/bj100605.htm ). Contemporain de Su Dongpo, il est  également nomm é chicheng xiansheng 赤城先生. Ses écrits 罗适文集十卷 sont répertoriés dans le songshi 宋史, 16/208/5379. Le texte fut réédité par Shi Fengru 史凤儒 en 1950 (http://203.64.173.77/~cll/teach_web/Sixth/Jin-Gang.pdf ).
  • la seconde est datée de 1667 durant l'ère Kangxi 康熙. Zhou Chaojian 周超諫 y rappelle que c'est en entendant le  Sūtra du diamant que Huineng est parvenu ā l'éveil. C'est, le dit aussi ce texte, le meilleur commentaire, C'est le texte qui exprime le mieux le sens profond de la loi de bouddha 

Il existe un autre manuscrit (ZZ.38-4, Jingangjingzhu 金刚经註, 3j.) du même commentaire annoté par Daochuan 道川 , autrement nommé Chuanlao 川老, originaire de Kunshan 昆山  et quinzième génération depuis Nanyue Huairang 南粤怀让. Il fut convoqué à la capitale impériale pour s'y entretenir de la loi en 1163. le texte est préfacé par le ministre Zhang Shangying 张商英. 

Les références les plus anciennes au commentaire de Huineng ne semblent remonter qu'au IXe siècle. Le titre 金刚经口诀 est notamment cité par Enchin  圆珍 (814-891) dans Chishô daishi shôraimokuroku 智證大使请来目録 (T. 55, 2173, p. 1105), ribenbiqiuyuanzhenrutangqiufamulu 日本比丘圆珍入唐求法目录 et fuzhouwenzhoutaizhouqiudejinglülunshujiwaishudengmulu 福州温州台州求得经律伦疏记外书等目录 .

Le commentaire se présente simplement et ne recourt pas aux citations de commentaires antérieurs comme celui de Vasubandhu et d'Asanga. Il reprend la traduction originale de Kumarajivā, divisée en 32 sections crées ultérieurement par Liang Shaoming et entrecoupée des explications attribuées à  Huineng.La tradition veut que le sixième patriarche se soit éveillé à l’écoute du Sūtra du diamant, il est donc intéressant d’examiner ce texte à travers le regard du maître. On peut penser que le commentaire attribué à Huineng a été nettement remanié – voire composé – par les générations postérieures. Fallait-il diviser le texte du Commentaire en trente-deux sections? De l'avis de Charles Luk, cela ne fait qu'ajouter à la confusion du lecteur. Suivant le commentaire de Hanshan 憨山德清 de la dynastie Ming, né en 1546, il n'y aurait que deux sections: l'une traitant des questions sur les vues étriquées de Subhuti et des disciples et l'autre des questions sur leurs vues dites éthérées dont eux-mêmes n'ont pas conscience des insuffisances. D'après Hanshan, seul le commentaire de Vasubandhu 天视, parmi tous les autres, est correct. Mais quel texte choisir entre 金刚般若波罗蜜论 traduit par Bodhiruci 菩提流支 (T.1511) et 能断金刚般若波罗蜜多经论释 traduit par Yijing 义净 (T.1513)?

Bien que le 坛经 soit dénommé sūtra, il demeure une oeuvre qui s'est attachée à populariser l'enseignement du bouddhisme Zen en  évitant les moyens d'expressions trop subtils alors que le propos du commentaire est de commenter un discours  ésotérique prononcé par le bouddha.

Le commentaire fut traduit en anglais par Thomas Cleary dans The sutra of Hui-neng, grand master of Zen : with Hui-neng's commentary on the Diamond sutra. Shambhala Publications (1998).

L'ouvrage japonais intitulé Enô kenkyû 惠能研究 réalisé par neuf professeurs dont Tanaka Ryôshô de l'universitéde Komazawa, Tokyo, 1978, présente une étude comparative de six manuscrits du commentaire de Huineng dont le plus ancien, une édition japonaise datant environ de 1300.

Autre source en chinois: http://203.64.173.77/~cll/teach_web/Sixth/Jin-Gang.pdf

(1 )Le supplément du canon bouddhique, désigné sous le sigle Z= Zokuzōkyō, du nom complet Dainihonzokuzōkyō 大日本续藏经集本, composé de 150 liasses, 750 fascicules, fut réalisé sous le règne de l’empereur Meiji entre 1905 et 1912 à Kyoto par la bibliothèque d’Etat des manuscrits bouddhiques Zusho-ryō et reproduit par la Presse commerciale de Shanghai en 1923. Le Catalogue de tous les livres bouddhiques de S. Fujii (Kyōto, Meiji 1898) est inclus dans la collection Pitaka au Japon et en Chine et contient un index alphabétique.

Ananda

Ananda

Il faut parfois s’arrêter en chemin avant de pouvoir reprendre sa route...

Le bouddhisme chinois des premiers jours était-il sous l’influence idéologique de la religion taoïste (玄學autrement nommé 老莊) ou vice versa ? S’agit-il d’un langage emprunté maladroitement aux taoistes pour mieux répandre la pensée du Bouddha ? Les quatre dimensions incommensurables spirituelles 四無量心 catvāri apramāṇāni, autrement nommées les quatre équanimités 四等 ou égalités d’âme, sont dans la doctrine bouddhique la sympathie (与乐 le partage de la joie), la compassion (拔苦 l’acte de conforter autri dans sa douleur), la joie, le détachement.

慈 ou le partage de la joie, la bienveillance 仁愛 en tant que vertu dans l’âme. Il s’agit, me semble-t-il, d’une qualité morale, une disposition généreuse à l’égard de l’humanité, une gentillesse d’esprit, une noblesse d’âme, une bonhomie, je veux dire sympathie.

悲 ou commisération, compassion, c’est-à-dire le sentiment que nous éprouvons face à la souffrance d'autrui.

喜 ou réjouissance, la joie ressentie pour l’autre.

捨ou renoncement, l’abnégation, le désintéressement, je veux dire détachement dans le sens de l'âme libérée des attaches du monde.

布 signifie le don matériel, 施 signifie se sacrifier au profit d’autrui. Celui qui en a les moyens donne à celui qui en a besoin, c’est ce qui s’appelle 布施. 

Ce sont les quatre dimensions incommensurables spirituelles 慈(Maitrī), 悲(Karuṇā),喜(Muditā), 舍(Upekṣā)qui profitent à autrui, le consolent et le confortent, c’est ce qui s’appelle布施.Comment se passe l’acte véritable du don ? C’est par des biens matériels, par l’enseignement bouddhique et par la confiance insufflée. C’est par l’humilité et le respect sans en attendre les honneurs. L’esprit pur, c’est ce qui s’appelle la non-substantialité du don.

L’existence se vit en soi et dans la multitude des autres. Comment expliquer l’échange entre les êtres, la confrontation du premier instant, ce premier contact du regard ? C’est faire le don de l’existence de son être auquel répond celui qui reçoit la manifestation de l’existence de l’autre.

Meditation de dos (2015)

Meditation de dos (2015)

PREFACE AU SUTRA DE LA SAPIENCE ADAMANTINE QUI MÈNE SUR L’AUTRE RIVE du sixième patriarche, le grand maître Huineng de Caoxi  

 

 

Le Sūtra du diamant considère l’absence d’attribut comme la Doctrine, l’absence de demeure comme la Substance (1) et la subtile réalité comme son Usage. Dès lors que Bodhidharma est venu de l’Ouest, il a eu pour dessein de transmettre ce sūtra afin que les êtres voient leur nature et s’éveillent à sa quintessence. Ce n’est que parce que les êtres du monde ne voient pas leur nature que la loi a été établie pour la découvrir. Si les êtres du monde voyaient tout à fait la substance fondamentale de ce qui est, il n’y aurait pas établir de loi. Innombrables sont les lecteurs de ce sūtra ! Infini est le nombre de ses laudateurs ! Ses commentateurs  et glossateurs sont au total plus de huit cent. Les principes qu’ils prêchent obéissent à leurs vues respectives. Et bien qu’elles soient différentes, il n’y a pas de dualité (2) dans la loi. Ceux dotés de racines supérieures, plantées lors des vies antérieures, comprennent dès qu’ils l’écoutent. Sans la sagesse (3) des vies antérieures, ils ne s’éveilleraient pas au sens bouddhique en dépit de force récitations. C’est pourquoi j’explique le sens sacré afin de trancher et d’extirper le doute dans l’esprit des disciples. S’ils saisissaient indubitablement l’essence de ce sūtra, il n’y aurait pas lieu de l’expliquer. La bonne loi, prêchée autrefois par l'être Vérité (4) a pour dessein d’extirper ce qui n’est pas bien dans l’esprit de l’être commun. Le sūtra est la parole de l’être saint. Faites que les êtres l’écoutent de sorte qu’ils transcendent le profane, s’éveillent au sacré et apaisent à jamais leur esprit égaré. Ce sūtra, toutes les créatures le possèdent foncièrement au sein de leur nature. Ceux qui ne voient pas d’eux-mêmes ne font que réciter les écritures. S’ils s’éveillaient à leur esprit originel, ils sauraient que le sūtra n’y réside pas (5). S’ils peuvent être éclairés sur leur nature propre, ils croiront que de ce sūtra émanent tous les bouddhas. A présent, de crainte que tous les êtres du monde recherchent le bouddha hors de leur corps et qu’ils s’enquièrent au-dehors sans intérieurement ni manifester leur esprit ni observer le sūtra, j’ai composé ces aphorismes de sorte que tous les disciples observent intérieurement le sūtra de l’esprit et voient d’eux-mêmes entièrement l’esprit pur et immaculé du bouddha. Combien incalculables ils seront ! Si, après sa lecture, des disciples doutent, leurs doutes se dissiperont au vu de ces commentaires. Ils n’auront plus besoin de ces aphorismes. Ceux qui aspireront à l’étudier verront ensemble la nature d’or au cœur du minerai. Grâce au feu de sagesse, ils le fondront et l’affineront. Le minerai disparu, l’or subsistera. Sākyamuni, notre maître originel, a prêché le Sūtra du diamant dans le pays de Srāvasti. Du fait des questions soulevées par Subhūti, le bouddha l’a prêché dans sa grande compassion. Ayant obtenu l’éveil à l’écoute de la loi, Subhūti a prié le bouddha de conférer un titre à sa prédication afin que les générations futures s’y conforment et l’observent. C’est pourquoi, dans le sūtra, dit-on, le bouddha y révèle que le sūtra a pour nom La sapience adamantine qui mène sur l’autre rive, et c’est sous ce nom qu’il doit être honoré. La sapience adamantine qui mène sur l’autre rive, prêchée par l'être Vérité, désigne la loi. Qu’est-ce que cela signifie ? c’est parce que le joyau du domaine adamantin a une nature foudroyante qu’il peut détruire tout élément. Bien que l’or soit extrêmement solide, la corne de bélier (6) peut le détériorer. Le diamant (7) symbolise la nature de bouddha et la corne de bélier, les passions. Bien que l’or soit dur et solide, la corne de bélier peut le briser. Malgré la solidité de la nature bouddhique, les passions peuvent la troubler. Mais même si les passions sont tenaces, la connaissance de sapience peut les rompre. Et même si la corne de bélier est solide, le fer forgé peut la détériorer. Ceux qui s’éveillent à ce principe verront entièrement leur nature. Le Sūtra du nirvāna dit :

Ceux qui voient la nature de bouddha ne s’appellent pas des créatures mondaines. Ceux qui ne voient pas la nature de bouddha le sont nommés.

Le symbole du diamant que prêche l'être Vérité est à l’intention des natures mondaines qui ne sont ni fermes ni solides. Même quand leur bouche récite le sūtra, la lumière ne jaillit pas. S’ils récitaient extérieurement et cheminaient intérieurement, la clarté serait uniforme. S’ils ne sont ni fermes ni solides intérieurement, sagesse et concentration se perdent. Quand la bouche récite et que l’esprit chemine (8), la sagesse est égale à la concentration. C’est le point ultime (9). L’or est au cœur de la montagne, mais la montagne ne connaît pas ce joyau ni le joyau ne connaît cette montagne. Et pourquoi ? Du fait de l’absence de nature. Puisque l’être possède une nature, il entreprend d’utiliser ce joyau. S’il obtient de rencontrer un orfèvre (10), il creusera la montagne qui s’effondrera. S’emparant du minerai, il le fondra et l’affinera afin de le changer en or fin. S’en servant à son gré, il parviendra à échapper à la misère. Au sein des quatre corps (11), la nature de bouddha y est aussi. Le corps symbolise l’univers et l’ego, la montagne. Les passions représentent le minerai et la nature de bouddha, l’or. La connaissance de sagesse se compare à l’artisan et le zèle et la vaillance, à l’acte de creuser. Au cœur de l’univers corporel, il y a la montagne de l’ego. Dans la montagne de l’ego, il y a le minerai des passions. Dans le minerai des passions, il y a le joyau de la nature bouddhique. Dans le joyau de la nature bouddhique,  il y a l’artisan de sagesse. Usez de l’artisan de sagesse pour que s’effondre en la creusant  la montagne de l’ego et voir le minerai des passions afin que le feu de l’illumination le fonde et l’affine et qu’apparaisse la nature propre de bouddha, adamantine, claire et limpide. C’est pourquoi le diamant est considéré comme son symbole puisqu’elle en porte le nom.  Saisir la vacuité sans cheminer intérieurement, cela n’est que le nom sans la substance. En expliquer le sens et poursuivre le cheminement, c’est disposer à la fois du nom et de la substance(12). En l’absence de cheminement, c’est là l’homme commun. Cheminant intérieurement, il est pareil aux saints . D’où le nom de diamant. Que nomme t-on prajñā ? Prajñā  (13) est un mot sanskrit. Dans la Chine des Tang, on parle de connaissance de sagesse. La connaissance ne surgit pas dans l’esprit du sot. La sagesse confère la capacité. La sagesse est la substance de la connaissance. La connaissance est l’usage de la sagesse (14). Si la substance est douée de sagesse, on usera de la connaissance sans égarement. Si la substance n’est pas douée de sagesse, on usera  bêtement de l’intelligence (15). Ce n’est qu’ignorance et inconscience sans éveil. C’est pourquoi  on cultive la connaissance de sagesse afin de les extirper. Que nomme t-on pāramitā  (16) ? Dans la Chine des Tang, on dit atteindre l’autre rive. Atteindre l’autre rive, cela signifie se détacher de la naissance et de mort. C’est seulement parce que les natures mondaines ne sont ni fermes ni solides qu’en toute chose, il y a l’attribut de naissance et de mort. Errer au fur et à mesure de destinées successives sans atteindre la terre d’ainsité, c’est cette rive-ci. Détenir la grande sagesse, plénitude en toute chose, et être détaché de l’attribut de naissance et de mort, c’est atteindre l’autre rive. Il est dit aussi : Lorsque l’esprit est égaré, c’est cette rive-ci. Lorsque l’esprit est éveillé, c’est l’autre rive. L’esprit hérétique, c’est cette rive-ci. L’esprit orthodoxe, c’est l’autre rive. Lorsque la bouche s’exprime et que l’esprit chemine, c’est le corps de loi ; le passage sur l’autre rive. Mais si la bouche s’exprime sans que ne chemine l’esprit, cela n’est pas le passage sur l’autre rive. Qu’appelle-t-on sūtra  (17) ? Sūtra est le sentier. C’est la voie par laquelle on devient bouddha. Si l’être ordinaire désire accéder à ce chemin, il devra cultiver intérieurement la pratique de la sapience jusqu’à l’ultime. S’il advient qu’il ne peut que prêcher et réciter sans que son esprit ne se conforme à la pratique, c’est qu’il n’y a aucun sūtra. S’il voit et chemine réellement, c’est que son propre esprit renferme le sūtra. C’est pourquoi ce sūtra, l'être Vérité l’a dénommé Le sūtra de la sapience adamantine qui mène sur l’autre rive.

(1) Cela rappelle, si l'on fait abstraction de la non-pensée, la section 17 du Manuscrit de Dunhuang:

...ma propre loi, porte de l'illumination, a toujours considéré, depuis les temps reculés, ... l'absence d'attribut comme la substance et l'absence de demeure comme le fondement… (Sūtra de la plate-forme, Catherine Toulsaly, You-Feng, 1992, p. 42)

(2) Aldoux Huxley a fait remarquer que, dans les langues indo-européennes, la racine du mot dualité signifiait deux connotations de choses mauvaises ( Revue Troisième Millénaire ).

(3) Edward Conze lui préfère le terme cognition ou gnose “The Diamond Sutra” Buddhist Wisdom Books, Londres: Unwin Hyman Limited, réédition 1988, p.73

(4) Celui qui ne va ni ne vient qui est la nature véritable, Vérité et que je traduirai par l'être Vérité .

Sans visage est la vérité. Lui ayant prêté le nôtre, nous l'avons rendu périssable. « De la divine Vérité, nous ne pouvions faire qu'une vérité humaine. Ainsi, du même coup, nous la livrions à la mort », avait-il écrit (E. Jabès, Le Livre du Dialogue, 1984, p. 100)

 

Mais le tathāgata est aussi celui qui s’en revient, car il s’en retourne à la vérité originelle, source commune à tous les bouddhas passés, présents et futurs. pourrait alors signifier 回来. Il est défini  dans Le traité de la grande vertu de sagesse de Nāgārjuna, Etienne Lamotte, Publications de l’Institut Orientaliste de Louvain, 1981, T.1, p.126 comme suit : De la façon dont les Buddha (antérieurs) s’en sont allés par le chemin de la sécurité, ainsi (tathā) le Buddha (actuel) s’en est allé (gata) et n’ira plus à de nouvelles existences. représente l’état d’intime et claire connaissance de la vérité originelle, auquel le bouddha a accédé.

Mais le bouddha ne va ni ne vient sinon son corps serait corps de métamorphose et puisqu'il ne va ni ne vient, son corps est corps de loi. D’après Daochuan, lorsqu'il y a allée et venue, position assise ou couchée, c'est là le corps de rétribution du tathāgata. S'il ne vient ni ne va, c'est là son corps de loi. Le corps de loi du tathāgata est tel quel, immobile. S'il y a mouvement, c'est le corps de rétribution.

Pour Huijing, tathāgata a le sens de zhenru 真如 (tathāta).

Selon Kuiji, tathāgata est pareil à la lune qui se reflète dans l'eau. Lorsque l'eau est claire, elle apparaît. Lorsque l'eau est trouble, fangeuse, elle disparaît. Mais à l'origine, la lune ne va ni ne vient. Ce n'est qu'à cause de l'eau qu'il y a naissance et extinction.

(5) …Laissez être en nous la nature ; alors elle se montre et se donne sans papier ni encre… Paracelse (XVe siècle), étude parue dans les Cahiers de l’hermétisme, Paris 1980, p.23.

(6) L’édition du Xuzangjing 续藏经 (38-4, p.330) se lit 羚 (antilope) tout comme les manuscrits n°et n°5 (1655) présentés dans l’étude comparative de Enô Kenkyû (Tokyo, 1978, p.419-420). En revanche, les manuscrits les plus anciens, présentés dans la même source, donnent le caractère (bélier).

(7) Que symbolise le diamant ? Le diamant sert dans sa forme d’expression au langage de la sapience. Le risque est néanmoins que l’on puisse, contre toute attente, être perdu – voire troublé – par cette construction métaphorique. Selon Jizang 吉藏(T.1699), le diamant est l’aspect phénoménal tandis que prajñā est le principe essentiel . D’après la plupart des commentateurs, dont Huineng, qui se réfèrent à la signification du mot diamant en chinois, c’est l’entité solide au cœur de l’or. Huineng dit qu’il faut dégager l’or de sa gangue. Dégager l’or pur de la gangue, autrement dit faire en sorte de voir sa propre nature. C’est par la découverte de la nature propre que toutes les passions sont tranchées. Il est mis en évidence le caractère à la fois brillant et coupant du diamant, symbole de la sapience. Sa brillance rappelle l’usage de la lumière sapientiale dans le 坛经. Toutefois, débarrasser le minerai de sa gangue pour en dégager l’or pur, cela ne signifie-t-il pas dépoussiérer le miroir de l’esprit adamantin afin de découvrir la nature bouddhique? Il est à noter que pour introduire sa définition, Huineng emploie l’expression joyau de l’univers adamantin, c’est-à-dire le domaine de la vertu de connaissance du Bouddha Vairocana 大日 par la lumière duquel tout s’éclaire. En conclusion, le terme diamant s’emploie pour qualifier ou symboliser divers concepts et objets dès l’instant où ils représentent ce qu’il y a de plus subtil, exquis, fin et solide à la fois dans la loi bouddhique. Il peut aussi bien décrire le sūtra ou encore la loi.

(8)  …En chaque chose il y a une bouche par laquelle son esprit révèle ce qui est en elle. Cette bouche parle de l’abondance du cœur…Paracelse, ibid., p.76

(9) Le terme ultime a le sens de finalité. Là où il n’est plus besoin de poursuivre sa quête.

(10) La rencontre avec l’orfèvre rappelle celle avec le bienveillant ami ainsi mentionné dans le Sûtra de la plate-forme, section 31, p.58 : Si vous ne pouvez vous éveiller par vous-mêmes, vous devez rechercher un grand ami bienveillant afin qu’il vous montre la voie vers la vision de votre nature.

(11) D’après Le traité de la grande vertu de sagesse de Nāgārjuna, T.1, p.27 : Il y a quatre points de vue (siddhānta) : 1. le point de vue mondain,2. le point de vue individuel,3.le point de vue thérapeutique,4.le point de vue absolu. On peut rapprocher ces quatre points de vue des quatre corps mentionnés dans le 坛经, section 20, à savoir le corps formel, le corps de métamorphose, le corps de rétribution et le corps de loi. J’ajouterai parallèlement que dans la Légende du Graal, il est fait état de la base quaternaire du Soi, correspondant aux quatre fonctions de la conscience identifiées au Démon, au Fils, à Dieu et au Saint-Esprit.

(12) Notons que si l’on ne peut dépendre des mots, l’on ne peut par ailleurs séparer le mot de la substance, le mot devant représenter la valeur intrinsèque de l’objet. Il m’importe d’inclure ici un article de la revue du Troisième Millénaire (n°28, p.10-13) intitulé La vision de beauté d’Ibn Arabi dans lequel son auteur Pir Vilayat Inayat Khan, chef ésotérique de l’Ordre Soufi International, écrit : Pour se hisser jusqu’à la sphère de la métaphore, on a besoin d’expériencer (sic) ; la beauté nous dévoile la plénitude enfouie en nous-mêmes. Si les formes dévoilent un sens, c’est parce qu’elles servent d’expression à un langage qui met en forme ce sens…Traditionnellement, ce langage est celui des sons (le verbe). Les Soufis parlent du « nom » de toutes choses… Pour pouvoir accéder à l’intention divine à travers Ses noms, il faut contempler ces noms, en découvrant en eux la même beauté que celle que l’on cherchait dans la forme. Pour cela on a besoin de participer de ce niveau métaphorique qui est facilement voilé par ses propres constructions mentales… le mystique acquiert l’intelligence que Dieu a de Lui-même dans ce qui est essence de Son être, tandis que, par l’intermédiaire des attributs, noms et qualités qui manifestent Son essence en la caractérisant, elle devient, en quelque sorte, connue d’une manière dérivée.

(13) Prajñā englobe le sens de la triple sapience : 1. La sapience de l' attribut réel qui est aussi l'esprit de l'ainsité, 2. La sapience de la contemplation éclairée, 3. La sapience des expédients (ou des écritures). C'est la sapience qui permet de contempler l’attribut de la réalité et dont le premier pas passe par les écritures ou expédients. Voici la définition qu’en donne Albert Low (Troisième Millénaire, n°29, p. 22) : Le mot Prajñā est composé de deux parties : pra et jñā. Pra signifie éveillé et jñā, connaissance primordiale ou connaissance sans contenu.

(14) Dans le Sûtra de la plate-forme, section 15, il est question de la concentration et de la sagesse, non pas de la connaissance et de la sagesse :La lampe est la substance de la lumière. La lumière est l’usage de la lampe.

(15) Ma traduction de 智慧 est fort hésitante. Disons que je traduirai indifféremment par connaissance ou intelligence. La raison qui m’amène notamment à employer le terme intelligence est que l’intelligence est à la fois l’action et la faculté de comprendre intuitivement, la vision intuitive étant l’acte de l’intelligence par lequel les bienheureux connaîtront Dieu en lui-même, clairement et immédiatement (Dictionnaire de la langue philosophique, p.383). Pir Vilayat Inayat Khan définit les termes conjugués connaissance et sagesse de la manière suivante : La connaissance est un voile sur le connu et la sagesse une porte devant laquelle on s’arrête…(op.cit., p.14) 

(16) A l'origine pāramitā avait pour traduction ancienne traverser l'infini, repris par Zhiyi, qu'il suffit de rapprocher de son emploi originel dans Laozi, section 28, (Lao-tzeu, La Voie et sa vertu, François Houang et Pierre Leyris, Editions du Seuil, 1979, p.75):

复归于无及 C'est retourner au Sans-limites

Prajñāpāramitā a deux significations : 1. Prajñā qui permet de passer sur l’autre rive, 2. L’ultime prajñā, la suprême sapience. 

(17)Sūtra, c’est la voie de la communion.  C'est dans la communion à l'attribut réel que devient possible le passage sur l'autre rive.  

Sūtra signifie à l'origine fil, ligne. Il s'agit de suivre la ligne directrice.

The Fragility Within

The Fragility Within

En préface de son commentaire sur le Vajracchedikâ Sûtra (Le Sûtra du Diamant), Huineng dit :


Dans l’univers existentiel, il y a la montagne de l’ego. 

A l’intérieur de la montagne de l’ego, il y a la mine des passions.

Dans la mine des passions, il y a le joyau de la nature bouddhique.

Au cœur du joyau de la nature bouddhique, il y a l’orfèvre de sagesse.

Que l’orfèvre de sagesse perce la montagne de l’ego et découvre la mine des passions.

Par la fonte du minerai sous le feu de son illumination, il verra le diamant de la nature bouddhique qui brillera par la pureté de son éclat. 

Huineng (638-713), le sixième patriarche du bouddhisme Zen, était un pauvre indigène du sud qui vendait du bois sur la place du marché. Pendant huit mois, il pila le grain au service de la communauté monastique de son prédécesseur Hongren. La pratique ascétique non pas qu’elle soit dévalorisée devient celle de tous les jours - en marchant, debout, assis ou couché. Le laïc qui n’a pas la possibilité de réciter à longueur de journée les sûtras ni de pratiquer la méditation des heures durant voit avec joie que cette conception de l’éveil est à  sa portée, qu’elle est la voie de son salut:

Mes bienveillants amis, si vous désirez cultiver (la pratique bouddhique), vous réussirez même si vous êtes laïques. Il n’est pas nécessaire d’habiter un temple (Sûtra de la plate-forme, section 36, You Feng, 1992).

Le personnage de Huineng n’est pas unique en son genre. L’histoire du bouddhisme indien donne notamment pour exemple Suddhipanthaka qui connut le grand éveil en balayant le sol. Deux conclusions s’imposent :

  1. L’ingratitude de leurs travaux manuels est le témoignage, par les textes, de la compassion qui caractérise le système mahayanique pour la douloureuse condition humaine.
  2. L’éveil se forge en l’esprit et n’a rien à voir avec la nature de nos occupations.

On peut aussi en déduire que le génie est un trait de l’humanité. Les êtres humains sont égaux devant l’éveil et, de ce fait, les plus durs labeurs acquièrent toute leur noblesse.

Bien que, parmi les hommes, il y ait ceux du Sud et ceux du Nord, il n'y a précisément ni nord ni sud dans la nature bouddhique. Bien que mon corps d'indigène soit différent du vôtre, maître, comment nos deux natures bouddhiques seraient-elles inégales? (section 3)

Deux stances, deux conceptions de la vie :
Le corps est l’arbre d’éveil
L’esprit ressemble au support d’un miroir brillant
Appliquez-vous à l’essuyer constamment
Afin qu’aucune poussière ne s’y dépose

A l’origine, il n’y a pas d’arbre d’éveil
Et le miroir brillant  n’a pas de support
Puisque la nature de bouddha est toujours pure et immaculée

Où donc adhère la poussière?   (Sûtra de la plate-forme)

身是菩提树,心如明镜台,时时勤拂拭,勿使惹尘埃 

菩提本无树,明镜亦非台,佛性常清净,何处惹尘埃

(Manuscrit de Dunhuang)  

L’image du miroir brillant est très présente chez les mystiques, qu’ils soient taoïstes ou bouddhistes Zen. Dans la traduction française Tchouang-Tseu, œuvre complète, de Liou Kia-hway (Gallimard), on peut lire au chapitre V, La vertu surabondante et authentique :Sur un miroir brillant, la poussière ne se fixe pas ; si la poussière s’y fixe, le miroir n’est plus brillant.  (p.60) 鑑明則塵垢不止,止則不明也.

L’histoire symbolique du vent et de la bannière fait partie de ces récits de l’histoire du bouddhisme Zen (Chan) dont se dégage un enseignement chargé de poésie. Elle est à rapprocher de celle du papillon et de Zhuangzi. L’esprit est pareil à  un papillon volant inlassablement. La légende 曹溪大师别传  rapporte que les moines qui souvent débattaient du sens des choses épiloguaient sur la bannière qui flottait au vent.Le premier disciple déclara: “La bannière est inanimée. C’est le vent qui l’agite” Le deuxième dit: “Le vent et la bannière sont tous deux inanimés, comment pourraient-ils faire un mouvement?” Le troisième commenta : “Parce que les conditions sont harmonieusement réunies, le vent et la bannière ensemble produisent un mouvement.” Le quatrième affirma: “Ce n’est pas la bannière qui s‘agite. C’est le vent qui circule naturellement.“ La communauté débattait, vociférant sans fin. Le Grand Maitre Huineng les interrompit et dit à haute voix: “La bannière, pas plus que le reste, ne s‘agite. Le mouvement dont vous parlez, c’est l’esprit de l’homme lui-même qui le crée.” Le temple Guangxiao à Guangzhou 光孝寺 est celui dans lequel l'histoire de la bannière et du vent se serait  déroulée. Je n'avais  jamais considéré auparavant l'agencement d'un temple comme la representation spatiale de nos trois natures. 

A l’origine, si je vins au pays des Tang,

Ce fut pour transmettre l’enseignement

Et sauver les êtres sensibles qui sont égarés,

Comme une fleur ouvrant ses cinq pétales,

Et dont le fruit formé mûrirait naturellement 

(Sûtra de la plate-forme, You Feng, 1992, p.84)

 Connaître les choses, ce n’est pas les saisir telles que nous les voyons. Il faut que  leur réalité invisible nous apparaisse, et pour cela, nous devons la rendre visible à notre esprit… Pour connaître les choses, l’homme doit les faire éclore. Qu’est-ce que cela veut dire ? Toutes choses sont créées non pas avec leur réalité entière et définitive, mais comme des semences qui devront germer, puis donner une plante avec des fleurs et des fruits…(Paracelse, volume 7 des Cahiers de l’hermétisme, p. 77, Albin Michel, 1980)

Profil de Bodhisattva

Profil de Bodhisattva

La tradition veut que Bodhidharma accosta en 527 sur la rivière de perles dans la ville de Guangzhou. Il fut invité par l'Empereur Wu de la dynastie Liang à se rendre à la capitale Nanjing.

« Il a été rapporté à votre disciple que, lorsque le grand maître Bodhidharma convertit l’empereur Wu, ce dernier lui demanda : « Y a-t-il des vertus méritoires pour avoir, toute notre vie, érigé des temples et accordé des dons et des offrandes ? » « Aucunement. » lui affirma Bodhidharma. Désappointé, l’empereur Wu le chassa hors de son territoire. Je ne saisis pas ces paroles et vous prie, maître, de les expliquer. »
Le sixième patriarche déclara :
«  Il n’y a réellement aucune vertu méritoire. Préfet, ne doutez pas des paroles du grand maître Bodhidharma ! Attaché à la voie hérétique, l’empereur Wu n’avait pas conscience de la loi orthodoxe. »
« Pourquoi n’y a-t-il aucune vertu méritoire ? » s’enquit le préfet.
Le maître répondit :
« Bâtir des temples, répandre des dons et offrandes, ce n’est que cultiver des bénédictions qui ne peuvent être considérées comme des vertus méritoires. Les vertus méritoires sont immanentes au corps de loi et ne se cultivent pas dans le champ de bénédictions. La nature propre de loi embrasse les vertus méritoires. Voir sa nature constitue le mérite ; la droiture forme la vertu. Au-dedans, voyez la nature de Bouddha ; au-dehors, témoignez votre vénération. Si, méprisant tous les hommes, vous ne tranchez pas votre ego, vous serez naturellement privés de vertus méritoires. Et si notre nature propre est vaine et fausse, votre corps de loi en sera dépourvu. A chaque pensée, que votre  vertu s’exerce, l’esprit indifférent et droit, ainsi elle ne sera pas médiocre. Témoignez constamment votre vénération ! Le mérite, c’est cultiver son corps ; la vertu, c’est cultiver son esprit. Les vertus méritoires sont créées par l’esprit. Elles sont différentes des bénédictions. L’empereur Wu n’avait pas conscience de ce principe authentique. Ce n’est pas notre patriarche, le grand maître, qui se trompait. »
(Sûtra de la plate-forme, section 34, p.62, You-Feng, 1992)

Puis il traversa le Yangzi Jiang pour se rendre au temple Shaolin. C'est là dans une caverne derrière le temple qu'il demeura neuf ans avant de mourir en 536. Le Supplément aux biographies des moines éminents de Daoxuan offre toutefois des détails plus crédibles sans mentionner l'hypothétique rencontre avec l'empereur. D'après cette source, Bodhidharma serait arrivé vers 479 et donc cinquante ans plus tôt. L'image de Bodhidharma traversant les eaux est symbole de rejet du mondain et de défiance. Selon Tracing Bodhidharma par Andy Ferguson, l'aspect fantaisiste de l'histoire entourant Bodhidharma a amené certains experts du bouddhisme comme Bernard Faure à rejeter entièrement le personnage de Bodhidharma. Bodhidharma ne mériterait pas d'être considéré comme un personnage historique. Andy Ferguson s'y oppose complètement.

Comment la sinisation du bouddhisme indien s'est-elle déroulée ? C'est la terminologie chinoise qui a servi à l'expliquer, Les termes employés étaient déjà empreints d'une signification prédéterminée venant notamment de la philosophie taoïste, respectueuse de la nature et imprégnée de magie. Le bouddhisme parvint en Chine 500 ans avant l'arrivée de Bodhidharma. Il faut rappeler que des moines zen l'ont précédé, alors pourquoi est-il considéré comme le précurseur du bouddhisme Zen? Probablement du fait de ses descendants directs qui ont contribué à sa légende.

Pose assise

Pose assise

La tradition veut que Bodhidharma se soit assis au pied d’un mur pendant neuf ans, son esprit vidé de toute agitation, muré dans un silence absolu à l’intérieur de lui-même sans proférer un mot à l’extérieur de lui-même parce que les mots sont devenus obsolètes et parce qu’il cherche intuitivement de sa main la poignée de la porte de l’éveil. Après avoir obtenu les manuscrits bouddhiques qu’ils étaient venus chercher  au terme d’un périple de quatorze années, le moine Xuanzang et ses trois compagnons ont découvert à leur insu que les livres sacrés ne contiennent que des pages blanches parce que le mot est illusoire, parce que l’enseignement bouddhique est indicible. Le concept du bouddha historique est l’un des plus familiers et fondamentaux dans le domaine des études bouddhiques, mais c’est aussi l’un des plus problématiques car il porte le plus à confusion. D’un côté, il est universellement admis que le Bouddha a existé,  de l’autre, plus de deux cents ans de recherches académiques n’ont pas réussi à établir son existence. Bien que l’on répète que le Boudha était Siddhārtha Gautama du clan des Śākya, le nom de Siddhārtha (et ses variantes Sarvārthasiddha, etc.) n’est attesté dans aucune des sources les plus anciennes, notamment dans le canon pali ou dans des sources non bouddhiques. De plus, d’après la tradition ancienne, les Śākyas avaient été anéantis avant le décès du Bouddha, ce qui laisse supposer que même les auteurs du canon bouddhique ignoraient probablement leur existence. Le clan entier pourrait bien n’être qu’un mythe. Il reste le nom de Gautama qui est moins un nom qu’un épithète identifiant le Bouddha comme étant associé au clan Gautama, l’une des huit lignées brahmaniques anciennes dont l’origine remonte aux sept patriarches védiques.Mais faut-il croire les légendes ? Si ni le bouddha historique ni même Laozi n’ont existé et que d’après certains experts, Bodhidharma n’avait aucun lien direct avec le bouddhisme chan , alors les mots sortis de la bouche de personnages imaginés de toutes pièces effectivement sont vains. Laisser faire le temps...  craqueler et mûrir sous le jeu des ombres et des lumières. La parole et l'image sont trompeuses car ni l'une ni l'autre ne prennent en compte le temps. Les mots altèrent la vérité des images et des sons et la parole corrompt l’intuition auditive et visuelle. Au temps d’avant les mots, quelle est la constante universelle ?  L’énergie autrement nommée le souffle. Les vents chauds apportent la vie au gré des mouvements tectoniques qui embrasent la croûte terrestre sous l’impulsion du magma souverain. L'Esprit transcende toutes les formes de vie animales, végétales, humaines. Dans tout phénomène il y a une part de manifeste et une part de caché, une idée de sacralité…

Bodhidharma

Bodhidharma

Il est dit dans le Vajracchedikā Sūtra: Tout attribut, quel qu'il soit, est vain et faux. (Sūtra de la plate-forme, section 7, p. 34)

 

 

LE SUTRA DE LA SAPIENCE ADAMANTINE QUI MENE SUR L’AUTRE RIVE


 SECTION UN : RAISON ET MOTIF DE L'ASSEMBLEE DE LA LOI

 

S (1). Ainsi c’est ce que j’ai entendu(2).

C. Ainsi  (3) indique le sens. C’est fixe les termes. La loi que Ananda (4) désigne par ainsi c’est, ce moi l’a entendu du bouddha. Il est clair que ce n’est pas lui-même qui la prêche. C’est pourquoi il est dit : Ainsi c’est ce que j’ai entendu. En outre, je  est la nature et la nature est je (5). L’activité intérieure et extérieure émane de la nature qui entend tout (6). C’est pourquoi il proclame : J’ai entendu.

 

(1) S. désigne le texte du Sūtra. C. désigne le Commentaire attribué à Huineng.

(2) Dans le commentaire attribué à Nāgārjuna 龙树 du Prajñāpāramitā Sūtra (T.223), l’auteur explique les divers termes et expressions qui forment l’introduction, sorte de profession de foi traditionnelle. La phrase introductive evam mayā srutam ekasmin samaye aurait répondu à une des interrogations d’Ananda au Bouddha, suggérées par Anirudda, l’un des dix grands disciples de Sakyāmuni, à savoir : Après le Parinirvāña du Bouddha, quel chemin suivrons-nous ? Qui sera notre maître et notre conducteur ?Quelle sera notre retraite ? Quelles paroles mettrons-nous au début des textes bouddhiques ? (Le traité de la grande vertu de sagesse de Nāgārjuna, T.1, chap.3, p.85). En premier lieu, evam mayā srutam 如是我问 atteste de la provenance des textes sacrés, c’est-à-dire qu’ils furent prononcés par le Bouddha en personne et ne sauraient être contestés. En général, les sūtras commencent par ces quatre caractères. Le fait qu’ils soient en majorité rapportés par Ananda, sage d’entre les sages, confirme qu’ils sont des œuvres de référence : la loi bouddhique n’est pas seulement les prédications sorties de la bouche du Bouddha, c’est aussi toutes les bonnes paroles répandues dans le monde. Les paroles adroites, bien dites proviennent toutes de la loui bouddhique. (op.cit., p.80-81). Evam  se réfère à la foi droite et pure en la loi exempte de querelle evam mayā srutam  du Bouddha, impliquant la profondeur et la vérité du discours bouddhique. Mayā  indique le moi. Même si cela est en contradiction avec un système qui pose en thèse l’Anātman, c’est pour se conformer à l’usage courant. Il ne s’agit pas d’affirmer que le moi possède une entité réelle ou essentielle mais il est communément accepté de dire ainsi. Srutam  englobe les trois étapes de l’audition : l’organe auditif, la conscience auditive et la conscience mentale.  Lorsque le son parvient au champ de l’audition et lorsque le manas veut entendre, la réunion de l’objet (c’est-à-dire du son) et du manas détermine la naissance d’une connaissance auditive. A la suite de cette connaissance auditive naît une connaissance mentale qui peut analyser toutes les sortes de causes et conditions et parvient à entendre les sons.  (id., p.71-72)

(3) De Harlez traduit par c’est ainsi que je l’ai entendu dire. C’est ainsi que signifie voilà comment et ne renferme pas  le même sens que Ainsi c’est ce que j’ai entendu.

Rushi 如是 désigne ce sūtra. Wo désigne celui qui le rapporte. Entendu, c'est du bouddha qu'il l'a lui-même entendu ou encore que cela a été directement transmis entre les disciples du bouddha. Le narrateur dit que c'est ainsi que prêchait le bouddha, que c'est ainsi qu'il l'a entendu et que c'est ainsi qu'il va à présent le réciter en parfait accord avec les paroles du bouddha. Rushi 如是marque la foi car quand on y ajoute foi, on dit que c'est ainsi et lorsqu'on y ajoute pas fois , on dit que ce n'est pas ainsi. Parce que la loi bouddhique est abstruse, si bien que seule la foi permet de la pénétrer.

Ru exprime le reflet du miroir. Shi exdprime que la vague demeure eau et que l'eau demeure vague (Daochuan).

(4) Dans le Le traité de la grande vertu de sagesse de Nāgārjuna, T.1, chap.3, il est expliqué la raison pour laquelle c’est Ananda qui, par tradition, rapporte les sūtras. Après l’entrée dans le nirvāña du bouddha, l’assemblée des milles arhats sous le commandement de Mahākāsyapa 迦叶 s’était réunie sur le mont Grdhrakūtaparvata 耆阇崛 , la montagne du Pic des vautours, proche de la cité de Rājagrha 王舍城 (p.189). Dans la mesure où Sāriputra 舍利子, Mahāmaudgalyāyana 大目乾连 ainsi que Gavāmpati 牛跡 avaient tous trépassé, Anirudha 阿那律aurait soutenu qu’Ananda était le seul à pouvoir rapporter la loi bouddhique et compiler la corbeille de loi des sūtras et celle de l’ bhidharma (recueil de traités et textes philosophiques). Upāli 戒波离est celui qui compila la Corbeille de loi de Vinaya.

(5) Il est difficile de retrouver dans d’autres commentaires les paroles de Huineng.  Le maître Daochuan décrit je comme la nature propre et autonome mais aussi pure, nue et fuyante. Il s’agit d’une reconnaissance de soi mais elle implique deux entités qui, si l’on demeure immobile, peuvent se fondre, l’une vibrant dans l’autre tel le vent dans le bois de pins (Daochuan).

Dans金刚般若波罗蜜经述义, celui de Zhou Zhi’an 周止菴, il est dit  que ce je a trois sens (p.6). Le premier 见心说我。Comment peut-on voir sa propre nature et dire je ? C’est parce qu’au sein de la nature se trouve le je。Le deuxième 慢心说我 l’arrogance est le moi. Le troisième fait simplement référence à l’usage conventionnel qui atteste du rôle d’Ananda.

(6) qui entend tout exprime l’omniscience de la nature et rappelle l’expression sanskrite bahusruta. Il faut comprendre par entendre le fait de connaître. Entendre les sūtras, c'est comme entendre le cri strident des animaux transperçant les nuées de fumée (Daochuan).

« Ainsi c’est ce que j’ai entendu » est une expression à la fois simple et célèbre, en sanskrit  evaṃ mayā śrutam et en chinois  如是我聞. Pourtant fallait-il mettre un point (ou deux) après ces mots suivant la ponctuation adoptée par CBETA ?Ainsi c’est ce que j’ai entendu : (evaṃ mayā śrutam). Fallait-il lier ces mots avec ce qui suit ? 如是我聞一時 Ainsi c’est ce que j’ai entendu alors.  (evaṃ mayā śrutam ekasmin samaye). 如是我聞一時佛在… Ainsi c’est ce que j’ai entendu alors que le bouddha se trouvait ... (evaṃ mayā śrutam ekasmin samaye bhagavān  …  viharati sma …). D’après l’article de Jan Nattier, il est possible que l’expression ait été introduite par Kumārajīva lui-même. Avant le IVème siècle, quasiment tous les sutras commençaient avec l’expression réduite  聞如是 --- “Ainsi a-t-on entendu ---śrutam evam mayā. D’autres versions plus rares ont également été rapportées notamment (我)聞如是 ou simplement 佛在.

Bodhidharma

Bodhidharma

S. Le bouddha se trouvait alors dans le pays de Śrāvasti, dans le bois de Jeta, dans le parc de Anāthapindada.

C. Lorsque l’on dit alors (1), c’est lorsque l’assemblée des maîtres et apprentis (2) se réunissait au complet. Le bouddha est le prédicateur de la loi. Se trouvait veut éclairer sur le lieu. Śrāvasti (3) est le pays du roi Pāsenādi (Prasenajit). Jeta est le nom d’un prince. Comme le bois est un don (4) du prince Jeta, l’on dit par conséquent le bois de Jeta.  Anāthapindada  est l’autre nom du vénérable Sudatta (5). Comme le parc appartenait à l’origine à Sudatta, l’on dit par conséquent le parc de Anāthapindada. Bouddha (6) est un vocable sanskrit. Dans la Chine des Tang, l’on dit l’éveillé. L’éveil possède deux sens. Le premier est l’éveil extérieur. C’est contempler la vacuité de toute chose (7). Le second est l’éveil intérieur. C’est savoir (8) que l’esprit vide et tranquille n’est pas souillé par les six poussières. Comme il ne voit pas extérieurement les fautes d’autrui et qu’il n’est pas troublé intérieurement par ce qui est faux et illusoire, il est donc nommé l’éveillé. L’éveillé, c’est le bouddha.

 

(1) A noter que l’expression  ekasmin samaye n’est pas séparée dans les textes sanskrits de l’assertion précédente evam mayā srutam,  à l’inverse des sources chinoises. Dans le Traité, T.1, p.73, l’aspect unitaire de ekasmin n’est souligné, dit-on, que pour se conformer au langage courant. Car il n’y a ni unicité ni pluralité ni existence temporelle et donc ni temps distinct samaye. Il s’en suit l’irréalité du temps absolu. Remarquons que samaye se traduit en fait pas occasion, circonstance et non par temps (kāla). Il va de soi que l’expression  alors est pour mieux cacher que l’on a aucune idée sur la date exacte à laquelle l’assemblée s’est réunie.

 

Lao-tzeu, La Voie et sa vertu, François Houang et Pierre Leyris, Editions du Seuil, 1979, p.73

Tao Tö King, Le Livre de la Voie et de la Vertu, J-J-L. Duyvendak, Edition Adrien Maisonneuve, Paris, 1981, p.61

L’homme de bien est le façonneur de l’homme de mal

L’homme de mal est le matériau de l’homme de bien

L’homme bon est l’instructeur de ceux qui ne sont pas bons, et ceux qui ne sont pas bons sont les matériaux de l’homme bon.

(2) L’emploi du caractère  资se réfère à l’emploi original qui en est fait dans Laozi, section 27 :

 

 

 

 

 (3) En introduction, il est fait mention du lieu, du temps ainsi que des personnages qui attestent de l’authenticité du texte. le pays de Śrāvasti est la province du Kosala dont la capitale Śrāvasti porte le nom du fondateur. Située au nord du Gange dans l’Oudh, c’est l’actuel bourg de Saheth-Maheth.. Parmi les lieux où le bouddha résida, il y eut pour les plus célèbres Rājagrha – l’actuel Rajgir identifié par Sir J. Marshall -, Kapilavastu 伽毗黎 – près du village de Paderia au Népal – et Vārānasī 波罗奈 – l’actuel Bénarès. Le bouddha aurait longtemps vécu dans la grande cité de Śrāvasti afin de sauver ses nombreux habitants et parce que le Kosala était sa province natale. La préférence du bouddha pour les lieux cités s’explique par le fait que leurs habitants sont des hommes dotés de racines de bien (op.cit., p.174-178). A Śrāvasti se trouvent plusieurs haltes dont Mrgāramātrprāsāda – monastère construit dans le Pūrvārāma à l’est de Srāvastī par la nonne Visākhā -, Rājakārāma – érigé par Prasenajit – et Jetavanavihāra que mentionne Faxian dans sa relation (A Record of Buddhistic Kingdoms, James Legge, réédition 1991, p.56) :  As you go out from the city by the south gate, and 1,200 paces from it, the (Vaisya) head Sudatta built a vihāra, facing to the south ; and when the door was open, on each side of it there was a stone pillar, with the figure of a wheel on the top of that on the left, and the figure of an ox on the top of that on the right. On the left and right of the building the ponds of water clear and pure, the thickets of trees always luxuriant, and the numerous flowers of various hues, constituted a lovely scene, the whole forming what is called the Jetavana vihāra…

(4) Le terme fait référence à un don, une offrande. pourtant selon l'histoire traditionnelle, les bois auraient été vendus et pas simplement donnés par le printe Jeta au riche marchand Anāthapindada.

(5) Sudatta fut ministre de l’état de Srāvastī (Lee Shaochang, p.27). Son autre nom Anāthapindada fait référence à sa grande  charité.

(6) Parmi les différents épithètes qualifiant Sākyamuni, Kumārajīva a choisi pour introduire ce texte l’appellation bouddha alors que Bodhiruci (T.236), Paramārtha (T.237), Dharmagupta (T.238) ou encore Yijing (T.239) ont employé, nonobstant des graphies différentes, le terme  bhagavat traduit entre autres par vénéré du monde. Sākyamuni est nommé bouddha du fait de son omniscience.

(7) La vacuité de toute chose désigne leur attribut réel. J’emploie indifféremment  les termes objet et chose. Disons que je considère les choses comme le fruit de la loi de causalité (du latin causa) et les objets comme des représentations de l’esprit.

(8) Les quatrième et cinquième manuscrits présentés  dans Enô kenkyû (p.422) ainsi que l'édition du Xuzangjing (p.331) donnent le caractère zhu au lieu de zhi .

Bodhisattva (The Fragility Within)

Bodhisattva (The Fragility Within)

S. Il était ensemble avec la foule des 1250 grands (1) moines mendiants.

C. Lorsque l’on dit avec (2), c’est que le bouddha était avec les moines mendiants dans l’aire sans attribut de la sapience adamantine. C’est pourquoi l’on dit avec. Les grands moines mendiants, ce sont les grands arhats.  Bhiksu (3) est un mot sanskrit. Dans le pays des Tang, l’on dit  ceux qui peuvent briser les six ravisseurs (4). C’est pourquoi ils sont dénommés  bhiksu. La foule, c’est la multitude. Mille deux cent cinquante (5) est leur nombre. Ensemble, c’est qu’ils sont simultanément présents dans l’assemblée aux membres égaux devant la loi (6)

(1) Ici il est question de l’assemblée des grands bhiksu, expression confirmée par le commentaire de Huineng. Le traité, T.1, p.198-199, donne cette variante : Avec une grande assemblée de Bhiksu.

(2) sārdham « avec » marque l’unité de lieu, de temps, de pensée, de moralité, de vues, de chemin et de délivrance. (id., p.199)

(3) On prête plusieurs significations au terme bhiksu. Il s’agit d’un mendiant, de celui qui mendie à la fois pour nourrir son corps – nourriture terrestre – et son esprit – nourriture spirituelle. Ce besoin de spiritualité est souligné dans le 坛经, section 3: A présent que je suis venu de si loin vous saluer, je ne recherche rien d’autre que la loi bouddhique afin de devenir bouddha (Sūtra de la plate-forme, p.31). Selon sa première étymologie,  bhi signifie trancher et ksu signifie passion. On appelle Bhiksu l’homme qui a tranché ses passions. En seconde étymologie, bhi signifie épouvanter et ksu signifie pouvoir. (On appelle Bhiksu) celui qui a le pouvoir d’épouvanter le roi Māra et son peuple (Le Traité, T. 1, p.199-202). Il s’agit également de celui qui est entré en religion et qui a reçu les préceptes.

(4) les six ravisseurs que sont les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit sont cités dans le 坛经, section 31 : Etant doué d’une nature propre constamment pure, c’est rejeter les six ravisseurs par les six portes, et, au milieu des six poussières, n’être ni détaché ni souillé dans un libre va-et-vient. Par leur pouvoir de séduction, les six ravisseurs ravissent notre puissance et la richesse de la loi.

(5) Peut-on vraiment parler de 1250 bhiksu ? L’assemblée n’était pas qu’essentiellement composée de bhiksu. Le terme générique adopté est bhiksu. Les traductions du sanskrit font plus généralement référence à la présence de bodhisattvas et d’être supérieurs. Kuiji 窥基 (T.1700) confirme qu’en réalité il y avait dans l’assemblée des bodhisattvas et les huit catégories d’êtres.  Selon Max Müller (“The Vagrakkhedikâ or Diamond-cutter” (Anecdota Oxoniensia:1881) dans Sacred Books of the East, N.Y.: Dover Publications, 1969, vol.49, p.111), ce nombre comprend  500 disciples de Uruvilva-kāsyapa, 300 de Gayā- kāsyapa, 200 de Nadī- kāsyapa, 150 de Sāriputra et 100 de Maudgalyāna. Zongmi 宗蜜(T.1701)  - de même que Zhiyi 智顗 (T.1698) - fait de la même manière référence aux cinq premiers disciples dont Kaundiya et aux trois frères Kasyāpa dont les propres disciples sont au nombre de mille ainsi que Sāriputra et Maudgalyāna  avec chacun cent disciples et les cinquante vénérables anciens dont Yasa.

(6) l’assemblée aux membres égaux devant la loi, nommée assemblée indifférenciée fait référence à panca-parisad, la communauté entière des moines vivant en totale harmonie, selon Zongmi 宗蜜(T.1701).

Zen Garden

Zen Garden

S. Alors, au moment du repas, le vénéré du monde (1) vêtu de la robe et tenant la sébile (2) entra dans la grande cité de Śrāvasti pour y mendier de la nourriture (3).

C. Alors, c’est à ce moment en cette matinée (4). C’est lorsqu’il va être le moment de déjeuner. Vêtu de la robe et tenant la sébile, ce sont les marques de l’enseignement exotérique. La grande cité de Śrāvasti, c’est la cité de l’abondance et de la vertu (5) dans le pays de Śrāvasti où s’est établi le roi Prasenajit. C’est pourquoi il est dit  la cité de Śrāvasti. Lorsque l’on dit mendier de la nourriture, c’est pour signifier que l'être Vérité s’abaisse au niveau de tous les êtres.

(1) Je traduis littéralement 世尊. Il s’agit suivant les commentaires de l’un des épithètes communément employés pour désigner le bouddha. En sanskrit bhagavat, c'est celui qui possède des qualités, celui qui possède la gloire, celui qui a le pouvoir de briser (Lamotte, Tome I, p.115-126)

(2) Il s’agit en sanskrit du terme pātra. Bien que la tradition veut que le bouddha utilise un bol de pierre, j’emploie le mot sébile, s’agissant de la coupe avec laquelle les mendiants demandent l’aumône.

(3) Comme il a été précédemment noté, l’objet de la mendicité englobe la nourriture du corps et celle de l’esprit. Vouloir tendre vers la vérité, c’est la raison de la mendicité. Zongmi cite sur ce point le Nirvāna Sūtra : Vous tous, les bhiksu, bien que vous pratiquiez la mendicité, jamais auparavant vous n’aviez mendié la loi du Grand Véhicule. La raison pour laquelle le tathāgata mendie, c’est qu’il veut montrer la vertu méritoire du dépouillement.

(4) Il s'agit de l'intervalle entre 7 et 9 heures. Le bouddha et les bhiksus vivent de la mendicité et observent le jeûne du midi. C'est pourquoi ils vont en ville pour y mendier leur repas généralement à ce moment-là. Voyant le moment où il doit mendier son repas arriver, vêtu de son vêtement et tenant sa sébile, il va pour entrer dans la cité.

(5) Śrāvasti est en effet surnommée la cité de la vertu de l’abondance. Kuiji y fait notamment référence.

Enso

Enso

S. Ayant mendié dans l’ordre, il s’en retourna à sa résidence d’origine. Le repas fini, il rangea sa sébile et son vêtement. Après s’être lavé les pieds, on disposa un siège et il s’assit (1).

C. dans l’ordre (2), c’est sans distinction entre le pauvre et le riche qui sont indifféremment convertis. Ayant mendié, c’est-à-dire que l’on mendie auprès de sept maisons au plus. Une fois les sept maisons dénombrées, il n’y a plus à se rendre autre part. s’en retourna à sa résidence d’origine, c’est la volonté bouddhique qui commande tout moine mendiant. A moins d’y être invité, il ne faut jamais se rendre chez les êtres aux habits blancs (3). C’est pourquoi on le dit. lavé les pieds, c’est que l'être Vérité, lors de ses apparitions , suit le modèle des êtres ordinaires. L’on dit par conséquent lavé les pieds. En outre, selon la loi du Grand Véhicule, cela n’est pas simplement se laver les mains et les pieds que l’on tient pour la pureté. Dès que par une pensée, l’esprit est pur, la fange des péchés est entièrement extirpée. Lorsque l'être Vérité entreprend de prêcher la loi, c’est la tradition de disposer un siège en bois de santal  (4). C’est pourquoi on dit on disposa un siège et il s’assit (5).

(1) Zhiyan (T.1704) divise en quatre temps l’introduction au discours central : 1. Le bouddha va mendier dans la cité ; 2. Il retourne manger dans sa résidence d’origine ; 3. Après le repas, il met de l’ordre ; 4. Il s’asseoit.

Zongmi (T.1701) explique qu’il s’agit de réunir les conditions nécessaires. Si le bouddha ne rangeait pas sa sébile, son esprit ne trouverait pas le repos.  Pour rentrer en méditation, le bouddha doit se défaire de la pesanteur des circonstances, se laver et rentrer en méditation à proprement parler.

Yinshun explique qu'après avoir mendié son repas, il s'en retourne dans le bois de Jeta  pour y manger cette nourriture. Après avoir mangé, il range soigneusement la tunique qu'il a porté pour entrer dans la cité et le bol qui contenait sa nourriture. Puisque marcher en ville et mendier son repas se fait pieds nus, on ne peut éviter de se salir les pieds. Le bouddha doit donc se laver les pieds.

Après l'acte du corps vient l'acte mental (le bouddha revient s'asseoir pour s'absorber dans la méditation). S'en suit l'exercice de la parole avec la prédication.

(2) dans l'ordre, c'est aussi un après l'autre. Nul ne peut passer devant l'autre pour mendier.

(3) Huineng fait référence aux riches laïcs qui traditionnellement portaient des habits de couleur blanche.

(4) Le manuscrit annoté par Daochuan (Enô kenkyû, p.423) donne le caractère zhan au lieu de shi , d'où ma référence au siège en bois de santal (candana).

(5) Suivant l'édition Z. (Zokuzôkyô) 38, 4, p.331 et Enô kenkyû, p.423, Huineng emploie l'expression  fushi 敷施 pour expliquer fuzuo 敷座. Que l'on mette un siège à la disposition du bouddha est corroboré dans le texte sanskrit, d'après les traductions de Max Müller, d'Edward Conze, de Max Walleser (d'après le tibétain) et aussi selon le commentaire de Sengzhao (Z.38, 3, p.62). En revanche, Jizang (T.1699, p.99a) et Kuiji (T.1700, p.127b)  notamment expliquent que c'est au bouddha de préparer son siège parce que cela symbolise qu'il rentre en concentration. Ce n'est que lorsqu'il recouvre le calme intérieur qu'il est digne et capable de prêcher la loi. Ce geste extérieur accompagne le geste intérieur. En outre, il s'agit de faire taire ses exigences sur autrui, aussi agit-il par lui-même. Pourtant il me semble contradictoire nd'affirmer que le bouddha doive se mettre en état de prêcher la loi car il est celui qui ne va ni ne vient.

Il est généralement précisé que le bouddha s’asseoit les jambes croisées dans les autres traductions chinoises de Bodhiruci, Paramārtha et Dharmagupta conformément au texte sanskrit : …sat down on the seat arranged for him, crossing his legs, holding his body upright, and mindfully fixing his attention in front of him (Conze, p.21).

Zhiyi (T. 1698) indique que le siège sur lequel s’asseoit le bouddha symbolise la vacuité de toute chose. Voir la vacuité dans toute chose, c’est la définition de la concentration samadhi. Le fait que le bouddha s’asseoit montre implicitement qu’il rentre en concentration.

Bouddha

Bouddha

SECTION DEUX : SUBHŪTI DIT LE BIEN MANIFESTÉ (1) SE LEVA ET S’ENQUIT

S. A ce moment le vénérable Subhūti,

C. Que nomme t-on vénérable ? Comme sa vertu est vénérée et que son âge est avancé (2), il est nommé vénérable. Subhūti est un nom sanskrit. Dans la Chine des Tang, on dit celui qui comprend la vacuité.

(1) Subhūti est le frère cadet d’Anāthapindada. La légende veut qu’il soit entré en religion le jour même de l’offrande du Jetavana à la communauté bouddhique. Huineng signale, parmi d’autres commentateurs, que son nom chinois 解空signifie  celui qui comprend la vacuité.  Il serait le premier des dix disciples à avoir saisi la vacuité et c’est lui qui ait été généralement choisi pour engager un discours sur la vacuité avec le bouddha. Il est autrement nommé  善现 le bien manifesté, le bien apparu notamment par Dharmagupta et Xuanzang. Selon Huijing, la légende veut que ses parents l’aient baptisé ainsi  parce que la pièce dans laquelle il naquit était entièrement vide et qu’ils s’exclamèrent : C’est de bon augure, c’est bien. Selon Zongmi, son nom fut également traduit sous les Tang par jushou 具寿 et sous les Wei par huiming 慧命. Parmi d’autres épithètes repris dans les commentaires ultérieurs, Subhūti est dénommé miaosheng 妙生 par Yijing, kongsheng 空生par le commentateur Ding Fubao (1874-1952)

(2) vénérable  est un titre respectueux pour celui dont l’âge est avancé ou qui est vertueux et observe strictement les règles et s’éveille à la voie.

Trois moines

Trois moines

S. A ce moment, le vénérable Subhūti, au milieu de la foule, se leva de son siège, découvrit l’épaule droite et mit son genou droit à terre. Il joignit les mains révérencieusement et s’adressa au bouddha :

C. Comme la foule (1), il s’était assis, c’est pourquoi il est dit qu’il se  leva de son siège. Lorsque les disciples invitent le bouddha à prêcher, ils exécutent d’abord cinq gestes rituels : premièrement ils se lèvent. Deuxièmement, ils arrangent leurs vêtements. Troisièmement, ils se découvrent l’épaule droite et mettent leur genou droit à terre. Quatrièmement, ils joignent les mains et lèvent les yeux la mine respectueuse sans le quitter du regard. Cinquièmement, plein de révérence, ils posent des questions (2).

(1) Le manuscrit annoté par Daochuan emploie les caractères 众生 au lieu du seul ce qui signifie que Subhūti comme tout autre homme ordinaire se présente devant le bouddha suivant un rite révérencieux.

(2) Lorsque les disciples du bouddha le prient de prêcher la loi, il y a des rites qu’ils doivent respecter. C’est pourquoi Subhūti, au milieu de l’assemblée, se lève, découvre son épaule droite et, le genou touchant à terre, joint les mains pour interroger le bouddha. Découvrir, c’est se découvrir le corps. Quand ils font la révérence, les bhiksus se dénudent l’épaule droite. S’agenouiller et découvrir le côté droit, c’est témoigner son obéissance à la loi.  La jonction des mains sur le devant du torse exprime le refuge dans la voie médiane. Il s’agit là de rites traditionnels indiens (Yinshun).

Bouddhisme

S. Comme c’est rare (1), Ô vénéré du monde ! (2)

C. En gros, rare  possède un sens triple. Le premier élément rare, c’est de pouvoir renoncer au rang de souverain de la roue d’or (3). Le deuxième élément rare, c’est d’être sans comparaison avec les trente-deux marques distinctives et les quatre-vingt marques physiques secondaires et les trois sphères du désir, de la forme et de l’absence de forme. Le troisième élément rare est la nature (du bouddha) pouvant receler les quatre-vingt quatre mille lois bouddhiques et le triple corps parfait. Comme cela englobe ces trois sens, c’est pourquoi il est dit Comme c’est rare ! Le vénéré du monde est celui dont l’intelligence surpasse les trois domaines, que rien ne peut égaler, dont la vertu est si grande que rien ne lui est supérieur et qui est unanimement respectée. C’est pourquoi il est dit vénéré du monde.

(1) On  comprend généralement que c’est l’apparition en ce monde d’un bouddha qui est rare. Kuiji (T. 1700) fait référence sur ce point au Sūtra du Lotus. Suivant son commentaire, seuls quatre bouddhas sont apparus sur terre au cours de la présente ère : le bouddha Krakucchanda 拘留孫 se manifesta. Puis ce fut au tour du bouddha Kanakamuni 拘那含, du bouddha Kāsyapa 迦叶et du bouddha Sākyamuni. Lors de la prochaine, le bouddha Maitreya 弥勒 verra le jour.

Il faut noter que le commentaire de Huineng sépare nettement l’assertion Comme c’est rare ! de la suite du texte. Les commentateurs, tels que sengzhao et Daochuan déduisent logiquement que c’est préserver la pensée des bodhisattvas et les commander que l’on tient pour chose rare. C’est d’ailleurs ainsi que l’ont compris les traducteurs De Harlez, Price, Müller, Walleser, Conze et Suzuki. Parmi les six traductions chinoises, seule celle de Xuanzang (T.7, n°220) confirme cette interprétation. Pour ma part, je suis la coupure du commentaire de Huineng, d’autant qu’il en explique la signification et qu’elle suit la ponctuation de cinq des traductions chinoises. Cependant je note ici l'article publié par North American Conference on Chinese Lingusitics (NACCL) sur les erreurs de ponctuation du Taisho mais aussi celles de sa forme électronique nouvelle sur le site CBETA ( auquel je me réfère entre autres).

(2) Suivant la coutume, Subhūti fait l’éloge du bouddha Sakyamuni par ces paroles : Comme c’est rare, Ô vénéré du monde !

(3) Le premier élément rare est signalé par Jizang (T. 1699) et surtout Zhiyi (T.1698) qui emploie précisément le titre jinlunwang 金轮王. Il s’agit de l’un des souverains légendaires indiens des quatre continents denommés chakravartin. L’un a, pour symbole, la roue en fer, le deuxième  la roue de cuivre ; le troisième la roue d’argent, le quatrième la roue d’or qui surpasse les trois autres dans l’univers cosmique des temps anciens. Le bouddha s’impose comme au-dessus de la puissance séculière du souverain à la roue d’or.

Profil de Bouddha

Profil de Bouddha

S. Leur pensée ne le quittant pas, l'être Vérité guide (1) bien les êtres qui aspirent à la voie (2).

C. Leur pensée ne le quittant pas, c’est que l'être Vérité, grâce à la loi de sapience qui mène sur l’autre rive, songe aux bodhisattvas. Guide, c’est que l'être Vérité, grâce à la loi de sapience qui mène sur l’autre rive, dirige Subhūti et tous les bodhisattvas. Dire que leur pensée ne le quitte pas, c’est qu’il fait en sorte que tous les disciples, grâce à la connaissance de sapience, maintiennent leur corps et leurs pensées sans que ne surgissent confusément ni affection ni aversion, de sorte qu’ils ne sont pas souillés extérieurement par les six poussières ni ne sombrent dans l’océan douloureux de naissance et de mort. En leur esprit, quand chaque pensée est constamment juste sans que surgisse l’erreur, c’est l'être Vérité en leur nature propre qui maintient leurs pensées. Dire qu’il les guide bien, c’est que les pensées passées, pures et immaculées commandent aux pensées futures qui elles-mêmes étant pures et immaculées, il n’y a entre elles nulle séparation. Parvenu à sa libération ultime, l'être Vérité instruit scrupuleusement les êtres et, au cœur de la foule assemblée, s’y appliquera constamment. C’est pourquoi il est dit qu’il les guide bien. Bodhisattva est un mot sanskrit. Dans la Chine des Tang, on dit : l’être qui aspire à la voie, également l’être sensible illuminé (3). Celui qui aspire à la voie montre constamment de la révérence. Même les âmes rampantes (4), c’est tous les aimer respectueusement et sans dédain. C’est pourquoi il se nomme bodhisattva.

(1) Il s'agit d'une des assertions les plus fondamentales. Je voulais sans tenir compte de sa forme grammaticale la traduire par  Le tathāgata "veille bien sur les pensées" des bodhisattvas et les dirige bien puisqu'il s'agit pour 护念, si je me réfère à sa définition, de faire en sorte à l’extérieur que le mal ne pénètre et à l’intérieur que naisse le bien et suivant l’explication du moine Shengyin 圣印 dans son oeuvre 六祖坛经讲话 que , c’est constamment penser à la loi bouddhique sans l’oublier. Huijing explique séparément les termes et . Notons que Lee Shaochang confirme l’importance des deux caractères et les transcrit par remember and protect (p.28). Il faut discerner deux aspects : l’un intérieur, l’autre extérieur, comme le note Jizang (p.22)  Faire en sorte que la vertu intérieure soit ferme et solide se nomme maintenir ses pensées. Rendre concrète la vertu extérieure se nomme la bonne direction. Jizang explique combien cet événement de prédication est rare et combien louable est cet acte de la parole du bouddha qui garde les bodhisattvas dans la bonne direction.Il s’agit de maintenir le fil de ses pensées dans le temps, sachant prédire du mieux possible, fermement, universellement et distinctement et qu’il s’agit d’instruire pour entrer dans l’aire de paix en se conformant à la loi, en transmettant l’enseignement, sans égarement, pieusement et respectueusement..

Notons qu’il existe deux calligraphies pour fuzhu ce qui signifie soit confier à soit ordonner. Zhu嘱 avec la racine de la bouche dans les traductions de Kumārajīva, Bodhiruci, Paramārtha, Dharmagupta, Yijing, Xuanzang et les commentaires T.1511, T.1513,T.1514 et de Sengzhao, Zongmi, Jizang, Zhiyan, Zhiyi, Kuiji et Huineng. Zhu sans la racine de la bouche dans les commentaires T.1510 et de Bodhiruci, Huijing, Daochuan. Considérant les textes des traducteurs occidentaux, l’avis reste partagé quant à la traduction de fuzhu. Poppe traduit par give well to, Beal par instruct. Lee Shaochang là encore donne une double traduction instruct and guide.

(2) bodhisattva

(3) Zongmi donne trois explications  pour cet être sensible illuminé: Bodhiruci   (T.1512) explique qu’il existe deux sortes de bodhisattva : 1. Celui qui, dès la première étape, s’est échappé du monde c’est-à-dire qui a dépassé le cycle de naissance et de mort ; 2. Celui qui n’a pas encore franchi la première étape. Ceux-là rassemblent ceux qui sont ordinaires extérieurement et ceux qui sont  intérieurement ordinaires. Ces derniers sont ceux dont les racines sont mûres et ceux dont les racines ne sont pas encore mûres.

(4) Traduction littérale de 蠢动含灵signifiant toutes les créatures vivantes ou animales.

Kasyapa

Kasyapa

S. Vénéré du monde, les hommes et les femmes de bien (1)

C. Les hommes de bien ont un esprit empreint d’équanimité et une attitude correcte de recueillement. Pouvant donner réalité à toutes les vertus méritoires, ils ne rencontrent aucun obstacle. Les femmes de bien ont une sagesse authentique grâce à  laquelle elles peuvent manifester, sans agir ou en agissant, toutes les vertus méritoires.

(1) Les traductions chinoises de Bodhiruci (T.236, p.752c), Dharmagupta (T.238, p.767a), Yijing (T.239, p.772a) et Xuanzang (T.7, n°220, p.980a) ne donnent pas l’appellation hommes et femmes de bien. Le sujet est les bodhisattvas dans le Grand Véhicule. A noter le tableau comparatif des traductions chinoises sur le site de l’Université d’Oslo (Bibliotheca Polyglotta).

Reflets de méditation

Reflets de méditation

S. qui aspirent (1) à l’esprit d’éveil (2) insurpassé et parfait (3), comment doivent-ils demeurer (4) ? Comment doivent-ils discipliner leur esprit (5) ?

C. Subhūti demande comment tous les êtres humains qui aspirent à l’esprit d’éveil doivent demeurer et  discipliner leur esprit. Voyant que tous les êtres s’agitent sans arrêt telle la poussière dans les recoins et que leur esprit ballotté s’élève semblable au vent tourbillonnant, chaque pensée succédant l’une à l’autre sans répit, il demande comment ceux qui désirent cultiver le chemin (6) doivent soumettre leur esprit .

(1) fa est à rapprocher des termes sheng et qi , c'est-à-dire qu’il possède le sens de faire surgir, de faire naître. Faxin 发心, c’est tendre vers prajñā, c’est pourquoi on dit fa (Kuiji). Je l’ai pour ma part traduit par aspirer à ainsi que Beal (to aspire after). L’aspiration est le vœu bouddhique. Zhiyan en présente les dix caractéristiques.

(2) L’éveil est à la fois cause et effet. Ce double éveil est l’éveil insurpassé. L’éveil est omniscience. C’est la conquête par l’esprit de l’éveil authentique.

(3) anuttāra samyak sambodhi : those who seek the consummation of incomparable enlightenment, suivant les termes de traduction choisis par A.F. Price. Anuttāra se traduit par insurpassé, samyak-sam par réellement parfait et bodhi par éveil. Aspirer à l’esprit d’éveil insurpassé et parfait, c’est aspirer au devenir bouddhique, au fruit bouddhique. Mais pourquoi vouloir devenir bouddha ? Il faut savoir que l’esprit d’éveil jaillit de l’esprit de grande compassion, c’est pourquoi l’on aspire à devenir bouddha. De l’esprit de compassion découle le vœu de sauver les êtres, avec pour modèle, le bouddha . Par conséquent si l’on convoite le beau titre de bouddha que pour son propre bénéfice, l’esprit d’éveil ne saura être atteint, encore moins l'état de bouddhéité (Yinshun) !

(4) Nāgārjuna explique demeurer comme la profonde pénétration de l’ultime réalité (Yinshun). Comment ceux qui aspirent à l’esprit du grand éveil peuvent, qu’ils soient en mouvement ou en repos, qu’ils parlent ou se taisent, qu’ils aillent ou viennent, qu’ils sortent ou qu’ils entrent, qu’ils aient ou non des échanges avec autrui, demeurer en cet état ? C’est pourquoi l’on dit comment y demeurer. L’absence de demeure détachée de tous les attributs, c’est là où doit demeurer l’esprit et c’est la demeure à laquelle l’esprit doit se soumettre (Yinshun).

La question n’est pas comment mais où trouver la paix de l’esprit de sorte que l’homme ou la femme de bien réalise son aspiration à l’éveil, c’est à dire comment favoriser ce cheminement spirituel afin que l’aspiration à l’éveil devienne réalité. C’est le désir ardent de sauver tous les êtres qui est l’esprit dans lequel l’homme ou la femme de bien doit demeurer (Kuiji). La demeure est la sapience qui aide à pénètrer la doctrine bouddhique. Elle est la véritable connaissance (Zhiyi, Jizang)). Sengzhao, comme Huineng, rappelle l’idée de l’esprit agité  et lorsqu’il ne l’est pas, c’est là que doit résider l’esprit.

(5) abhicāraka : conjurer, subjuguer, maîtriser. L’esprit est plein de réflexions erronées qui mettent obstacle à la véritable connaissance. Il faut épurer l’esprit des erreurs mentales les unes après les autres, c’est pourquoi l’on dit comment soumettre l’esprit. Demeurer, c’est ce qui est correct. Soumettre, c’est s'éloigner de ce qui ne l’est pas. Ainsi ce sūtra, par l’aspiration à l’éveil, ouvre la porte de la loi de sapience tantôt apparente tantôt masquée. Soumettre, c’est rompre avec ce qui est mal. C'est empêcher que la confusion gagne l’esprit (Kuiji). Sengzhao parle d’un acte graduel et délibéré de soumission  始则抑心就理,渐习自调,谓之降伏.S'agissant des dix terres sus-mentionnées, le processus avant la septième terre se nomme l'éveil de l'esprit soumis (Yinshun).

Dans la traduction de Kumarajiva, il n’y a que ces deux questions, alors que les cinq autres traductions chinoises ont ajouté l'exercice de la pratique (culture du cheminement) ainsi que les versions sanskrite, tibétaine et mongole (Cf. Müller, p.49 et Walleser, p.141). D’après le traité d’Asanga, ces trois questions pénètrent l’essence de l’enseignement (Yinshun). D’après Jizang, c’est en référence aux exégèses que ce troisième élément a été plus tard ajouté. C’est aussi le cas dans les commentaires de Vasubandhu, Kuiji, Zhiyi, Zhiyan, Huijing,… Ces trois concepts sont étroitement liés. Demeurer dans la voie et soumettre l’esprit, c’est cultiver le cheminement spirituel (Zongmi).

En récapitulation, il s’agit d’une démarche à quatre temps : 1.l’expression d’une aspiration, 2. la question de la demeure qui est la sapience de l’attribut réel, 3. le cheminement qui consiste en une contemplation éclairée, 4. la soumission de l’esprit définie comme la maîtrise harmonieuse de l’esprit grâce à la sapience des écritures (Zhiyan) car bien que les hommes et femmes de bien - autrement nommés les bodhisattvas de la dernière catégorie, ceux-là même qui n’ont pas encore franchi la première étape, c’est-à-dire qui n’ont pas encore échappé au monde - aspirent à accéder à la voie du bouddha et promettent de sauver tous les êtres, ils ne savent pas encore comment apaiser leur esprit, comment surmonter leurs erreurs et récolter le fruit bouddhique sans plus reculer (Daochuan). Ils sont ignorants des moyens d’accéder à la terre initiale, a fortiori les dix terres, processus du cheminement des bodhisattvas.

Huijing décrit ce questionnement comme suit : On considère la nature de bouddha comme la raison du devoir, l’aspiration comme la raison de progresser, le progrès comme la raison de la plénitude. Sur la raison du progrès, on demande où fixer l’esprit quand on souhaite aspirer à l’éveil. Sur la raison de la plénitude, on demande comment favoriser le cheminement de l’esprit et le maîtriser – ce qui constitue la cause de l’extinction. 

(6) Huineng fait lui aussi allusion à la question du cheminement spirituel.

* The Bodhisattva doctrine in Buddhist Sanskrit Literature, Har Dayal (Motilal Banarsidass Publ.1999)

Reflets de méditation

Reflets de méditation

S. Le bouddha déclara: Bien, bien Subhūti (1) ! Comme tu le dis, leur pensée ne me quittant pas, moi, l'être Vérité, guide bien les êtres qui aspirent à la voie.

C. C’est le bouddha qui loue Subhūti pour avoir saisi sa pensée et en avoir compris le sens.

(1) sādhu. Ayant entendu l’éloge  et l’interrogation de Subhūti, le bouddha approuve pour trois raisons : 1. Le moment est bien choisi pour que Subhūti pose ces questions, 2. Il est bon de s’informer sur la manière d’être et de se conduire des bodhisattvas, 3. Le respect et l’estime de la loi sont une chose louable (Jizang).

T. A présent, écoute religieusement (1) ce que je vais te dire.

C. Lorsque le bouddha souhaite prêcher la loi, ordinairement il prévient d’abord de sorte que tous les auditeurs fassent silence pour qu’il puisse parler.

(1) Il va de soi qu’il faut écouter attentivement sans quoi on laisserait échapper le sens des mots du bouddha. Il s’agit en outre de tendre son attention respectueusement.

Il convient de traduire di  par religieusement, terme qui renvoie au contexte religieux.

Bodhisattva (The Fragility Within)

Bodhisattva (The Fragility Within)

知者不言,言者不知

Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas

(道德经,56章)

T. Les hommes et les femmes de bien (1) qui aspirent à l’esprit d’éveil insurpassé et parfait doivent ainsi demeurer et ainsi discipliner leur esprit (2).

C. A  se dit absence. Uttara se dit supérieur. Sam se dit authentique. Yañc (yak)  se dit total. Bodhi  se dit savoir (3). Absence, c’est qu’il n’y a aucune fange de l’abîme (4). Supérieur, c’est que les trois sphères du désir, de la forme et de l’absence de forme lui sont incomparables. Authentique, c’est la vue authentique. Total, c’est l’omniscience. Savoir, c’est savoir qu’en tout être sensible réside la nature de bouddha. Ce n’est que s’ils cultivent le cheminement qu’ils réussiront totalement à devenir bouddhas. Bouddha (5), c’est la sapience insurpassée, pure et immaculée qui mène sur l’autre rive. En conséquence, s’ils désirent cultiver le cheminement, les hommes et les femmes de bien doivent tous savoir quelle est la voie de l’éveil insurpassé et quelle est la loi de la sapience insurpassée, pure et immaculée, qui mène sur l’autre rive pour, de cette façon, soumettre leur esprit.

 (1) Preuve de l’effort de vulgarisation par Kumarajīva, c’est la deuxième fois qu’il emploie l’expression les hommes et les femmes de bien. Il  est imité par Paramārtha (T.237) qui ajoute qu’il s’agit de ceux-là qui cheminent dans le véhicule des bodhisattvas, ainsi nommés dans les autres traductions chinoises et les versions sanskrite (Conze) et tibétaine (Walleser). 

 (2) Ici et maintenant ! Voilà où demeure l’esprit. C’est une attention à la fois objective et détachée, une disposition active - et non passive - de l’esprit d’où ma première traduction (Le bouddha, qui habite la nature propre de chacun et chacune, veille consciemment et consciencieusement sur les pensées des être qui aspirent à l’éveil). Nos émotions sont-elles un héritage génétique, inadaptées à l’environnement moderne ? Nos peurs, nos anxiétés sont bien celles dont nous parle Edward O. Wilson : We have created a Star Wars civilization, with Stone Age emotions.

(3) Anuttāra samyak sambodhi : suivant la section 2.6, A-n-uttāra se traduit par insurpassé, sam-yak-sam par parfait et bodhi par éveil. On trouve pour traduction complète de阿/耨多羅/三/藐/三菩提anuttāra samyak sambodhi  無上正等正覺, notamment  Kuiji (T1700 :: 阿耨多羅者此云無上也。三者正也藐者等也。三又名正菩提稱覺應云無上正等正覺). En revanche, Huineng commente 阿之言無 /耨多羅之言上/三之言正/藐之言遍 (偏)/菩提之言知. Il faut conclure en chinois無/上/正/遍/(正) 知. C’est ce que dit Zongmi (T.1701 : 阿耨多羅三藐三菩提。此云無上正遍正覺。謂正智遍智覺知真俗不偏不邪).

Pourquoi l’utilisation du terme 遍ou 徧  ? Si Huineng et Daochuan emploient le terme 遍, Zixuan (T.1702) confirme l’emploi des deux termes正 et 遍subséquemment ainsi que le commentaire金剛仙論 第2卷 (三藐者正也。…後三言遍也)。On trouve la même expression  藐之言遍dans 維摩經抄 (Taisho, Vol. 85, No. 2773).。

L’éveil est parfois la voie (金剛仙論 第2卷) et notamment dans金剛般若疏 (No. 1699), Jizang écrit菩提心者即 是道心。道謂正道。發正道心. C’est aussi  le nirvāṇa 菩提涅槃(Zhiyan, T. 1704), le plus souvent 覺. Mais Huineng (et Daochuan) choisit le terme 知/  智  savoir (connaissance). Dans T.1778, 維摩經略疏, Zhiyi 智顗, écrit : 言阿耨多羅三藐三菩提者此云無上正遍知道心. Ji zang dans維摩經義疏 (No. 1781 ) écrit阿耨多羅。此言 無上。三藐三。云正遍知。菩提言道.

正遍知 rappelle l'idée de vérité universelle. 無/上/正/遍/(正) 知, science universelle et insurpassée

(4) Le manuscrit le plus ancien présenté dans Enô kenkyû, (p.425) donne les caractères goushen 垢深 au lieu de gouran 垢染 que l’on trouve notamment dans l’édition Zokuzôkyô (p.332b). Huiyuan, contemporain de Kumarajīva, utilise cette expression, autrement rare, dans son œuvre 維摩義記 (Taisho, Vol. 38 , No. 1776, 得解脫時垢深不有故曰不也). Elle se trouve également dans le commentaire金剛般若經旨賛 de Yunkuang (No. 2735 ,Vol. 85)垢染 fait référence dans la littérature bouddhique à la pollution de l’esprit, de la nature propre et de toutes les choses. Son absence mène naturellement à la libération de tous les attributs et au vide.

(5) Daochuan écrit dans son commentaire 三者 au lieu de 佛.

* Jaime Hubbard, Expository Commentary on the Vimalakirti Sutra

Bodhisattva (Fragility Within)

Bodhisattva (Fragility Within)

T. Oh, oui , Vénéré du monde ! C’est avec joie que je souhaite vous entendre.

C. Oh oui  exprime l’acquiescement. Je souhaite, c’est souhaiter que le bouddha s’exprime plus amplement pour ouvrir à la compréhension les êtres dotés de racines moyennes et inférieures (1). Avec joie, c’est écouter avec joie l’enseignement profond de la loi. Souhaiter entendre, c’est avoir soif d’entendre la bienveillante instruction.

(1) Un être est pareil à une plante, un arbre dont le processus lent au cours des vies successives tend vers l’éclosion de l’esprit d’éveil. Y-a-t-il éveil subit ? C’est un peu comme demander si un miracle est possible. 

The Fragility Within

The Fragility Within

SECTION TROIS: LA DOCTRINE ORTHODOXE DU GRAND VEHICULE

T. Le bouddha déclara à Subhūti : Tous les bodhisattvas, les grands êtres, doivent ainsi discipliner leur esprit.

C. Qu’elle soit passée ou future, si chaque pensée est pure et immaculée, ils s’appellent bodhisattvas. Si, sans régresser d’une pensée à l’autre, l’esprit,  même tourmenté, est constamment pur et immaculé, ils se nomment  les grands êtres. Et, si, usant de toutes sortes d’artifices, ils convertissent et guident (1) les êtres (2) avec miséricorde et charité, leur nom est bodhisattvas.  Sachant convertir ceux qui peuvent l’être, ils se nomment les grands êtres. Respecter tous les êtres, c’est ce à quoi se soumet leur esprit. C’est quand rien ne change ni ne varie (3).  Affronter toute circonstance avec équanimité, c’est ce qui définit leur véritable nature. On dit aussi : sans forme extérieure d’imposture ni forme intérieure de confusion (4) c’est là la véritable nature. Toutes pensées égales, c’est discipliner l’esprit (5).

(1) 化導 (convertir et guider) se transforme dans le commentaire de Daochuan en化度 (convertir et sauver)

(2) Les êtres ordinaires se concentrent sur leurs affections tandis que les bodhisattvas sont déterminés à s’éveiller. L’existence des premiers est une lutte perpétuelle. Ces luttes acharnées sont provoquées par l’attachement erroné aux affections qui brident la sagesse. C’est pourquoi chaque geste, chaque mot de l’être ordinaire met en avant son propre avantage, celui de sa famille et de son clan au détriment du bonheur de la majorité des êtres.  Par contraste, le bodhisattva aspire à l’éveil pour le  bien d’autrui. C’est cela le véritable éveil. La sagesse purifiant les affections, c’est ce vœu d’éveil qui domine l’esprit du bodhisattva. Faisant le vœu d’encourager l’éveil et de sauver les êtres. L’esprit du bodhisattva dont le seul désir est d’obtenir les vertus méritoires de la sagesse insurpassée est semblable au diamant. (Yinshun)

(3) L’expression rappelle celle du Vimalakirti Nidesa Sutra 夫如者不二不異 et que Robert Thurman traduit par reality does not consist of duality or of diversity.

真者不變。如者不異 explique en deux temps le terme 真如 tathāta qui se traduit par ainsité ou quiddité. Il définit la véritable nature de toute chose, seul absolu au sein de la relativité des choses de la vie et de la mort (Le Sûtra de la plate-forme, p.102). Ainsi il faut déduire du commentaire de Huineng que真如不變不異tathāta, la véritable nature de toute chose, est immuable et indifférenciée.

(4) Le caractère est remplacé par le caractère dans le commentaire de Daochuan, ce qui est corroboré par le plus ancien manuscrit présenté dans Enô Kenkyû, p.426.

L’imposture marque les actes extérieurs. La confusion mentale naît de l’intérieur. 外不假曰真。內不亂曰如 rappelle la section 19 du 坛经 : A l’extérieur, se détacher des attributs se dit méditer. Ne pas être troublé intérieurement se dit concentration. En dépit des attributs extérieurs, que la nature intérieure soit sans trouble et que le soi originel demeure pur et naturellement recueilli ! Ce n’est qu’à cause des circonstances que le trouble naît. (Le Sûtra de la plate-forme, p.45) et la section 17 : Puisque la non-pensée n’aurait pas été établie si les pensées n’existaient pas, ce non de quoi alors est-il le non ? Et cette pensée, de quoi est-elle la pensée ? Le non signifie le détachement d’avec le dualisme et tous les tourments. La pensée consiste à penser à la nature originelle de l’ainsité.  L’ainsité est la substance de la pensée. La pensée est l’usage de l’ainsité. Si votre pensée surgissait de la nature propre de l’ainsité, en dépit des vue, ouïe, perception, et connaissance, vous ne seriez pas souillés par les multiples circonstances et demeureriez à jamais autonome. Le Vimalakīrti Nirdeśa Sūtra dit : A l’extérieur, savoir parfaitement distinguer toute chose de ses attributs, c’est intérieurement être immobile au sein du sens premier (p.43). Les deux versions chinoises de Kumarajiva et de Xuanzang rapporte effectivement l’expression  能善分別諸法相 於第一義而不動 (T.475)   能善分別諸法相 觀第一義 (T.476), pourtant c’est Huineng qui introduit la dichotomie extérieur/intérieur.

(5) L’assertion 不虛一本作不亂 est ajoutée au texte dans 金剛般若波羅蜜經口訣.        

Femme-Bodhisattva (The Fragility Within)

Femme-Bodhisattva (The Fragility Within)

S. Quelle que soit l’espèce des créatures, qu’elles soient issues de l’œuf ou de l’utérus (1), d’un suintement (2) ou d’une apparition (3), qu’elles aient une forme ou qu’elles n’en aient pas, qu’elles soient douées de cognition (4) ou qu’elles ne le soient pas, ou ni l’un ni l’autre (5), je leur permets d’entrer dans le nirvāṇa où rien ne reste (6)

C. Celles nées de l’œuf sont des natures en proie aux illusions. Celles nées de l’utérus sont des natures en proie aux imprégnations (7). Celles nées d’un suintement sont des natures faussées (8). Celles nées d’une apparition sont des natures en proie aux convictions. Illusionnées, elles commettent toutes sortes d’actions. Imprégnées, elles transmigrent sempiternellement. Faussées, elles ne méditent pas. Convaincues, elles succombent (9). Révélez votre esprit et cultivez-le ! Prendre le faux pour le vrai sans adopter le principe du sans-attribut, c’est ce qui qualifie les créatures douées d’une forme. Que l’esprit se maintienne droit intérieurement ! Sans marque de piété ni offrande en se bornant à dire que l’esprit droit est le bouddha (10) sans cultiver la sagesse ni les bénédictions, c’est ce qui qualifie les créatures sans forme. Ignorant la voie du milieu, les yeux voient, les oreilles entendent et l’esprit pense s’agrippant aux attributs des choses. Si la bouche prêche le cheminement bouddhique sans que l’esprit l’applique, c’est ce qui qualifie les créatures douées de cognition. Les êtres égarés qui s’assoient en méditation et, cherchant constamment à éviter l’erreur, n’apprennent ni la compassion, ni la charité, ni la sagesse, ni les modalités sont pareils aux arbres et aux pierres ; on les dit dépourvus de cognition. On dit ni l'un ni l'autre quand ils ne sont plus attachés à la double notion des choses, l’esprit aspirant au principe. Les dix milles degrés de passions forment l’esprit fangeux. Les formes physiques innombrables ont pour nom générique créatures. L'être Vérité par sa grande compassion les convertit universellement et permet à tous de pénétrer le nirvāṇa où rien ne reste (11).

(1) se traduit suivant leurs auteurs par utérus, matrice ou chorion.

(2) aussi se traduit différemment suivant les auteurs par humidité, exsudation. Je choisirai le terme neutre, suintement

(3) S’agit-il de comparaisons symboliques qualifiant l’esprit des êtres ? L’esprit enfermé dans sa coquille, l’esprit rongé par les moisissures, l’esprit relié par un cordon ombilical? S’agit-il de ces êtres mythiques que mentionne la littérature bouddhique, notamment dans L'abhidharmakosa traduit et annoté par Louis de la Vallée Poussin (1923) :

Il y a là quatre « matrices » des êtres, êtres nés de l'œuf, etc.

Yoni, « matrice », signifie naissance. Etymologiquement, yoni signifie « mélange » : dans la naissance — la naissance étant commune à tous les êtres — les êtres sont ensemble en confusion.

Matrice des êtres nés de l'œuf : les êtres qui naissent de l'œuf, oie, grue, paon, perroquet, grive, etc.

Matrice des êtres nés du chorion : les êtres qui naissent du chorion, éléphant, cheval, bœuf, buffle, âne, porc, etc.

Matrice des êtres nés de l'exsudation : les êtres qui naissent de l'exsudation des éléments, terre, etc., — vers, insectes, papillons, moustiques.

Matrice des êtres apparitionnels : les êtres qui naissent d’un coup, avec les organes non manquants ni déficients, avec tous Ies membres et sous-membres. On les nomme upapâduka, « d'apparition », parce qu'ils sont habiles à l'acte d'apparaître (upapâdana), parce qu'ils naissent d'un coup [sans stade embryonnaire, sans semence et sang] ; tels les dieux, les êtres infernaux, les êtres de l'existence intermédiaire.

Comment les matrices sont-elles réparties parmi les destinées ?

Les hommes et les animaux sont de quatre espèces.

Hommes nés de l'œuf, tels Śaila et Upasaila nés des œufs d'une grue ; tels les trente-deux fils de [Visâkha], la mère de Mrgara; tels les cinq cents fils du roi de Pancâla.

Hommes nés du chorion, tels les hommes d'aujourd'hui.

Hommes nés de l'exsudation, tels Mândhâtar, Câru et Upacaru, Kapotamalinî, Àmrapâli, etc.

Hommes apparitionnels, les hommes du commencement de la période cosmique.

Les animaux sont aussi de quatre espèces. Trois espèces sont connues par l’expérience commune. Les Nâgas et les Garudas sont aussi apparitionnels.

Apparitionnels les ôtres infrrimiix (?), les êtres intermédiaires et les dieux.

Ces trois classes d'êtres appartiennent exclusivement à la matrice apparitionnelle.

Les Prêtas sont aussi nés du chorion.

Ils sont de deux sortes, apparitionnels et aussi nés du chorion. —

Qu'ils soient nés du chorion, cela résulte du discours que tint une

Pretî à Maudgalyayana : « J'accouche de cinq fils la nuit, de cinq fils le jour : je les mange et n'arrive pas à me rassasier ».

Quelle est la meilleure matrice ?

La matrice apparitionnelle.

S’il faut articuler une définition de l’ensemble des créatures, peut-être est-ce celle qui suit :

A. Du point de vue du mode de production, on peut les répartir en quatre sous-divisions 四生:

  1. Celles nées de l’œuf, donc certains ovipares, comme les oiseaux. D’abord la femelle pond l’œuf puis l’ayant couvé, la naissance se fait.
  2. Celles nées de l’utérus, autrement dit les vivipares, les mammifères (comme l'Homme) mais aussi certains reptiles (comme le serpent caméléon), quelques amphibiens et des arthropodes comme certains insectes ou scorpions et certains poissons. Au début, c’est comme pour l’oeuf sauf qu’il ne se détache pas du corps de la femelle jusqu’à ce que les membres et le corps soient formés, alors il quitte le ventre de la mère.
  3. Celles nées de l’humidité. On entend par là aussi certains ovipares comme les tortues, plusieurs reptiles et serpents, les insectes, les invertébrés, les crustacés, les batraciens et la majorité des poissons. D’abord la femelle pond l’œuf (frai ou alevin) puis, s’étant séparé du corps de la mère, jouissant d’eau et de chaleur et subissant une lente métamorphose, il atteint un stade final plus ou moins formé à moins d’être un marsupial.
  4. Celles nées d’une métamorphose comme les divinités, être célestes et démons, qui, récoltant le fruit des actes antérieurs, apparaissent subrepticement.

Mais qu’est-ce qu’un hippocampe ? Entre ovipare et vivipare ? Et le papillon sortant de sa chrysalide est-il l’un de ces êtres issus d’une transformation ?

B. Du point de vue de la substance formelle ou non-formelle des créatures, elles se divisent sur le plan matériel en deux groupes :

  1. Les créatures douées d’une forme 有色qui signifie 有形.
  2. Les créatures sans forme 无色/非色, c’est-à-dire celles du domaine du sans-forme, sphère de l’immatériel, résidence du vide. Concernant le le sans-forme, certains disent que les formes grossières y sont absentes. D’autres au contraire disent que même les formes subtiles y sont absentes et qu’il n’y est palpable que l’activité de la conscience。

C. Du point de vue de l’absence ou non de conscience chez les créatures, il existe trois groupes:

  1. Celles douées de cognition comme le genre humain et la plupart des êtres célestes.
  2. Celles dépourvues de cognition et qui relèvent du domaine de la non-cognition
  3. Celles qui n’ont ni cognition ni n’en sont dépourvues

(4) Il s’agit de trois énumérations consécutives d’êtres ou d’états : de l’œuf/ ou de l’utérus/, d'un suintement/ ou d’une apparition. A la première suit la deuxième : qu’elles aient une forme/ ou qu’elles n’en aient pas et puis la troisième : qu’elles soient douées de cognition/ ou qu’elles ne le soient pas/, ni qu’elles en soient douées ni qu’elles n’en soient pas (ni l'un ni l'autre).

(5) Il m’est difficile à ce stade de trouver une traduction satisfaisante pour . Si est pensée, qu’est-ce qu’est précisément ? S’agissant de l’idéogramme lui-même, il signifie la perception par l’esprit des attributs et définit cet œil 目 mental心 inquisiteur. Il s’agit, dans son sens philosophique, d’une opération mentale de celui qui perçoit. La perception est ce que nous apprécions consciemment dans ce que nous ressentons, je veux dire à travers les sensations. Pourtant, n’oublions pas que la psychologie moderne définit la perception comme fondamentalement entachée de partialité car fondée sur nos préjugés. Notre conscience n’est-elle rien d’autre que le legs trompeur de l’évolution des espèces?

Selon la plupart des sociologues, nous devons faire notre possible pour découvrir la vérité inaltérée qui nous permet de juger lucidement. Mais la sélection naturelle a-t-elle nécessairement conçu des organismes soucieux de vérité ? Peut-être pas. En réalité, dans certains cas, l’évolution irait même à l’encontre de la vérité et de la réalité des faits. Ce qui importe pour l’être humain, c’est l’amélioration de son bien-être physique. Et s’il est nécessaire parfois d’être partial et dans le faux pour parvenir à ses fins, ne doutons pas alors que l’esprit porte systématiquement des jugements erronés et partiaux. « La fonction principale du système nerveux », selon la spécialiste des sciences cognitives Patricia Churchland, est « de faciliter l’activité des parties du corps humain pour que l’organisme survive… La vérité, quelle qu’elle soit, vient définitivement en dernier ». (The rational animal, Douglas T. Kenrick & Vladas Griskevicius, Basic books, 2013, p.77-78).

Le terme « préjugé» est souvent jugé honteux. On nous a enseigné à ne pas avoir de préjugés et à faire preuve de justesse, raison et perspicacité. Pourtant la réalité est que nos cerveaux ont évolué vers une plus grande partialité – faisant, comme il était prévisible en effet, des erreurs et prenant des décisions qui semblent irrationnelles…Ce qui semble ridicule, voire même délirant peut être judicieux dans une perspective d’évolution. (ibid. p.93)

J’ai d’abord hésité entre perception et intellection. Mais intellection implique un effort de compréhension succédant à la perception, que la définition den’inclut pas forcément. Un deuxième choix s’est présenté entre perception et notion. Il est vrai que perception est aujourd’hui compris comme l’appréhension par les sens alors que notion a le sens d’appréhension par l’esprit. Un troisième choix s’est offert entre idée et notion. Mais peut-être faut-il l’entendre comme l’impression subie ou ressentie qui conduit à l’appréciation par l’esprit. Ce passage fait référence à trois états :

  1. L’état de cognition
  2. L’état de non-cognition
  3. L’état entre cognition et non-cognition, où les deux se confondent, coexistant et n’existant pas tout en même temps. Du nom sanskrit naivasamjnānāsamjnāyatana, qui se traduit suivant le dictionnaire électronique de sanskrit par place where there is no thinking and no not-thinking..

(6) Il existe deux sortes de nirvāña :

  1. Le parinirvāṇa ou anupadhiśeṣa-nirvāṇa qui définit l’extinction des passions où il n’y a plus de condition d’individualité et marque l’anéantissement des cinq agrégats. Il faut entendre par là qu’il n’y a plus rien à assouvir.
  2. Le nirvāña « avec reliquat »

Quelle est la différence entre les deux ? Selon le Traité de la grande vertu de sagesse 大智度論, le nirvāña « avec reliquat », c’est renoncer à toutes les passions nées des causes des cinq agrégats alors que le nirvāña « sans reliquat », c’est renoncer à celles nées de leurs effets. Que sont les cinq agrégats ? Il y a l'agrégat de la matière, l'agrégat des sensations, l'agrégat des perceptions, l'agrégat des formations mentales et l'agrégat de la conscience. Kuiji (T.1700) ajoute que ces deux étapes sont précédées par la réalisation de la nature pure et immaculée et succédées par l’absence de demeure.

(7) Le terme imprégner/imprégnation pour traduire dans ce contexte a un sens double : celui de féconder et celui d’influencer.

(8) Si hérésie était le terme choisi dans le Sûtra de la plate-forme pour ,je lui préfère un terme plus simple faussé.

(9) L’édition ZZ.38-4 donne le caractère au lieu de

(10) Ce passage reprend le thème exposé à la section 14 du Sûtra de la plate-forme, p.14 : Si, sans cultiver la droiture spirituelle, votre bouche discourait sur la pratique de la concentration entière de l’esprit, vous ne seriez pas disciples du Bouddha!

(11) Lorsque je dis que les créatures succombent, c’est qu’elles sombrent dans l’enfer ininterrompu (avīci). Cette dernière assertion que je préfère omettre se trouve dans l’édition ZZ.38-4.

Femme-Bodhisattva (The Fragility Within)

Femme-Bodhisattva (The Fragility Within)

S. et les fais passer (1).

C. L’être Vérité montre que les êtres des neuf terres (2) ont tous l’esprit subtil (3) du nirvāṇa qui les porte à s’éveiller et à pénétrer où rien ne reste (4). Où rien ne reste, c'est sans le superflu des vices et des passions. Le nirvāṇa a le sens de plénitude et de pureté. C’est éliminer tous les vices et ne jamais les laisser naître. S’étant accordé à le faire, le passager qui effectue le voyage traverse l’océan de naissance et de mort. L’esprit de bouddha, dans son équanimité, souhaite que toutes les créatures dans leur universalité pénètrent ensemble le nirvāṇa de plénitude et de pureté, où rien ne reste, traversent ensemble l’océan de naissance et de mort et témoignent ensemble de l’expérience bouddhique. Il y en a qui, face à l’éveil ou à la pratique bouddhique, s’imaginent y être parvenus mais ne font naître que l’attribut de l’ego ; c’est ce que l’on appelle la fausse conception du soi (5). Extirper entièrement cette fausse conception, c’est ce qui est nommé faire passer.

(1) C’est éteindre滅le brasier mental, éteindre烕par les eaux 氵l’incendie des vices et des passions et permettre aux hommes d’atteindre l’autre rive度autrement nommée le nirvāṇa. Le bouddha est le passeur ; les hommes sont les passagers. Ainsi se définit la transcendance.

(2) - que sont la terre de la sphère du désir, les quatre terres de la sphère de la forme et les quatre terres de la sphère de l’absence de forme –

(3) 妙subtil

(4) Nirvana where nothing is left (Poppe Nicholas The Diamond Sutra, Wiesbaden : Otto Harrassowitz,1971)

(5) « Je pense donc je suis cartésien » n’est que l’usurpation flagrante d’une pseudo-entité dont l’ignorance contribue à s’arroger illégitimement les seuls droits de l’existence et de l’authenticité. Propos recueillis dans la revue Troisième Millénaire

Bodhisattva (The Fragility Within)

Bodhisattva (The Fragility Within)

S. Ainsi c’est ce que j’ai entendu. Le bouddha se trouvait alors dans le pays de Śrāvasti, le bois de Jeta, le parc de Anāthapindada, avec la foule des 1250 grands moines mendiants. Alors, au moment du repas, le vénéré du monde vêtu de sa robe et tenant sa sébile entra dans la grande cité de Śrāvasti pour y mendier son repas. Après avoir mendié dans l’ordre, il retourna à sa résidence d’origine. Le repas fini, il rangea sa sébile et son vêtement. Lui ayant lavé les pieds, on mit un siège à sa disposition et il s’assit. A ce moment, le vénérable Subhūti, au milieu de la foule, se leva de son siège, découvrit l’épaule droite et mit son genou droit à terre. Il joignit les mains révérencieusement et s’adressa au bouddha :

- Comme c’est rare, ô vénéré du monde ! Leur pensée ne le quittant pas, l'être Vérité guide bien les êtres qui aspirent à la voie. Vénéré du monde, les hommes et les femmes de bien qui aspirent à l’esprit d’éveil insurpassé et parfait, comment doivent-ils demeurer ? Comment doivent-ils discipliner leur esprit ?

Le bouddha déclara:

- Bien, bien Subhūti ! Comme tu le dis, leur pensée ne me quittant pas, moi, l'être Vérité, guide bien les êtres qui aspirent à la voie. A présent, écoute religieusement ce que je vais te dire. Les hommes et les femmes de bien qui aspirent à l’esprit d’éveil insurpassé et parfait doivent ainsi demeurer et ainsi discipliner leur esprit.

- Oh, oui , Vénéré du monde ! C’est avec joie que je souhaite vous entendre.

Le bouddha déclara à Subhūti :

- Tous les bodhisattvas, les grands êtres, doivent ainsi discipliner leur esprit. Quelle que soit l’espèce des créatures, qu’elles soient issues de l’œuf ou de l’utérus, d’un suintement ou d’une apparition, qu’elles aient une forme ou qu’elles n’en aient pas, qu’elles soient douées de cognition ou qu’elles ne le soient pas, ou ni l’un ni l’autre, je leur permets d’entrer dans le nirvāṇa où rien ne reste et les fais passer. C’est ainsi que s’éteignent et passent les immensurables, innombrables créatures à l’infini, mais réellement nulle créature ne s’éteint ni ne passe (1).

C. Ainsi c’est dans l’observance (2) de ce qui est précédemment mentionné. Extinction et passage sont la grande libération. La grande libération, c’est quand passions et vices ainsi que l’entrave de tous nos actes passés sont complètement éteints et qu’il n’y a plus rien à assouvir, c’est ce que l’on appelle la grande libération. Les immensurables, innombrables créatures illimitées ont chacune en soi primitivement toutes les passions, convoitise et courroux et actes mauvais. Sans les éliminer, elles ne seront finalement pas libérées. C’est pourquoi il est dit c’est ainsi que s’éteignent et passent d’immensurables, innombrables créatures illimitées. Tous les êtres égarés peuvent s’éveiller à leur propre nature. Au commencement, nous savons que le bouddha était aveugle à son individualité (3) et n’avait nulle conscience. Pourquoi ferait-il fait passer les créatures ? Ce n’est que parce que les êtres ordinaires ne voient pas leur propre esprit originel qu’ils n’entendent pas (4) la volonté bouddhique. S’agrippant aux attributs (5) de toutes les choses, ils ne pénètrent pas le principe du non-agir. Lorsque l’ego n’est pas éliminé, ils ont pour nom créatures. Si elles s’en détachent, aucune créature réellement ne s’éteindra ni ne passera. C’est pourquoi il est dit : quand l’esprit d’erreur ne réside nulle part, c’est l’éveil. La naissance et la mort sont fondamentalement égales au nirvāṇa (6). Où y-a-t-il extinction et passage ?

(1) Dans la définition de l’esprit quaternaire ( Daochuan, T. 1512), il est dit que le troisième, l’esprit immuable, est qu’il n’y a réellement aucune créature qui n’ait obtenu un quelconque salut. L’esprit immuable signifie que la nature de bouddha et le corps de loi demeurent invariablement en chaque créature. Il en existe trois catégories : celles dont le corps de loi est entièrement recouvert par les impuretés ; celles qui cultivent le cheminement et tranchent l’état de confusion permanent et dont le corps n’est que partiellement pur ; celles qui ont accompli le cheminement des dix terres, qui ont entièrement tranché l’obstacle des confusions mentales et qui sont complètement purs et immaculés. L’esprit immuable (T.1699), c’est aussi témoigner invariablement sa compassion à tous les êtres. Il est essentiel de ne pas différencier entre les créatures car ce serait à la fois nier leur essence bouddhique et se rendre coupable du péché d’orgueil. Ainsi le dit Yinshun, l’aspiration à l’éveil a pour clef de voûte le vœu de faire passer les créatures, c’est pourquoi la clef de voûte est aussi la vacuité du moi.

Réellement aucune créature ne s’éteint ni ne passe du fait de la vacuité de la nature propre, de l’identité des substances corporelles, de la quiétude originelle et de l’absence de pensée (Zongmi). Qu’il n’y ait réellement aucune créature qui ait obtenu de passer, c’est maîtriser notre vision discriminante des autres, trancher les vues erronées dont celle illusoire de la permanence des êtres (Jizang).

(2) Dans le manuscrit le plus ancien on trouve le caractère 持 (Enô kenkyû, p.427) au lieu de 指 (ZZ.38-4, p.333a, Daochuan p.351b)

(3) svalaksana

(4) Le terme parijnāna signifie connaissance complète。 Dans l’idéogramme 識 il y a les éléments de la parole言 et du son音, ce qui me rappelle l’ensemble des facultés discursives que gouverne l’entendement.

(5) 法相 (ZZ.38-4, p.351c) au lieu de 相

(6) Quelle signification donner à l’erreur妄 ?

妄心無處即菩提。生死涅槃本平等quand l’esprit d’erreur ne réside nulle part, c’est l’éveil. La naissance et la mort sont fondamentalement égales au nirvāṇa

Il s’agit d’une citation que l’on retrouve notamment dans 首楞嚴義疏注經 (No. 1799 子璿集, Vol. 39) un commentaire du Śūraṃgama-sūtra de l’époque Song.

Il faut entendre qu’il n’y a pas de différence entre les êtres en ce qui est de leur potentiel à parvenir au nirvāṇa.

Comment est utilisé le concept de l’erreur dans le Sûtra de la plate-forme ? Il faut comprendre qu’au sein de l’erreur subsiste la nature pure (section 36, p.67) et que la terre spirituelle, dénuée d’erreurs, est la discipline de la nature propre (section 41, p. 72). Détachez-vous des pensées erronées et votre nature originelle se dévoilera dans sa pureté ! (section 18, p.44) Qu’entend-on par « en sa propre nature, passer par soi-même sur l’autre rive » ? En dépit des vues hérétiques et des passions, de l’ignorance et de l’inconscience, des illusions et des erreurs, c’est posséder soi-même, en son propre corps formel, la nature de l’éveil originel. (section 21, p.48-49)

Le soleil et la lune brillent continuellement. C’est seulement lorsqu’ils sont cachés par les nuages qu’ils éclairent le haut, mais que le bas est assombri. Le soleil, la lune, les étoiles et les planètes ne peuvent plus alors être distingués. Soudain, quand survient un vent de sagesse qui dissipe, par son souffle, et fait rouler tous les nuages et les brumes, apparaissent aussitôt les dix mille phénomènes. La nature humaine est aussi pure qu’un ciel limpide. La sagesse se compare au soleil et la connaissance, à la lune. Sagesse et connaissance éclairent constamment, mais, dans notre attachement aux circonstances extérieures, les nuages flottants des pensées erronées voilent la nature propre qui ne peut plus briller.

Sûtra de la Plate-forme, section 20, p.46, traduit par Catherine Toulsaly

S. Et pourquoi ? Subhūti, si les bodhisattvas possédaient les attributs (1) du moi, de l' être humain, de toutes les créatures et de vie, ils ne seraient pas des bodhisattvas (2).

C. Toutes les créatures et la nature de bouddha ne sont radicalement (3) pas différentes. Parce qu’elles possèdent les quatre attributs, elles ne pénètrent pas où rien ne reste. Ceux qui possèdent les quatre attributs sont toutes les créatures. Si elles ne les possédaient pas, elles seraient des bouddhas. Egarés, les bouddhas sont des êtres ordinaires. Eveillées, toutes les créatures sont des bouddhas (4). Lorsque les êtres égarés se prévalant de leurs biens, de leur savoir et de leur patronyme méprisent les autres, c’est l’attribut du moi. Bien qu’ils fassent preuve de charité, droiture (5), bienséance, sagesse et loyauté, ils sont si infatués d’eux-mêmes qu’ils ne cheminent pas dans le respect universel. Quand ils disent comprendre et appliquer charité, droiture, bienséance, sagesse et loyauté en manquant de respect, c’est l’attribut de l’être humain. Lorsque ce qui est bien revient à soi et que ce qui est mal est attribué aux autres, c’est l’attribut de toutes les créatures. Faire la distinction entre l’attachement et le renoncement à l’environnement de poussière (6), c’est l’attribut de l’être vivant. Voilà les quatre attributs des êtres ordinaires. Ceux qui cultivent le cheminement possèdent eux aussi les quatre attributs. Leur esprit saturé de facultés actives et passives (7), ils méprisent toutes les créatures ; c’est l’attribut du moi. Bien qu’ils aient la prétention de suivre les préceptes, ils les dédaignent et les enfreignent ; c’est l’attribut de l’être humain. Maudissant les trois peines expiatoires (8) tout en faisant vœu de naître aux cieux, c’est l’attribut de toutes les créatures. En quête de longévité, s'ils cultivent avec zèle les actes méritoires sans rompre toutes les chaînes, c’est l’attribut de l' être vivant. Posséder les quatre attributs; ce sont toutes les créatures. Sans plus les posséder; ce sont des bouddhas (9).

(1) On trouve dans le Tanjing 坛经, section 13 mentionner les quatre attributs sans préciser leur signification :

L’illumination de soi et l’exercice de la pratique n’ont pas à être contestés : ceux qui se querellent à propos de l’ordre de succession entre sagesse et concentration ne sont que des êtres aveuglés. Ne rompant pas avec l’idée de vaincre, ils ne réveillent en fait que leur ego et ne se détachent pas des quatre attributs

Sûtra de la Plate-forme, p.40

Selon la note 31 (p.100), les quatre attributs caractérisent tous les êtres et constituent les quatre états que sont naître, exister, vieillir et mourir.

        Sur un plan philosophique, l’attribut est cette qualité que l’on croit, à tort ou à raison,  essentielle d’une substance – sachant que la substance est ce qu’il y a de permanent dans ce qui change. Patrick Carré fait d’ailleurs référence à l’emploi de ce terme dans sa préface aux Entretiens de Houang-po mais lui préfère finalement l’expression caractère particulier. Lee Shaochang l’avait déjà traduit en 1891 par characterizing attribute (p.29).

S’agissant de comparer les diverses traductions et commentaires pour l’assertion capitale  我相人相眾生相壽者相, le caractère notion est parfois employé au lieu de . La variante 我想眾生想命想取者想 se trouve dans le manuscrit T.1515. La variante 我想衆生想壽者想受者想 se trouve dans la traduction T.237 de Paramārtha. La variante 我想有情想壽者想更求趣想 se trouve dans  la traduction de Yijing (T.239). On reconnaît la difficulté de comparer les diverses traductions chinoises du même manuscrit et admet que le texte de Kumārajīva est le plus aisé à suivre bien que son exactitude ne soit  pas irréprochable. Le problème est d’autant plus complexe que les terminaisons chinoises évoluent dans le temps si bien que l’on ne sait plus si l’on parle de la même chose. Dans le cas particulier des quatre attributs, leur nombre s’accroît dans le texte de Xuanzang. L'énumération de Zhiyi (T.1698)  rappelle ce que je nommerais, à la lumière de la psychologie moderne, le concept des sous-moi,  qu’il reprend du Sûtra de la grande sapience qui mène sur l’autre rive (T.223), traduction de Kumārajīva.

Dans les textes occidentaux, on remarque, outre l’emploi du mot notion ou idée par Walleser (p.141, der Begriff), Müller (p.114, idea), Price (p.19,) et Conze (p.25, notion), que Poppe (p.51, 6a) utilise le mot perception, Beal (p.4)  le mot distinction.

S’agissant des quatre attributs, on trouve les termes suivants :

Ego, man, all beings and personalities (Lee Shaochang, p.29)

Selbst, Lebewesen, Lebenden, Person  (Walleser, p.141)

Ego, being, soul, person  (Poppe, p.53)

Self, being, living being, person (Müller, p.114)

Selfish distinction, social distinction, distinction as a sentient being, distinction as a finite and perishable being (Beal)

Égoïté, existence, vie, personnalité (De Harlez, p.453)

Ego entity, personality, being, separated individuality (Price, p.19)

Ego, personne, être, âme (Suzuki, trad. française)

A self, a being, a living soul, a person  (Conze)

Que dire de ces quatre attributs?

  1. Qu’il y a consensus quant à l’attribut du moi ou ego 我相/我想.
  2. L’attribut des créatures vivantes 眾生相/衆生想 autrement nommées les êtres sensibles 有情.  Sattva 眾生 (薩埵), c’est l’ensemble des êtres sensibles qui résultent d’une myriade de conditions et sont la combinaison des cinq agrégats. Il s’agit de l’agglomération  inextricable de matières organiques qui apparaissent dans leur corporéité en suivant des règles immatérielles sous l’emprise des sensations , limitées par les perceptions et dominées par l’acte volitionnel au sein de la conscience .  A l’origine眾生(littéralement ces êtres plusieurs fois nés) se disait 補特伽羅 pudgala ayant l’idée de l’être réincarné comme si cette agglomération inextricable de matières organiques s’évaporait en cendres pour se reconstituer inextricablement donnant ainsi naissance à une autre forme de vie,La translittération ancienne inclut 更求趣、數取趣 pour rappeler les six voies de transmigration : les âmes damnées, les âmes affamées, les bêtes, les démons ou divinités (asuras), les êtres humains, les êtres célestes.
  3. L’attribut existentiel 壽者 définit les êtres dont la vie est gravée sur le Livre du destin 命.
  4. Que dire de l’être humain ? L attribut de l’être humain est-il la somme des trois autres ? L’homme a pour caractéristiques son ego, son appartenance au groupe des êtres sensibles et sa dimension existentielle. Voilà l’attribut de l’être humain. J’ajouterai siuvant la même idée que, selon Erik Erikson:

A human being, thus, is at all times an organism, an ego and a member of society and is involved in all three processes of organization. . . . We are speaking of three processes, the somatic process, the ego process, and the societal process.  (Childhood and society, 1963).

A l’origine, on employait la translittération 補盧沙 (puruṣa) traduit en chinois par 士夫 ou 丈夫  pour le caractère .

Mais que veut dire 取者 et 受者? Que l’être humain, soumis à l’empire des six poussières est le réceptacle d’avatars auxquels il se cramponne sempiternellement.

(2) L’abandon de l’attribut du moi passe par le sacrifice de son propre corps formel. Si les boddhisattvas possédaient les quatre attributs, leur nature narcissique et égoïste ne pourrait leur permettre de témoigner de la compassion aux créatures ni se vouer à leur salut. (T.1512). C’est en tranchant la vue égotiste que l’on parvient à l’égalité entre soi et autrui (T.1510). C’est l’esprit discriminant qui est à l'origine de notre attachement aux quatre attributs (Huijing). L’attribut du moi désigne, au cœur des cinq agrégats, la fausse idée que le moi et le mien existent. L’attribut d’un être humain est la fausse idée de son individualité, le sentiment d’être, en tant que humain, à la fois particulier et différent. L’attribut des créatures est l’idée erronée que chacune est une entité résultant de la combinaison des cinq agrégats. L’attribut d’un être vivant est l’idée erronée que sa propre vie a une durée plus ou moins longue. Grâce à la subtile connaissance sapientiale, les quatre attributs disparaissent (Daochuan). L’attribut du moi, c’est s’enchaîner aux différences nées des trois temps et des cinq agrégats.

Le moi a pour dessein de gouverner autrui. Les créatures sont la combinaison des cinq agrégats où se mêlent spiritualité et matière… De la créature passée provient la créature présente et après la créature présente vient la créature future. Sans cesse elle naît pour mourir de nouveau et puis se réincarne ; cela a donc un sens proche de pugdala 補特伽羅. Quoique Yinshun rapproche le terme à celui de 眾生, d’autres le rapprochent de人. L’être vivant, c’est-à-dire la créature de la naissance à la mort, poursuit la route de ses destinées temporaires. C’est à la clarté de la sapience que la nature réelle et dépourvue des attributs du moi, de l’être humain, des créatures et de l’être vivant s’offre à nos yeux.

(3) L’édition de Daochuan omet radicalement .

(4) Ces deux assertions se trouvent dans le manuscrit de Dunhuang du 坛经, section 52 :

Aveuglé, même un Bouddha est un être ordinaire.
Eveillé, même un être ordinaire devient Bouddha

迷即佛(是)眾生。悟即眾生(是)佛。

Sûtra de la Plate-forme, p.88

(5) On retrouve l’expression 行仁義禮智信dans le 歴代法寶記 (No. 2075, Vol. 51). Il s’agit de l’observance des cinq vertus du confucianisme. Toutefois qu’entend-on par ? Si l’on peut parler de droiture ici en référence au concept confucéen, il faut rappeler l’importance du terme dans le manuscrit de Dunhuang du 坛经, section 17.

(6) C’est l’empire des six poussières auquel l’être humain est soumis. Ces six poussières sont mentionnées par deux fois (sections 31 et 45) dans le manuscrit de Dunhuang du 坛经. Il s’agit des cinq sens de la vue, du son, de l’odorat, du goût et du toucher et de la sixième poussière, l’objet mental. Pourtant il n’est pas question de privilégier une attitude sur l’autre  quand il est dit que "Quels que soient les humains et non-humains, qu’ils soient bons ou mauvais, les choses bonnes ou mauvaises qui s’offrent à votre vue, n’y renoncez pas!" ou encore "Contemplez toute chose à la lumière de votre sagesse ! Ainsi, sans vous attacher ni renoncer à aucune, vous verrez votre nature et atteindrez la voie du Bouddha."

(7) 心有能所 rappelle ce que dit Descartes. Le concept philosophique d’agentivité traduit un éventail illimité de possibilités entre les rôles d’agents et de patients, le potentiel et l’actuel, sujets ou objets et introduit un point fondamental sur la réalité objective des choses. C’est la conception universelle de causalité. Et c’est d’abord dans l’esprit que  s’agitent imperceptiblement les forces actives et passives universelles. 

Ce sont ces paroles qui me reviennent pour expliquer 心有能所 dans 修行人心有能所。不名善法。能所心不滅。Il y a l'agent - ce qui agit - et ce qui subit l'action. L'actif et le passif. Le faire et l'être. Par exemple,

  • Les sens du toucher et de l'odorat sont essentiels mais l'air est l'agent de transmission.
  • S'agissant de la conscience et du cerveau, quel est l'agent? qu'est-ce qui subit l'action? Le cerveau, en tant que récepteur d’émissions, est l'agent.
  • Le fait que les choses vues le soient par soi, ce soi devient l’agent. Et ces choses vues deviennent le patient. Ce sont, en fait les deux manifestations de la nature véritable.

(8) Il s’agit du bourbier des trois voies infernales.

(9) "A la seule condition que vous puissiez vous libérer des attributs, la substance de votre nature sera pure et immaculée." (Sûtra de la Plate-forme, p.42)

Bodhisattva (The fragility Within)

Bodhisattva (The fragility Within)

La lune éclatante qui se reflète dans la mer demeure invisible dans le flot tumultueux des vagues sous les rafales du vent. 

SECTION QUATRE : LE SUBTIL CHEMINEMENT DE LA NON-DEMEURE

S. En outre, Subhūti, les bodhisattvas, sous l’égide de la loi, ne doivent demeurer nulle part lorsqu’ils font l’aumône, c’est ce qui s'appelle faire l’aumône sans demeurer ni dans la forme, ni dans le son, ni dans l’odeur, ni dans la saveur, ni dans le toucher, ni dans les objets virtuels (1).

C. Quand les hommes ordinaires font l’aumône, ils implorent de recevoir un traitement digne et le plaisir des cinq sens. C’est pourquoi leur rétribution est la descente dans le bourbier des trois voies infernales (2). Le Vénéré du monde, dans sa grande compassion, enseigne la pratique de l’aumône sans attribut qui consiste à n’implorer de recevoir ni traitement digne ni plaisir des cinq sens. En les encourageant intérieurement de réduire à néant leur mesquinerie, il fait bénéficier extérieurement toutes les créatures. Ainsi s’ils s’y accordent, c’est ce qui s’appelle faire l’aumône sans se fixer sur la forme (3).

(1) Il faut revenir ici à la définition des six poussières 色聲香味觸法 et des six ravisseurs que sont les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit.

Objets en tant que représentations de l’esprit.

(2) Voir section 3.5.

(3) A rappeler le lien étroit entre l’absence de pensée et l’absence de demeure (voir l’article sur la non-pensée, section 1.2, section 1.3, section 2.4). L’ego est le maître intérieur ; c’est pourquoi la clef de voûte de l’enseignement bouddhique est la vacuité du moi.

S. Subhūti, les bodhisattvas doivent ainsi faire l’aumône sans demeurer au sein des attributs (1).

C. C’est ainsi qu’il faut faire l’aumône, l’esprit exempt de tout attribut, car celui dont l'esprit ne peut concevoir le don ne voit pas ce qu’il donne ni ne reconnaît celui qui reçoit (2). C’est ce qui s’appelle faire l’aumône sans demeurer au sein des attributs.

(1) Le Sūtra du diamant considère l’absence d’attribut comme la Doctrine, l’absence de demeure comme la Substance, idée reprise dans le Manuscrit de Dunhuang:

...ma propre loi, porte de l'illumination, a toujours considéré, depuis les temps reculés, ... l'absence d'attribut comme la substance et l'absence de demeure comme le fondement… (Sūtra de la plate-forme, Catherine Toulsaly, You-Feng, 1992, p. 42)

L’absence d’attribut, c’est se détacher des attributs au sein même des attributs

无相(者)于相而离相

Suivant la note 2 (p.95), on précise que :

Alakṣaṇa (aussi animitta, nirābhāsa entre autres), est un terme sanskrit difficilement traduisible. Il définit l’absence d’attribut, la négation de tout signe caractéristique et n’est pas sans rapprochement avec le terme philosophique métaphysique dans ce qui dépasse le domaine des phénomènes, pour atteindre la chose en soi, ce qui relève d'un ordre transcendant, celui de l'essentiel, de l'absolu.

A la définition de l’absence d’attribut, rappelons le récit symbolique de l’entretien entre Bodhidharma et l’empereur Wu (section 34, p.62) dans lequel il est fait référence au concept de l’aumône :

…lorsque le grand maître Bodhidharma convertit l’empereur Wu, ce dernier lui demanda :

« Y-a-t-il des vertus méritoires pour avoir, toute notre vie, érigé des temples et accordé des dons et des offrandes ? »

« Aucunement »

Il faut parler ici de la non-substantialité des trois aspects du don 三輪體空: de celui qui donne, de ce qui est donné et de celui à qui l'on donne.

D'après une source, Bodhidharma serait un moine persan, arrivé en Chine vers 480. La tradition retiendra l'histoire décrite par Daoxuan 道宣 dans le Xugaosengzhuan 续高僧传, complément à la biographie des moines  éminents, et celle de Yangxuan 杨炫, contemporain de Bodhidharma, dans son Luoyangjialanji  洛阳 伽蓝记 :

Bodhidharma, le vingt-huitième patriarche de l'école Chan en Inde, arriva en Chine en 527. Contemplateur du mur 面壁 durant neuf ans, il est le lien entre le dhyāna indien (mot sanskrit signifiant concentration, méditation, traduit en chinois par chan 禅) et le chan chinois.

(2) Mais que signifie faire l’aumône ? La lecture du passage tiré du Taisho Tripitaka Vol. 32, No. 1659 發菩提心經論, que mentionne Ding Fubao, 金刚般若波罗蜜经, p.28-29 aide à mieux comprendre. Il importe de ne rien attendre des dons et des offrandes prodiguées dans une parfaite abnégation de soi. Il y a un sens double et réciproque. Si, sur un plan pratique et personnel, l’aumône peut être récoltée par le moine lors de sa quête quotidienne, le bodhisattva, quant à lui, pratique la charité, plein de compassion pour autrui et oublieux de lui-même, en encourageant les êtres ordinaires à se détacher des attributs mondains qui relèvent du domaine des phénomènes et parvenir à l’éveil sans s'attacher ni aux sons, ni aux goûts, ni aux formes, ni aux odeurs, ni aux contacts physiques.

S. Et pourquoi ? Les vertus méritoires des bodhisattvas qui font l’aumône sans demeurer au sein des attributs sont inimaginables.

C. 菩薩行施。心無所希求。其所獲福德。如十方虗空。不可較量。Les bodhisattvas qui font l’aumône sans en attendre quoi que ce soit sont récompensés par des vertus méritoires aussi incommensurables que l’espace vide aux dix directions.

言復次者。連前起後之辭。Dire « en outre », c’est pour lier ce qui précède avec ce qui suit.

一說布者普也。施者散也。能普散盡心中妄念習氣煩惱。四相泯絕。無所蘊積。是真布施。D'une part, 布signifie universellement et 施 signifie dissiper. Pouvoir dissiper entièrement de son esprit les passions, les habitudes et les pensées erronées sans que plus rien ne s’agrège en réduisant à néant les quatre attributs, c’est cela le don véritable.

又說布施者。由不住六塵境界。又不有漏分別。D’autre part, ceux qui font l’aumône ne résident pas dans le royaume des six poussières ni ne conçoivent de différence née du flot karmique.

惟當返皈清淨。了萬法空寂。Ce n’est qu’en retournant à l’état pur et immaculé que l’on comprend que tout n’est que vacuité.

若不了此意。惟增諸業。Sans l’avoir compris, on ne peut qu’enchaîner les actes karmiques.

故須內除貪愛。外行布施。內外相應。獲福無量。C’est pourquoi il faut extirper intérieurement la concupiscence et pratiquer extérieurement l’aumône afin d’obtenir des mérites incalculables.

见人作恶,不见其过。自性不生分别,是名离相。Voir l’autre faire du mal sans reconnaître sa faute, la nature indiscriminée, cela s’appelle se détacher des apparences.

依教修行,心无能所,即是善法。修行人心有能所,不名善法. L’efficacité de l’esprit tient de celui dont la pratique se conforme à l’enseignement bouddhique, c’est cela la bonne loi. Celui qui s’exerce à la pratique, l’esprit plein de vanité, cela ne se nomme pas la bonne loi.

Cela me fait penser à l’être (所) et le faire (能) aussi longtemps que le faire n’est pas synonyme de prétendre. Le 能 dans le 道德經 (section 8) fait référence à la capacité, ou mieux encore “l’efficacité”. Le contraire de l’efficacité,  c’est la vanité des efforts et des prétentions.

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