l'univers et la conscience

Les cordes musicales de l'Univers

Publié le par Catherine Toulsaly

Pot of concepts (Google-Labs-Image FX)

Pot of concepts (Google-Labs-Image FX)

À l'aube, un mur de nuages ​​se dessine à l'horizon. Les poètes disparus se rassemblent la nuit autour d'un foyer de concepts, débattant de ce qui a pu faire vibrer les cordes dans le silence de la nuit. Leurs âmes  planent au-dessus de la surface scintillante de la Terre, attrapant au vol l'écho des gazouillis, croassements, grondements, cliquetis et vrombissements de la Nature qui forment un chœur en contrebas.

Gathering of dead poets (Google-Labs-Image FX)

Gathering of dead poets (Google-Labs-Image FX)

Des voix venues d'outre-tombe résonnent à leurs oreilles. Bertrand Russell affirme qu'un mouvement est une série d'événements liés les uns aux autres. Une de ces séries forme un morceau de matière ; une autre une personne. La transition d'un événement à l'autre dans une série s'appelle « mouvement », comme un film dans lequel  des flots se fondent en un seul flot, des cordes universelles.

Johannes Kepler se joint à cette discussion philosophique. Par corde, il entend la longueur de tout mouvement ou toute autre longueur capable d'émettre un son. Il associe clairement la distance au son. Une corde est la distance parcourue par tout mouvement, même celui d'une onde gravitationnelle ou d'une émission radio. D'un côté, il y a la distance, la masse et la force électrique. De l'autre, il y a l'entropie, la beauté et la mélodie. La beauté renvoie au visuel ; la mélodie à la séquence des sons. Où donc se situe la force de gravité ? Puisqu'elle n'est pas une force entropique, il semble approprié de la mettre avec la distance, la masse et la force électrique.

L'Insensée de la colline qui les accompagne rapporte son expérience intime de la lumière, des sons et de l'eau et les encourage à demander à William Turner d'ajouter, d'outre-tombe, des sons à ses peintures du Dévoilé. Un cadre conceptuel dans lequel les distances sont des cordes musicales est un tableau de correspondances entre couleurs, longueurs et fréquences.

Dans les premières lueurs du jour, ils composent des poèmes employant des métaphores comme les météores marins, les oiseaux du cosmos et les fleurs du ciel. Ils font des rimes à  propos de la Terre, paysage sonore de rochers qui résonnent du chant des étoiles et des planètes suspendues en équilibre. Ils jurent qu'un lien existe entre les donneurs et porteurs de lumière, les phénomènes astronomiques transitoires et les poissons-pêcheurs dont l'appât est le photobacterium logé dans leur épine dorsale.

Souhaitant co-créer un code poétique universel, ils disparaissent à l'horizon à la poursuite de clés de communication en suivant les traînées d'étoiles qui paraissent tomber d'un arbre invisible comme les feuilles d'automne. Des cordes musicales ondulent, dessinant des grimaces dans les nuages. Des êtres de lumière apparaissent, jouant à cache-cache à la lueur argentée de la Lune suspendue au-dessous Jupiter. La Terre, assourdie par la montée retentissante des températures, projette son ombre sur la Lune.

Sur la route de New York, les arbres balancent leurs feuilles d'automne et s'inclinent devant le mouvement rapide des voyageurs. La force de gravité retient le torrent dans son lit tandis que les feuilles mortes s'élèvent librement, portées par le vent. Les branches dansantes frissonnent au rythme de trompette et de harpe, dont les cordes, tendues à l'extrême, se détachent. La série d'événements fait penser à une suite ininterrompue d'âmes sœurs. Au-delà de toute perception, une corde en harmonie avec une autre vibrera toujours par sympathie.

Au jardin tropical de Valombreuse, les colibris sautillant sur des roses de porcelaine se substituent aux buses à queue rousse qui planaient au-dessus des arbres dénudés et des cerfs au bord de l'autoroute de la Virginie. Dans ce paradis perdu entouré d'eau, l'ego est un reptile qui mue, broyé avec le temps. C'est une grenouille-poète tiraillée par des illusions poétiques. A l'écoute des vagues de l'océan qui s'effondrent sur la longue plage de sable, la cacophonie des cascades tumultueuses me revient à l'esprit.

Puisque les sons voyagent plus lentement que la lumière, la beauté et la mélodie sont séparées. Elles constituent une expérience en deux temps. Ce que nous percevons par la vue et l'ouïe se produit de manière inégale en raison du nombre infini de cordes qui nous séparent de chaque goutte rebondissant sur le sol à chaque moment unique et prolongé. À la vitesse à laquelle les vagues déferlent sur la plage, un son composé émet un certain nombre de vibrations harmoniquement liées. En se propageant dans l'air, l'eau et la matière, le son provoque des vibrations sur un plus grand nombre de dimensions que la forme linéaire d'une seule corde. Les fréquences des ondes se superposent.

Les sons et les ondes transformés voyagent à travers l'espace-temps et la matière. L'invariance implique que même les ondes gravitationnelles font partie d'une chaîne de conversion. Dans l'Univers se produit une transmission illimitée d'ondes multiformes. Pour se propager, elles nécessitent une source (hôte), un espace intermédiaire et un récepteur. Alors que les sons ne peuvent se déplacer dans le vide, les ondulations gravitationnelles se propagent à la vitesse de la lumière et déforment la structure de l'espace-temps. Des cordes relient les points de l'espace-temps.

Si l'être est né de quelque chose, ce quelque chose sorti de l'ombre a pour propriété le son. Un son est-il accessoire ou fondamental ? Des cordes sonores capables de produire la fréquence la plus basse se transforment en sons et ondes qui se propagent dans l'Univers sensible. Les cordes se croisent et vibrent comme un orchestre exécutant un mouvement. L'Univers, dans sa pluralité, est une caisse de résonance. La résonance dans et hors de la matière véhicule les ondes d'une mélodie discrète jouée sur le clavier du temps.

Pris chacun littéralement, Russell et Kepler semblent à des années-lumière l'un de l'autre. Une longueur peut-elle être autre chose qu'un mouvement à travers l'espace-temps ? Et comment un mouvement peut-il ne pas produire de son ou donner une impulsion vibratoire ? La transition d'un événement à l'autre marque un mouvement. La longueur d'un mouvement capable d'émettre un son est une corde (musicale).  Ces questions alimentent le débat sur notre perception de l'Univers, qu'il soit un patchwork d'événements ou une figure géométrique en évolution.

Ce qui agite les cordes dans le silence de la nuit est intrinsèquement lié au caractère ontologique de la corde qui porte en elle-même l'intention originelle du lien. Ce lien, concept primordial, qu'il ait ou non une propriété sonore, se retrouve tout aussi bien dans la théorie des cordes que dans l'information génétique. Les étoiles, les galaxies et d'autres corps astronomiques produisent des frottements sonores à travers le milieu intergalactique et interstellaire. Le bruissement des étoiles émet des ondes radio couvrant le son étouffé du Néant dont l'emprise se desserre pour libérer les cordes (musicales) au mouvement aléatoire. Les événements en dents de scie sont séparés par des segments de silence.

La lumière se retire-t-elle ou l'obscurité la recouvre-t-elle de son manteau ? Les êtres sensibles et les objets inanimés réfléchissent-ils la lumière, ou possèdent-ils une lumière intrinsèque dont l'intensité varie selon les circonstances spatiales et temporelles ? L'Univers communique par des ondes qui vont et viennent le long de cordes à intervalles. Les sons sont ce que nous entendons. Les vibrations sont ce que nous ressentons.

L'être humain se nourrit d'énergie qui se manifeste, à des années-lumière, à travers des battements, des éruptions de rayons X et des sursauts radio qui libèrent autant d'énergie que le Soleil en quelques jours, voire en quelques années. Ce sont des phénomènes éphémères de quelques millisecondes comme des cris aigus et prolongés, le sifflement doux et clair des bruants à gorge blanche, mais aussi récurrents comme le cri de détresse que répètent les troglodytes de Caroline.

Un coucher de soleil rouge et orange s'étend sur l'horizon nuageux. Sous le dôme étoilé, je rentre de New York. Des lueurs éclairent la côte Est, comme des feux d'artifice. Dans le jardin de plantes indigènes, le chant des oiseaux va et vient des buissons comme pour saluer notre retour. Les roues des vélos grincent sur le parterre de feuilles rouges et jaunes déposées par les arbres sur la piste cyclable de Custis. Avec ou sans nous, le temps, lui, continue.

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Vivre l'inconnu

Publié le par Catherine Toulsaly

Pour nous remonter le moral, il y a des magazines en ligne époustouflants comme Emergence, des articles bien écrits de Lee Billings dans l’édition spéciale de collection Scientific American (été 2022) et des cascades d’idées dans Aeon au point que cela me fait tourner la tête en proie à des pensées désordonnées que je n’arrive pas à remettre en ordre. Je ne sais pas pourquoi certaines s'obstinent plus que d’autres. Je sais seulement qu’il faut les réorganiser. J’espère qu’en les énumérant une par une, leurs empreintes fantômes dessineront une ligne de raisonnement plus facile à déchiffrer ou qu'elles disparaîtront entièrement.

L’Univers est une sphère fertile, un champ aérien parsemé d’îlots de conscience. Des étoiles massives aux cyanobactéries, quelque chose d'immanent dépend de sa nature quantique qui est liberté, essence et existence. La réalité qui, pour nous, s'affuble d'oripeaux de lumière et d’eau est un écran de molécules tissées dans le champ électromagnétique. Pour nous, la vie et la conscience s’entremêlent. Nous sommes incapables de concevoir l’une sans l’autre. À nos yeux, la conscience s'est fixée sur la surface terrestre qui l'empêche de s’échapper dans l’espace de la même façon que la force de gravité retient l’oxygène.

Étant donné que nous sommes des êtres vivants formés de carbone et respirant l’oxygène dans un Univers pourtant dominé par l’hydrogène, faut-il s'attendre à ce que toute forme de vie et de conscience dérive de ces mêmes paramètres physico-chimiques, modelés sur notre propre expérience des éléments biologiques constitutifs de la Terre ? S’il est difficile d’imaginer la vie au-delà de ce que l'on entend conventionnellement, il est encore plus difficile de concevoir l'existence de la conscience de manière plus générale.

Plus que notre incapacité à imaginer une plus grande diversité de niches de vie et de conscience, les efforts que nous déployons à les classer au-delà de la Terre et du système solaire, et au-delà des frontières spatiotemporelles, réduit le champs de possibilités. Intuitivement, nous sentons la présence d’une carte invisible sur laquelle ne figurent pas seulement les distances parcourues entre des lieux physiques. Des liens se sont tissés entre le présent et ce monstre de structure qui s’étend sur le temps. Une telle toile invisible est dynamique, tirant, repoussant, et divisant les corps et les âmes. Elle maintient des cordes invisibles et monte des échafaudages de conscience qui se brisent sous leurs poids.

J’ai en tête l’image d’une fracture qui entoure presque entièrement la couronne d’Artémis en forme de souris sur Vénus. Elle traverse la même zone que la fosse des Aléoutiennes, au sud de la mer de Béring, dont la profondeur maximale est 78 fois supérieure à celle de la ligne de faille terrestre des chutes Mosi-oa-Tunya. Les fractures physiques se mêlent aux intervalles de temps évanescents.

Le temps s'inscrit gravitationnellement par le biais de la géométrie. Dans les zones semblables à des fosses où la force de gravité est faible, le temps diffère. Au sortir de l’ombre, les extrémophiles s’éloignent du royaume quantique pour établir des niches biologiques sur leur propre échelle de temps. À l’intérieur de la croûte mais aussi dans les profondeurs des objets célestes, il existe des microorganismes d’où émergeront, avec le temps, des formes de vie plus complexes.

Dans un univers de relations spatiales invisibles tributaires du temps, les poètes du passé, présent et futur ont un esprit voyageur qui observe les étoiles et les planètes. Tandis que les planètes, en fonction de leur position, suivent leur propre échelle de temps, les étoiles qui augmentent de taille éloignent davantage les zones habitables. Celles qui sont beaucoup plus proches du centre galactique peuvent avoir une échelle de temps encore plus lente que celle que suit le Soleil.

Loin des lumières de la ville, les poètes ont observé le ciel nocturne changer progressivement avec le lancement continu de satellites depuis les années 60. Les liens intemporels entre écologie, culture et spiritualité obligent que, dans un monde parfait, les États parties au Traité sur l’espace mènent des explorations en évitant toute « contamination nocive ». Nous reconnaissons donc dans nos efforts actuels d'élimination des débris spatiaux, le risque potentiel de laisser deriver des déchets et des éclats de métal dans l’espace de la même manière que nous avons reconnu la pollution de nos océans.

Des territoires et terres inexplorés ont été conquis sous prétexte du droit de conquête tout au long de l’histoire de l’humanité. Ce principe a laissé des cicatrices indélébiles et s’est institutionnalisé. Soixante-dix ans après que la Cour suprême l’ait confirmé en 1823, l’un des hommes les plus riches des États-Unis, John Jacob Astor, décrivait alors, dans son roman scientifique, des mondes extraterrestres  « qui auraient satisfait un poète » tout en incitant d’autres à y « extraire le cuivre des collines » et d'y  « assécher les marais ». Cent vingt ans plus tard, sommes-nous toujours plus désireux de suivre les traces de Christophe Colomb que de remplir le rôle de gardiens de l’espace extra-atmosphérique ?

L' histoire est une fenêtre sur la nature humaine. En dehors des méthodes traditionnelles de gestion des affaires courantes, posons-nous des questions fondamentales sur ce qu’est la vie et ce qu’implique la conscience avant de procéder à la prochaine ruée vers l’or et à la course au forage du sol des corps planétaires.

Il existe des quantités variables interdépendantes et des corrélations à très longue portée issues de degrés de liberté microscopiques sous-jacents. Une approche évolutionniste de la conscience devrait faire partie de notre discussion actuelle sur l’exploration spatiale. Qu’il s’agisse des mutations provoquées par l'introduction d'espèces ou des responsabilités qui découlent de la prise de conscience de notre rôle et de notre devoir au sein de l’Univers, nous devons grandir et prendre conscience de ces liens invisibles afin de ne pas répéter les échecs du passé et de franchir positivement le seuil de complexité.

Les colonies vont et viennent. Elles partagent le même habitat au hasard des boucles de temporalité et de la synchronicité des cycles cosmologiques et biologiques. Dans un article récent, Caleb Scharf a fait référence à la colonisation humaine de l’océan Pacifique et, notamment, au laps de temps qui a séparé l’arrivée des populations de la mythique Hawaiki à celle des Européens. « Si les civilisations planétaires typiques peuvent durer un million d’années et si seulement 3 % des systèmes stellaires sont réellement colonisables », écrit-il, « il y a environ 10 % de probabilité qu’une planète comme la Terre n’ait pas été visitée au moins au cours du dernier million d’années ». Si le temps s'inscrit en termes géométriques, alors les nombres fixent le rythme auquel ces modèles et relations se forment dans l’espace. 

 J'ai l'impression d'avoir momentanément perdu l'axe autour duquel je tourne : l'idée fondamentale que l'Univers se révèle en s'exprimant et se connaît à travers chaque expérience. J'ai perdu la nature fantasque d'une grenouille poète, engouffrée par la vague de fond de l'Histoire. Vivre l'inconnu signifie que nous sommes amenés à faire des erreurs, à affronter nos incertitudes et à faire preuve d'humilité.

Les bruants à gorge blanche sont revenus dans le jardin de plantes indigènes. Au plus profond de mon âme vibre le son cristallin de leur sifflement. La solitude est une illusion, un voile jeté sur notre destin collectif. L’esprit embrumé s’enfonce sous des vagues de symétries universelles et survole les fleuves d'évènements parallèles, considérant les lignes spatiotemporelles entre lesquelles la conscience, elle, grandit. Il existe des clés de communication le long des ondes gravitationnelles que les poètes captent dans leurs rêves et dont ils sentent les signes terrestres de lumière, de son et d’eau.

Show your humanity (2025, in progress)

Show your humanity (2025, in progress)

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Là où séjourne la réalité

Publié le par Catherine Toulsaly

Je me suis éveillée d’un sommeil profond aux paroles de Thoreau qui m'enjoignent de ne me confronter qu'aux faits essentiels de la vie et de voir si je peux apprendre ce qu’elle a à m’enseigner, et de ne pas attendre de découvrir, quand je mourrai, que je n’ai pas vécu.

Si la réalité est le produit du temps et de l’évolution, pourquoi mon voyage en Zambie et dans la savane africaine m’a-t-il paru aussi réel ? On nous dit que tout est une question de perspective, que même la vue d’un arc-en-ciel est un phénomène optique vécu individuellement. Il n’existe pas de point d’observation unique d’où l’on peut voir la réalité.

À 480 kilomètres de Lusaka, les cascades transfrontalières de Mosi-oa-Tunya (Victoria), d’un kilomètre et demi de long, dévalent les parois verticales de roches basaltiques en chute libre. Tel un rideau d’eau, le fleuve Zambèze tombe brusquement sous l’effet de la gravité d’une hauteur vertigineuse. Les eaux retentissantes se précipitent comme si, selon la légende, l’esprit de Nyami Nyami, était toujours en colère contre la façon dont la population locale avait été déplacée et son débit régulé par la construction en amont en 1950 du barrage de Kariba.

Le projet hydroélectrique binational (BHES) en aval – mené par Power Construction Corporation of China et General Electric – risque de répéter l’histoire avec son impact annoncé sur l’environnement et les moyens de subsistance de la population locale dans un contexte de changement climatique.

Une photographie prise à bord de la Station spatiale internationale montre les profondes fissures à la surface de la Terre. Le fleuve Zambèze plonge à pic dans la limite spatiotemporelle de la ligne de faille d’où la vapeur brumeuse monte comme une écume blanche. 

Les molécules d’eau serrées se frayent un chemin dans le courant. Le lit du fleuve se divise en une étendue de gorges abruptes en zigzag. La colonne de vapeur qui s’élève et les chutes rugissantes contrastent avec le fleuve apparemment lisse et tranquille qui gonfle avant les chutes en un plateau d’îles d’où les hippopotames grognent lorsque – j’imagine – un crocodile passe à leurs pieds palmés. Le long de la rive s’étend en amont un parc national beaucoup plus petit que celui du Sud de Luangwa. Il parvient cependant à garder en sécurité dix rhinocéros blancs.

Face aux chutes, une passerelle piétonne domine une bande riveraine que l'on traverse pour atteindre le tout dernier bout de terre zambien. J'avais le vertige en traversant le pont à 106 mètres au-dessus du sol. Aussi loin que mes yeux me permettaient de voir, l'horizon était obstrué par le nuage brumeux. Je ne pouvais distinguer l'autre extrémité de la ligne de faille à 1 km de là.

Là où réside la réalité, c’est le lieu de l’arc-en-ciel, un nom ancien cité par David Livingstone pour les chutes de Mosi-oa-Tunya. Le soleil s’est couché à ma gauche alors que je me trouvais face à une des extrémités de l’arc-en-ciel. L’arc multicolore se formait à mes pieds tandis qu'il s’étendait à l’opposé du soleil, du côté zambien. À un moment donné, il y avait un double arc-en-ciel, à peine perceptible. Les arcs-en-ciel prennent-ils forme des deux bords du rideau ? Espérant trouver un ordre dans ce que nous observons, je me demande si notre perspective est la même, tournée comme le temps dans une seule direction, à chaque point d'observation ou si elle varie librement.

Aurais-je pu voir un arc-en-ciel toucher la Terre à mes pieds si j’avais traversé la frontière avec le Zimbabwe et atteint la rive droite du fleuve ? Et si les observateurs se placent tous les 50 centimètres les uns des autres de l’autre côté des chutes, le dos tourné au Soleil, verront-ils tous la lumière frapper les gouttelettes d’eau et la réfraction des bulles d’air tridimensionnelles se briser et se former à répétition de la même manière que moi aussi je les ai vues ? Je me demande si, par des processus complexes, des eaux dansantes magnifiquement orchestrées se déploient ou s'il faut supposer leur caractère aléatoire.

La configuration de la ligne de faille renferme un système de faits causaux qui dépendent les uns des autres. Dans cet environnement topologique limité, baigné par la lumière du soir et assailli par des quantités macroscopiques d’eau, les arcs-en-ciel sont une fenêtre sur la collision microscopique des gouttelettes. Ils illustrent le fonctionnement de sous-systèmes. Les cascades en fumée qui grondent et forment des arcs-en-ciel  consistent en un état d'équilibre local, faisant ce qu’elles sont censées faire et ce qui est attendu d’elles en cette soirée ordinaire de saison sèche.

Les fluctuations des chutes d’eau reflètent le glissement et la rotation des masses d’eau qui se produisent en permanence. C’est peut-être le nombre incommensurable de molécules d’eau se déplaçant toutes en même temps, localement et globalement, qui transmettent une image de symétries en mouvement. Leur distribution en superpositions décalées respecte la géométrie des parois abruptes et des canaux étroits. Des gouttelettes polyvalentes éclatent, se pulvérisent, roulent. Elles entrent et sortent d'un état d'existence, du néant à l'état d’être. Quel est leur degré de liberté ?

Alors qu’elles tombent du sol surélevé sous l’effet de la gravité, suivent-elles un chemin non déterministe ? La ligne de faille linéaire, comme s’il s’agissait d’un gouffre spatiotemporel, agit comme une ligne de contrôle pour l’écoulement des eaux. Chaque gouttelette sur un chemin temporel de courte durée devient la proie de la gravité. Au fil du temps, une chorégraphie de trous de ver, de vortex et de spirales créés par l’eau s’élevant et se tortillant me vient à l’esprit.

Peu de temps après mon retour à Lusaka, je me suis lancée dans une quête dans les centres commerciaux et les marchés à la recherche de Nyami Nyami, caché au fond d’un panier ou d’une vitrine. Cela m’a conduit au cimetière d’Aylmer May de l’époque coloniale à côté duquel se trouvent aujourd’hui les bureaux de deux des principales sociétés minières étrangères.

Nyami Nyami (2023), 26" x 7" x 8". Marble sculpture for sale

À vrai dire, je vois le monde humain à travers le prisme de l’histoire. Le long des routes, les arbres centenaires gémissent, enchaînés au sol. Le lendemain, en quelques secondes, le vent soufflait et les nuages ​​se rassemblaient sans une seule goutte de pluie.

Alors que mon espoir était de découvrir la véritable réflection de la nature qui exposerait l’essence même de la réalité, j’ai perdu pied sur la surface miroitante de la Terre. Après un vol aller-retour et une escale de 19 heures, je suis rentrée chez moi par la même route que j’étais venue. Il y a tant de façons de décrire où réside la réalité qu’elles se contredisent toutes. Si la réalité est ce que nous croyons savoir, elle est aussi ce que nous croyons observer. Il y a sans nul doute une part d’inconnu dans la réalité. La réalité est singulière. Elle est discrète.

J’ai perdu le sens de la continuité entre les lieux que j’ai visités. Au milieu de réalités fragmentées, mon essence s’est infiltrée au travers des écarts temporels, physiques et conceptuels qui séparent la réalité qui constitue notre existence humaine. Chaque lieu est un élément de réalité que je n’arrive pas à réassembler dans mon esprit et mon corps.

La réalité ne s’ancre dans notre conscience que par la durée. Sans l'enchevêtrement physique et mental, nous en sommes moins conscients. J’ai trébuché sans le savoir sur son essence : c’est le nuage de brume aux chutes de Mosi-oa-Tunya qui s'est transformé en brouillard à la rupture de pente sur le sentier menant à Rosslyn. C’est le soleil couchant aux chutes qui se lève dans la brumaille ce matin. Ce sont les gouttes humides des chutes qui se transforment en bruine sur ma peau. C’est l’arc-en-ciel que j’ai vu à travers le prisme de l’histoire.

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Symétries

Publié le par Catherine Toulsaly

Scruter l’âme humaine pour mieux transmettre les trois anneaux de l’intuition, la sensibilité et l'éveil de soi... Il se peut que mes mots souhaitent communiquer le mouvement incessant des objets, le flux constant des situations et des circonstances qui engloutissent la vie et la matière, et moi y compris.

Nous avons tous besoin de changer d’air et d’oublier un bref instant que quelque chose de profondément enraciné en nous ne disparaît jamais vraiment, quelle que soit la latitude du lieu où nous sommes. À des milliers de kilomètres de notre point d'origine, nous restons suspendus aux fils de marionnettes de nos réponses émotionnelles et préjugés, pareils à des sondes balancées au gré des turbulences qui les font dériver à des dizaines de milliards de kilomètres de la Terre.

Les sondes, elles, sont attachées par une connexion intemporelle à d’autres missions spatiales et observatoires comme si elles pouvaient entendrent les murmures des uns des autres. Nous aussi, nous oscillons d’avant en arrière dans le réseau des relations sociales entre la défense de nos convictions et l’influence des autres, espérant garder un juste milieu. Les objets interstellaires sous l'attraction gravitationnelle d'abord du Soleil, mais aussi de Jupiter, sautent dans le vide interstellaire, au-delà des vent solaires, où ils seront lentement emportés par le champ magnétique d'une étoile voisine.

Moi aussi, j’ai quitté mon milieu ambiant – le jardin indigène luxuriant, et les lignes architecturales et sculptures en acier du paysage de Glenstone – pour plonger dans l’inconnu. Après un vol, une escale et 21 heures plus tard, j’ai traversé le golfe d’Aden pour atteindre l’Afrique.

D’en haut, j'ai distingué la fumée qui montait des terres en feu et la faune regroupée dans le cours d'eau alors que l’avion descendait. J’ai échangé une volée de corbeaux et un couple de vautours se régalant des déchets du quartier contre des corbeaux à ventre blanc évoquant les pies plus petites londoniennes. L’un d’eux était perché sur un mur le long de la route Leopard Hill tandis que d’autres volaient au-dessus de l'hotel Latitude 15 et un couple sautillait sur la pelouse devant la cathédrale.

Dans l’avion au-dessus des nuages ​​au coucher du soleil, j’étais convaincue que le libre-arbitre domine l’univers. Mais lorsque j’ai atteint le district de Mambwe, dans la province orientale de la Zambie, j’ai senti resurgir le lien depuis longtemps oublié avec ma lignée ancestrale, de la même façon, j’imagine, que les sondes spatiales conservent à jamais, dans leur structure, la mémoire de ceux  et celles qui les ont conçues, portant ainsi l’empreinte de leurs âmes et de l’humanité.

La grande force de l’histoire, a écrit James Baldwin, vient du fait que chacun de nous la porte en lui et est inconsciemment contrôlé par elle. J’ai encore du mal à accepter cette vérité, mais j’ai ressenti lors de ce voyage dans la campagne zambienne le poids de l’histoire, à travers des rêves intenses et de fortes émotions.

Ce qui me reste en mémoire, c’est le mystère insoluble de la symétrie des faits, leur reflet miroir à l'échelle universelle. Il s’agit moins de savoir si le sort pourra un jour abolir le hasard que le fait que ce hasard s'est produit au moment même du naufrage lors de la tempête – le synchronisme étrange des actes individuels et collectifs.

Je me suis lancée dans l’inconnu, mon cerveau pareil à une sonde interstellaire portée par la force de gravité jusqu'au bord de l’héliosphère, aux confins de la galaxie, déchirée entre le désir de résister et le sentiment d'abandon à la merci des rayons cosmiques.

À Glenstone, une citation de William Weiner rappelle que  la matière si ébranlée en son sein conduit à une transformation intérieure au point de provoquer un changement dans son destin. Des morceaux de matière se forment et grandissent, se fragmentent et se reforment comme il en est pour les corps physiques et la conscience humaine, voire cosmique.

Je me trouve dans une impasse là où les intervalles s'évanouissent. Mon essence de vie s'égoutte dans les ombres du Néant. Les neutrinos se tiennent à sa porte. L'état quantique de l'Univers, comme une topologie de rupture et de reconstruction des particules, évoque des gouffres spatiotemporels, des crêtes et des creux d'ondes-particules, de la même façon que les relations sociales quand nous nous heurtons les uns les autres et puis quand nous nous retrouvons encore et toujours.

La réduction des écarts se produit avec la montée à la surface des phénomènes de criticité quantique. Si des symétries globales et locales émergent au cours du processus, s'appliquent-elles aussi à la fragmentation de l'espace et à la dissipation des intervalles de temps ? Dominent-elles les transitions de phase ? La topologie d'un état critique indique que le changement qui s'opère est une information codée dans le champ quantique.

La manifestation observable d’une particule représente un état d'excitation du champ. Au cours de leur propagation par plusieurs chemins à la fois les particules s’ignorent-elles, se collent-elles les unes aux autres et tentent-elles en même temps de s’éloigner le plus possible des unes des autres ? L’Univers frémît à chaque point de contact et s’enfonce dans des intervalles qui disparaissent.

Si les particules étaient des mots, l’état d'excitation équivaudrait à la fébrilité éprouvée avant que l’inspiration ne retombe. L’Univers dans sa forme évolutive ressemble à la pensée qui, bien qu’elle n’ignore pas le décalage avec la mémoire, se considère comme une continuité du passé.

Les particules sont des grains de poussière métaphysique agissant comme des proto-volontés qui déclenchent la prise de conscience de l’information. Les symétries globales incluent celle de la conservation de la charge électrique et l’inversion du temps. La supersymétrie, quant à elle, si elle est vérifiée, pourrait impliquer la symétrie émergente des fermions – les particules qui forment la matière – et des bosons – qui servent de liens entre eux.

Dans le parc national de South Luangwa, parsemé d’ébéniers, de pommiers à feuilles, de tamariniers et d’arbres à saucisses, zèbres, impalas, girafes, antilopes, singes et autres espèces semblent vivre en paix côte à côte – à l’exception des lions, léopards et chiens sauvages prédateurs.

Nous avons traversé le lit sec et sablonneux du fleuve à la recherche de l’emblématique baobab africain au-delà de la forêt vierge de mopanes, loin de la portée des éléphants. Nous avons imaginé la vie cachée des arbres et si les baobabs étaient la proie du changement climatique comme le sont les chênes blancs dans nos régions. Les analogies dans mon esprit font référence aux faits qui surviennent en parallèle au-delà des frontières spatiotemporelles.

Comme s’ils percevaient la présence d’une menace, j’ai observé les animaux dans un périmètre de 500 mètres, la tête tournée vers un champ de hautes herbes, immobiles dans une posture qui m'a rappelé celle des visiteurs de musée qui contemplent perplexes la dernière installation de Serra. Parfois, il y a, dans un troupeau ou dans un plus petit groupe d'animaux, le plus curieux, l’explorateur qui s'arrête, les yeux fixés, pendant que les autres poursuivent leur chemin.

La girafe qui m'observe me regarde, intriguée. Elle sent le lien qui la lie à l’univers. Elle ne doute pas que chaque forme de vie connaît comme elle la fraîcheur de la brise, la luminosité de la pleine lune sur le fleuve Luangwa et l’épaisseur de la nappe de poussière. Elle ne doute pas que celle qu’elle observe sait aussi ce que c'est de marcher, courir et tomber.

Les êtres vivants sentent l'impalpable force de gravité, le frémissement croissant des intervalles qui précédent l'effondrement, le battement du cœur de l'Univers. La jonction et la séparation entre les segments du flux de conscience reflètent les écarts temporels. Ces écarts s'animent, amenant chaque point de contact à la surface dans un sens donné. Un jeu de cache-cache se joue dans la vaste étendue de l'Univers. L'autre extrémité du point Janus se cache dans les interstices, les gouffres spatiotemporels et les intervalles qui disparaissent, que les sculpteurs transposent dans leur travail comme des espaces négatifs.

William James a écrit que les haltes dans le courant de la pensée sont des « parties substantives » et que les envolées sont des « parties transitives ». Une paire de pigeons ou de corbeaux, est-ce qu'ils se font signe avant de prendre leur envol ? Au sol, j'ai observé les lieux de repos où ils font halte: les clôtures cimentées autour des maisons et des bâtiments, les voitures qui grincent,  les joueurs de billard, les jeunes étudiants et les arbres en fleur le long de la route Leopards Hill.

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Un grain de sable prend l'air

Publié le par Catherine Toulsaly

The Necklace from where it all started (A grain of sand catching a breeze, July 2022)

Les mots, comme les perles d’un collier, créent une série d’images. Ce sont les voix dans ma tête. Quand on parle de la nature, c’est la nature terrestre que je vois, et non l’univers dans son ensemble. J’imagine que l’un englobe l’autre, que l’univers est un réservoir naturel, et que la nature est une manifestation dans l'évolution  de l’univers, une sorte d’excroissance. Nous, les humains, ne sommes ni au centre de l’univers, ni même au centre de la nature.

La différence entre les deux mots, nature et univers, réside peut-être dans le fait que l’un était plus couramment utilisé dans le passé. Les mots sont porteurs de souvenirs. Pascal nous exhortait à contempler la nature dans toute sa majesté. Le monde visible dans son ensemble, ajoutait-il, n’est qu’un atome imperceptible dans le vaste sein de la nature. Une signification cependant a perduré : la nature et l’univers offrent tous deux un sentiment d’unité. Ils impliquent l’existence d’une seule entité à travers le temps et les échelles de grandeur.

Ce qui était une théorie de la nature est devenu une théorie de tout. Et pour les scientifiques, une telle théorie pose une énigme mathématique plutôt qu’épistémologique. Les règles qui ont été testées et vérifiées de la manière la plus rigoureuse sont élevées au rang de lois de la nature. Ces lois se soutiennent mutuellement comme des blocs de construction dans un jeu d'influences réciproques. Elles s’assemblent, écrit Matthew Bothwell, pour produire un univers rempli de ces structures ridiculement vastes et incomparablement belles.

La nature n’est pas un acteur passif, un simple paysage. « L’être », selon l'article précédent intitulé Franchir le passage, « est né de quelque chose et la nature est née de l’être ». La nature est la genèse des choses en croissance. C’est un processus de développement qui fait référence à l’Univers en tant qu'organisme vivant. En effet, le plus surprenant en cosmologie est que la nature de l’Univers exige un essor continue – la création perpétuelle de nouveaux matériaux de base.

D’une manière ou d’une autre, par son pouvoir de conception, la nature accomplit quelque chose qui semblait impossible : elle déploie plus d’énergie. Elle constitue la floraison universelle. Sa force créatrice fait sortir l’univers du néant et le fait avancer. Non seulement la nature ne permet à rien de périr, écrivait Lucrèce, jusqu’à ce qu’elle rencontre une autre force qui la brise d’un coup ou qui s’insinue dans les fissures et la détricote, mais elle répare aussi une chose à partir d’une autre et ne permet à rien de naître sans qu'une autre ne disparaisse. C’est comme si nous pouvions suivre les empreintes de la nature dans les influences réciproques survenues.

Dans la nature, nous voyons des fractales et des motifs se produire constamment et régulièrement selon un ensemble de catégories bien définies. Les lois de la nature sont-elles inéluctables et leur nombre fini ? Et pourquoi la nature semble-t-elle souvent avoir un sens parce qu’elle aurait un but ?  La nature devient une chose fatale à laquelle l’Univers obéit, le soumettant à ses caprices. Je me demande pourquoi tout se résume à l’existence de lois régissant l’Univers auxquelles il ne peut se soustraire et d’où vient le besoin de donner un sens et de trouver un ordre dans toutes les choses.

Le jeu de confrontation entre nature et culture est précédé par le débat ontologique sur le rapport entre les états de stabilité et d'évolution. Dans les limites de la physique, nous étudions les processus de la nature. Tandis que les conditions favorisent l’évolution, le processus indéchiffrable complique notre compréhension de la conservation de l’ontologie. Les conditions affectent la géométrie de l’ensemble du système. Le cycle évolutif de la nature lié à l'augmentation de l’entropie transporte des vagues de ressentis de-ci de-là à travers l’espace-temps. Aujourd’hui, ce que signifie la conservation de l’ontologie, en terme pratique, c’est la conservation de la nature.

Supposons que le point Janus se trouve au niveau du col étroit d’un sablier. Si l’Univers était une ampoule de verre en expansion et que chaque grain de sable passant à travers le col avait la taille du champ de vue du télescope Webb, qu’est-ce qui constituerait la pérennité du sable ? Pour Fred Hoyle, quelle que soit la distance dans le temps et l’espace à laquelle nous observons le cosmos, nous voyons toujours à peu près le même nombre de galaxies.

À première vue, explique-t-il, on pourrait penser que cela ne pourrait pas durer indéfiniment car la matière formant le fond finirait par s’épuiser. Sur les traces de Lucrèce, il ajoute que la raison pour laquelle ce n’est pas le cas est que de nouveaux matériaux semblent compenser la matière de fond qui se condense en galaxies. Aujourd’hui, les nouvelles technologies qui nous permettent de scruter les confins de l’Univers semblent nous conforter dans cette impression.

En fin de compte, la question des frontières de la nature reste ouverte. Les limites naturelles de l’univers physique devraient-elles s’étendre au-delà ? Cela semble exagéré de vouloir faire commencer la nature au niveau quantique, car elle apparaît moins probabiliste en surface que mécanique. Pour Bohr, je me souviens, ni les particules ni les ondes ne sont des attributs de la nature. Ce ne sont rien de plus que des idées dans notre esprit que nous imposons au monde naturel. Mais certains ont soutenu que la nature nous donne l'indice d’une vérité fondamentale. La mécanique quantique est unique en ce qu’elle permet d’assigner une condition limite finale complète et non redondante à chaque système. L’ambition de la mécanique quantique est de prédire le comportement de la nature. Et plus nous introduisons de symétries globales dans le monde quantique, plus la nature en revendique sa conception.

Aristote observait que la nature peut aussi représenter une chose immanente à partir de laquelle une chose croît. Alors, qu’est-ce qui constitue la perennité du sable ? Si l’Univers est de nature conceptuelle, ce qui est préservé, porté à travers le temps et l’espace peut être son origine conceptuelle,  l'essence immuable et indifférenciée au sein de l’apparente évolution de la réalité. La chose immanente qui perdure, malgré ou grâce aux processus de variation, est la nature quantique déterminée par la Liberté, l’Essence et l’Existence. L’Univers passe par des étapes dues à la mise en œuvre de ses propriétés physiques et dynamiques, et la somme de toutes ses caractéristiques tisse un réseau de connexions complexes au sein d’une architecture en constante évolution.

A Grain of sand catching a breeze, July 2022

Pour un homme qui courbe sous le malheur, écrit Emerson, la flamme de son feu est chargée de tristesse. Le plus beau paysage est dédaigné par qui vient de perdre un ami cher. Le ciel est d'autant moins magnifique qu'il écrase les moins fortunés.

La nature ne porte que les couleurs de l'esprit. L'Univers depuis son état initial est libre d'explorer ce qu'il signifie être. Je m'essaie moi aussi à la poésie:

Un cerf dans le parc,
Des lys dans l'étang,
Le soleil luisant,
Des étoiles, des anneaux et des galaxies.
 
Un lapin qui passe
De la musique dans les oreilles
Le bruit d'autoroute qui perce
Des coureurs et des vélocyclistes.
 
Le soleil brûle
De la lumière dans les yeux
Le son de percussion
Les nuages ​​se rassemblent et le temps passe.
 
Un pic picote
Je le regarde
Un chien se promène
Je suis le grain de sable prenant l'air.
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La conservation de l'être

Publié le par Catherine Toulsaly

La minuscule planète bleue sur laquelle nous nous trouvons, sillonnée de nuances de gris, se situe loin de la bande spatiotemporelle de violet mêlée de jaune, signe d’une explosion d’énergie. De là, le temps s’écoule à  la surface comme une rivière transportant des particules de l'état fantôme à celui de poussière. Les ondes montent et descendent. Ce sont des grains métaphysiques qui agissent comme des proto-volontés. Tandis que nous faisons l’expérience du monde réel à travers les océans bleus et les feuillage verts, nos esprits se connectent à la lumière blanche du Soleil. L’approche du Dévoilé annonçant les premières lumières se libérant des Ombres et de l’emprise du Néant rappelle les teintes omniprésentes saisies par Turner dans ses peintures. Il s’agit moins de la minutie des détails que de la couleur de la lumière elle-même.

Je n’ai pas beaucoup bougé de l'abysse. Alors que l’Aube cosmique se dresse comme les bordures de ce qui est là à observer, je me suis arrêtée où l’intervalle disparait, ni d’un côté ni de l’autre du point Janus, mais où l’obscurité précède et aucune direction n’a encore été décidée.

L’absence créée par le départ des bruants à gorge blanche a été comblée par les cris d’accouplement des grenouilles. La chute des fleurs de catalpa et les têtards dans l’étang ont signalé la fin du printemps, remplaçant la couche rose et violette sur le sol des fleurs de cerisier et de gainier. Mon essence éthérée s’infiltre à travers les intervalles qui s'évanouissent.

Ces intervalles sont des ressentis semblables à l'espace-temps, dépourvus de masse quantifiée ni format. Le temps les emporte avec lui. Nous pensons que si – comme dans la conception de Minkowski – l’espace en lui-même, et le temps en lui-même, sont condamnés à s’effacer dans de simples Ombres, alors seule l’union des deux peut préserver une réalité autonome.

Pourtant, les ressentis ont eux aussi une existence propre qui leur permet de s’élever et de s’affaiblir. À chaque point de contact, ils vont et viennent. C’est comme si un film déroulait une série de scènes au cours desquelles le temps tracerait sans fin les coordonnées spatiales de l’Histoire. Mais l’Histoire est une illusion selon laquelle le train du temps s’arrêtera et que chaque station se dresse sous le couvercle d’une hypersurface à quatre dimensions.

The Train of Time (Google Labs)

Mais la réalité a une portée limitée. Le problème avec l’information est qu’elle est contextuelle, en fonction des circonstances qui forment le cadre des faits survenus. Un support est nécessaire pour chaque transfert d’information – son, lumière ou énergie. Aucun message n’est reçu plus vite que la lumière bien qu'on observe de signaux plus rapides, notamment avec le jet GW170817 et le trou noir MAXI J1820+070.

L’information s'est dissipée quand les champs magnétiques primordiaux ont transféré une fraction significative de leur énergie pour générer l’Aube cosmique après l’alliance du temps et de l’espace qui a rassemblé des informations codées, au moins 10 000 à 100 000 fois plus dense que ce que nous en savons aujourd'hui. La perte d’information a donc impliqué la dispersion d'énergie et des champs magnétiques primordiaux. Elle a été aussi irréversible que le temps lui-même.

Une réalité à quatre dimensions se loge dans une géométrie pluridimensionelle. Le rétrécissement des dimensions supplémentaires, cryptées avec des informations en attente d’être délivrées, peut avoir permis le transfert de  l’entropie dans l’Univers à quatre dimensions , une possible résolution des problèmes de l'espace plat et de l’horizon cosmologique. L’entropie n’est pas seulement une probabilité de changement dans l'action ou de modification dans les arrangements divers ; elle fait référence au concept de concrescence et implique un lien avec le devenir.

Y-a-t-il alors un véritable état ontologique ? Gerard t’Hooft soutient que la « loi d’évolution est telle que, à tout moment, il sera toujours dans un état ontologique ». Quel que soit l’état initial d’où nous sommes partis et ce qui a été perdu avec l'écoulement du temps, « l’état dans le futur sera toujours ontologique ». Ce que nous avons ici, affirme-t-il, est une loi de conservation.

En géométrie, je vois la simplicité des formes et l'essence de leur beauté. Supposons, écrit Eddington, que « l’on nous demande de classer les éléments suivants en deux catégories – la distance, la masse, la force électrique, l’entropie, la beauté et la mélodie – l’entropie serait placée ensemble avec la beauté et la mélodie et non pas avec les trois premiers paramètres  », comme si l’entropie pouvait être perçue par les sens. Je comprendrais alors que la conservation de l’ontologie implique, en dépit des fluctuations des flots d’information universels, que l’entropie, la beauté et les sons sont préservés dans l’état ontologique.

Alors que l’entropie mesure le caractère aléatoire des choix en tant qu'ensemble de solutions choisies sans s'occuper de la nature particulière de ces choix, la beauté et les sons sont les propriétés qualitatives nécessaires pour que l’Univers puisse ressentir et être ressenti. Les sons peuvent avoir une nature transcendantale, en dehors des limites de notre réalité physique tridimensionnelle. Émergeant du domaine quantique, un son est provoqué par n’importe quel mouvement, quelle que soit sa longueur, même celui d’une étincelle intuitive dans l'esprit. La résonance à l’intérieur reflète les sons à l’extérieur. Il existe un champ sonore et le champ de la conscience est rempli de cette résonance. L’Univers, tel que je l’ai imaginé, est une symphonie de lumières et de sons joués sur le clavier du temps.

Keyboard of time (Google Labs)

Comment un Univers de dimension supérieure pourrait-il être révélé à partir d’une surface plane ? L’alliance entre le temps et l’espace semble déséquilibrée, avec des dimensions essentiellement de nature spatiale. Mais si à l’aube de toute chose, une sorte d’union du temps et de l’espace s’est formée, résultant en deux entités entrelacées ayant une signification indépendante, pourquoi alors l’espace serait-il la seule variété géométrique? Ne peut-on imaginer que les dimensions temporelles s'élargissent plutôt que les dimensions spatiales qui se rétréciraient, créant une autre dynamique de réduction dimensionnelle ? Voilà donc ce qu'est l'Univers quantique.

Ce n’est pas que les dimensions supérieures sont inexistantes. Elles peuvent être dépourvues des propriétés physiques que nous connaissons. Pour en avoir un aperçu, il faut effectuer un zoom avant et arrière, et ce faisant, ce qui en fait partie entre et sort de la conscience. Notre intérêt pour ce qui n’est pas là et pour la façon d’interpréter cette absence vient de ce que 95 % de l’Univers est invisible, constitué principalement d’énergie noire et de matière noire dissimulées. Le manque de proximité ne nous permet pas de voir les puits d’où apparaissent les particules.

Notre Univers est pris dans l’illusion d’une construction tridimensionnelle dont la porte de service est le temps. Au-delà des trois dimensions spatiales, c’est comme si elle contenait une série de grandes et petites structures géométriques, chacune s'ajoutant à la structure multiple. Les entités et leurs propriétés se révèlent au cours des processus physiques. Le temps dans toute sa variabilité est la constante universelle.

Il est paradoxal que quelque chose d’aussi insaisissable et intangible que l’état ontologique de l’Univers soit l’objet d’une loi de conservation, à condition que les états ontologiques nécessaires pour décrire l'univers microscopique diffèrent à bien des égards des lois classiques auxquelles nous sommes habitués, concède Gerard t’Hooft. Une loi de conservation détermine les superpositions quantiques qui ont carte blanche et celles qui ne l'ont pas. Si une forte corrélation entre les variables ontologiques, en raison de leur passé commun, contribue à la conservation de l’ontologie dans le futur, une boussole interne ou une sorte d'aimant externe attirant vers l’avant l’essence de la réalité pourrait-elle avoir la forme d’une suite de sons ordonnés selon les lois du rythme ? L'ontologie conserverait donc avec l'entropie autant beauté que mélodie.

 
Cette insaisissabilité se reflète dans les efforts humains. Du coup de dés de Mallarmé à l’Énigme de Scriabine, nous sommes pris dans les hachures entrecroisées du paysage universel, incapables de nous en échapper. Pour reprendre les mots d’Alexandre Scriabine, l’état ontologique de l’Univers peut être « terriblement fuyant et évasif, et dans cette insaisissabilité  », il y a de la beauté et une certaine coquetterie. On ne peut mettre la main dessus… Nous sommes liés au côté obscur, aux Ombres. Ce que nous avons appris à connaître sous le nom de matière baryonique se répand principalement dans le plasma et le gaz diffus du milieu intergalactique.
 
Et puis il y a nous sur cette minuscule planète bleue perdue au milieu de seulement dix pour cent de la matière baryonique issue des étoiles, confrontés à ce que nous observons et dotés de la capacité de rêver et de penser. Nous portons en nous les rêves qui seront peaufinés par ceux qui finiront leur exécution.
 
 
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Liberté, essence, existence

Publié le par Catherine Toulsaly

Lancer de dés au fond d'un naufrage (Google - Labs - Image FX)

Il se peut qu’un coup de dés n’abolisse jamais le hasard, mais depuis que le jeu infini a commencé, chaque fois que les dés sont lancés, ils donnent un coup de pouce, une direction et façonnent les choses à un niveau de spécification plus élevé. Ils fixent le cap comme, dans le cas de l’Univers, lorsque des contraintes sont imposées aux paramètres cosmologiques. Lorsque le silence cesse, le bruit devient plus clair, et s'accélère. Après l’hésitation des premiers instants, un grésillement qui accroît d'intensité  remplace l’intervalle qui disparaît.

L’Univers commence par préparer et agiter des paires de particules et d’antiparticules comme les poètes mélangent des idées dans leur tête. Et puis il lance les dés. Dans le chaos initial au gré des degrés de liberté intrinsèques, il y a potentiellement des Nombres uniques qui ne peuvent pas être autres et qui ont en eux scellé l'ajustement nécessaire des paramètres cosmologiques conduisant à l’existence d’un poète unique, auteur du récit singulier d’un lancer de dés du fond d'un naufrage.

L’Univers ressemble à un esprit libre qui tâte le terrain jusqu’à ce qu’il trouve sa voie et trace ainsi le cours de son destin inexploré. Au hasard des interactions des particules, des fusions d’objets célestes, de la multiplicité des faits survenus, le chemin sur lequel il se trouve s'ébranle. Qu’est-ce que l’Univers dans sa nature ultime et la plus simple ? La liberté est l’essence de son existence. Il faut reconnaître, écrivait Sartre, que la condition indispensable et fondamentale de toute action est la liberté de l’Être agissant. C’est la liberté d’un sensation diffuse d’être qui se répand à travers toutes choses.

Contre toute attente, ce n’est pas Mallarmé qui m’a amené à Londres: c’est l’âme de Longfellow dont j’ai senti la présence près du phare de Portland. Elle m’a guidé vers le cercle des poètes de l’abbaye de Westminster. Je suis passée devant le coin des savants où repose l'enveloppe mortelle de Stephen Hawking en méditant sur ce qu'il avait lui-même dit du lancer de dés.

Einstein utilisait souvent cette même expression pour exprimer que, selon lui, Dieu ne jouait certainement pas aux dés. Pour lui, l’Univers est absolument déterminé et ne saurait être intrinsèquement probabiliste. Mais comme le soulignait Stephen Hawking : « Non seulement Dieu joue aux dés, mais il nous embrouille parfois en les jetant là où on ne peut pas les voir. » Une autre façon de voir les choses serait de dire que notre manque de proximité ne nous permet pas de les apprécier à leur juste mesure – peut-être parce que ce que nous ne pouvons pas voir reste sous la surface, sans contact avec le monde extérieur.

De la surface d’une page à celle d’un tableau, pourquoi les naufrages dans des mers déchaînées captivent-ils l’esprit des poètes et des peintres ? Les paroles d’Einstein m’ont conduit au poème de Mallarmé qui se déroule comme une composition musicale, une représentation visuelle, une chorégraphie de danse. Les mots éparpillés sur des pages blanches, comme les étoiles dans le ciel, sont les débris d’un naufrage emporté, flottant au gré des vagues. Chaque mot et groupe de mots se répandent dans l’intemporalité, comme des faits survenus dans l'histoire universelle qui étofferaient la texture de la toile spatiotemporelle en empilant de-ci de-là la matière.

Je m’arrête un temps pour méditer sur la superficie de l'univers et sur la façon dont cette couche superficielle reflète la réalité. Gerard ’t Hooft soutient qu’il n’y a tout simplement pas plus de degrés de liberté dont on puisse parler que ces degrés discrets projetés sur la surface appelée 'frontière'. Pourtant, sur la surface d'une toile, J. M. W. Turner a fait se lever le Soleil à travers la vapeur. Il a peint la frontière floue des cieux et des eaux, l’écume de l’océan, le reflet des nuages ​​dans les vagues. L’art s’ouvre à l’infini. Mes yeux perçoivent le grouillement trépidant du dévoilement que mon être, dans ce qu'il a de plus profond, sens approcher.

What if museums were a place for those ghostly encounters? (Google - Labs - Image FX)

Au-delà des bavardages quotidiens les uns avec les autres, que se passerait-il si nos âmes pouvaient communiquer entre elles ? Et si les musées étaient le lieu de ces rencontres éthérées ? Quelle que soit l’intention des artistes, leurs œuvres déclenchent, et font surgir à la surface, ce qu’il y a de plus profond en eux. Le sens profond n’est pas la nature fragmentaire des faits dont la projection à la surface est ce que nous sommes à  même de voir. En arrière-plan, ils sont imbriqués les uns avec les autres, et se mélangent dans un tout éternel. Ils forment l’art prismatique de la création. Le lancer de dés au fond d'un naufrage met en lumière l'aspect simultané des faits qui surviennent.

En surface, on se demande si de pures coïncidences existent , c'est-à-dire une conjonction suprême de probabilités. L’Univers a débuté son éveil par un Big Bang et s’achèvera dans la nuit. Chaque fait se reflète l'un dans l’autre. Une existence informe et accidentelle, telle le frémissement d'un ouragan à la surface de l'eau, révèle la préexistence d'un processus par lequel ce qui n’est que virtuel se libère de la suspension temporelle dont il était prisonnier comme dans une peinture de Turner.

Certains croient qu’il n’existe qu’une seule réalité objective. Ce n’est pas qu'un secteur caché soit impensable, en raison de la perte d'information. C’est qu’il n’existe pas, niant ainsi la réalité probabiliste des degrés de liberté sous-jacents. Le hasard, disent-ils, est une vaine prétention. Et il y a aussi les adeptes pourtant réalistes de la pensée magique, qui imaginent ce qui se trouve au-delà de la frontière fantôme. Le hasard et le destin sont si étroitement liés à l’échelle universelle que nous sommes incapables de les séparer encore moins de dire de quel côté penche la balance de l’Univers.

Pour ces adeptes de la pensée magique, le hasard a trois propriétés. Il est réel, concret et éternel pour reprendre les termes de Quentin Meillassoux. Comment alors le hasard, et ses variations, peut-il bondir à la surface ? Comment peut-il sortir d'un état d'absence de sens à un état de sens intentionnel ? Dans un acte où le hasard accomplit sa propre raison d'être, en s'affirmant ou en se réfutant, écrivait Mallarmé, la négation et l'affirmation échouent devant l'Absurde dans le sens qu'elles l'impliquent à l'état latent tout en l'empêchant d'exister, ce qui permet à l'Infini d'être. Le hasard, dont la tangibilité se manifeste dans le lancer de dés, est à la fois Liberté, Essence et Existence. En d'autres termes, le hasard est absurde parce qu'il existe à  l'état latent, éternel en toile de fond, tout en n'existant pas. En se manifestant dans la réalité, il se mue en un produit de conditions nécessaires et préalables.

Bref dans un acte où le hasard est en jeu, c’est toujours le hasard qui accomplit sa propre Idée en s'affirmant ou se niant. Devant son existence la négation et l'affirmation viennent échouer. Il contient l'Absurde—l'implique, mais a l'état latent en l'empêche d'exister: ce qui permet à l'Infini d'être.

Stéphane Malarmé, Ignitur

Les concepts qui dansent en rond ont changé de place : Temps, Gravité, Espace. Liberté, Essence, Existence. J'imagine que sous la couche superficielle de la toile universelle, l'énergie noire ou quintessence, si elle devait exister,  serait diffuse et interagirait avec la matière ordinaire pour aboutir aux liens tissés entre un fait particulier comme le lancer de dés et les trois entités primordiales du Néant, de l’Univers Quantique et du Temps. Il se peut que l’existence – qu’elle soit celle d’une particule, d’une onde ou d’un dé – précède l’essence. Mais le Néant en est l’origine.

Sartre, qui pensait comme un sculpteur, visualisait l’espace négatif. Si la négation est la structure première de la transcendance, posait-il la question, que doit être la structure première de la réalité humaine pour qu’elle puisse transcender l’Univers ?

L’infini désordonné s'échappe au seuil du Néant. Sir Arthur Eddington écrivait que l’entropie universelle est la mesure du degré de désordre, variable aléatoire pouvant augmenter mais jamais diminuer. Mesurer l’entropie revient à mesurer le hasard. Si Dieu ne joue pas aux dés, je suppose qu’Il ​​sait, quant à lui, ce que signifie l’entropie.

Je quitte Turner Mon âme aspire à voyager vers Cleveland.

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La conscience gravite elle aussi

Publié le par Catherine Toulsaly

En relisant les articles précédents, j’espère être mieux à même de poursuivre l’objectif initial que je m’étais fixée, à savoir imaginer ce qu’est la conscience cosmique. Il ne s’agit pas de différents niveaux de conscience, mais de degrés divers de réceptivité et de sensibilité. Des questions subsistent : puisqu’il existe une interconnexion entre tous les êtres à travers la matière – passée, présente et future – pourquoi, même en contact avec le monde extérieur, l'individu n'en est-il pas pleinement conscient ? Si une forme de conscience suprahumaine possède une profondeur de sens et une clarté de vision qui dépassent celles de l'être humain, les étoiles en sont-elles dotées pour les avoir développées depuis des milliards d’années ?

The ethereal body (Google Labs - Image FX)

Le corps éthéré de mon âme se balance à un fil accroché à la Lune.  La conscience humaine se présente comme un bavardage entre le corps, le cœur, l’esprit et l’âme. Par âme, j’entends qu’il y a une part d’éternité chez l'être humain, une essence éthérée.

The chatter (Google Labs - Image FX)

J’ai imaginé le temps comme une charrette à quatre roues sur une route sans fin. J’ai même pensé qu’il représentait tout à la fois la charrette invisible, les roues et les rayons des roues ainsi que le cheval qui, la tête dans les nuages nébuleux, tire la charrette à travers l’espace en expansion.

Le temps à deux directions? (Google - Labs - Image FX)

Nous, les passagers de cette charrette rudimentaire, sommes transportés sans savoir où, dotés d’un esprit intuitif en prise aux angoisses. Que nous retrouvions ou pas les pages manquantes des annales historiques universelles, le passé, même ignoré, reste immuable. Quel est la place de l'être individuel ?

Les grandes figures de la pensée humaine seront connus des générations à venir par les citations qu’elles laissent derrière elles. Bien qu’elles soient souvent utilisées hors contexte, la plupart nous inspirent. E. O. Wilson a écrit que l’existence humaine s'inscrit comme une épopée parmi toutes les espèces, une aventure fabuleuse qui témoigne d'un grand sentiment collectif. Nous sommes comme les fourmis qu’il a étudiées toute sa vie. Nous vivons et mourons pour le progrès et le bien-être de la communauté et non pas à notre seul profit, que la communauté soit composée d’humains ou d’étoiles. Et l’avenir est « ce que nous choisirons de devenir ». Alors, vers quoi nous dirigeons-nous : le chaos ou la communauté ? Martin Luther King avait déjà posé la question. Tout dépend...

Wilson avait également observé que nous « préférons croire plutôt que savoir ». Une croyance abrite l’esprit qui s'y réfugie lorsque rien ne semble avoir de sens. Nous croyons en la beauté, en un but supérieur et au pouvoir du bien contre le mal, car nous avons besoin de courage pour continuer.

Wilson a écrit plus tard que nous nous noyons dans un océan d'information tout en étant assoiffés de sagesse. Le monde sera désormais dirigé par ceux et celles à même de synthétiser, ceux et celles capables de rassembler les bonnes informations, d’y réfléchir de manière critique et de faire des choix essentiels. Ceux et celles qui optent pour la voie de la synthèse doivent pourtant se vider l'esprit de toute intention préalable. L’intuition est leur bâton de pèlerin, ce qui n'empêche pas les doutes de paver le chemin sur lequel, souvent, ils trébuchent.

Selon le principe holographique, les informations relatives à  l’intérieur d’un volume « se dissipent en raison de la perte d’informations, tandis que seules les informations situées à la surface demeurent, peut-être parce qu’elles restent en contact avec le monde extérieur ».  Un tel principe devrait-il aussi s’appliquer à notre environnement, à l'enveloppe corporelle des personnes que nous connaissons, au globe terrestre, à l'astre lunaire et à l’Univers tout entier ? Vivons-nous dans un monde holographique où tout ce que nous voyons et connaissons n’est que la surface, une infime partie de celui-ci ? Comment pouvons-nous alors être capables de recueillir les bonnes informations, d’y réfléchir de manière critique et de décider des choix importants ?

La prolifération de phytoplancton est visible sur une image satellite, mais des recherches sont encore nécessaires pour évaluer les effets en cascade sur le zooplancton et le réseau alimentaire des océans et mesurer la vitesse à laquelle les floraisons se produisent dans l’Arctique et ailleurs. Sur notre planète, où les terres des côtes s’érodent sous les pieds des habitants et où les espèces d'oiseaux disparues ne sont plus que des sculptures inertes hantant les sites où elles étaient pour la dernière fois observées, le problème avec la connaissance est que nous pensons savoir, mais au moment où nous savons, tout fait déjà partie du passé.

Climate Change (Google - Labs - Image FX)

Une croyance est un refuge où l’esprit trouve du réconfort face à la mort et à la destruction. Où sont allés les bruants à gorge blanche ? Ont-ils fui plus au sud  l’hiver anormalement rigoureux cette année ? Ont-ils négligé le jardin de plantes indigènes après l'abattage de quelques chênes blancs dans le quartier ? Aujourd’hui, pourtant, je les entends. Ils sont de passage jusqu’à ce qu'il soit le moment de repartir vers le nord. Savent-ils ce que ressentaient les espèces disparues du grand pingouin et de la poule des champs (Tympanuchus cupido cupido)?

Ce qui reste en contact avec le monde extérieur, ce qui découle des interactions avec l’environnement physique définit l'élément  relationnel de la conscience. Il existe un « entre-deux » – une interface, un point de contact – où un humain, une étoile, une planète et même un trou noir entrent en contact avec quelque chose d’un ordre différent, alimentant ainsi leur propre sentiment d’être. Une telle résonance intérieure – c’est-à-dire la conscience individuelle – déclenche elle aussi (et est déclenchée par) ces interactions spécifiques avec l’Univers.

En surface, il n’y a pas de Conscience sans une force de gravitation. Il y a par contre des ondes gravitationnelles de conscience qui parcourent l'espace-temps multicouche. Je retourne à la question de la force de gravitation comme si j’étais une planète effectuant sa toute première révolution.

L'article précédent a posé la question fondamentale de l'existence de la matière noire. Il se peut qu’il s’agisse d’un fluide polarisé ​​bien qu’invisible. La matière noire pourrait bien être ce dont se revêt un champ gravitationnel. Si ce n’est pas le cas, tout calcul ou observation indirecte lié à sa masse et à son allure pourrait être le résultat d’une illusion causée par les ondes gravitationnelles polarisées de l'univers quantique.

Les idées sont elles aussi soumises à la loi de gravité. Elles tombent goutte à goutte. Elles ont besoin de temps pour entrer dans l’espace de la connaissance. Sans la loi de gravité, les feuilles qui tombent sauront-elles dans quelle direction tomber ? Les arbres sauront-ils comment positionner leurs racines ? Les courbes du continuum espace-temps sont-elles destinées à permettre aux étoiles et aux galaxies de se déplacer le long de celles-ci ?

La loi de gravitation est une manifestation de la courbure de l’espace-temps. C’est peut-être la présence d’un champ gravitationnel, écrit Penrose, qui fait sortir la description d’un système physique du domaine de la physique quantique pure. Le champ gravitationnel devient le terrain d’absorption et d’émission de faisceaux discrets de quanta. Le processus implique-t-il la gravitation des quanta ou la quantification de la gravité ?

L’espace-temps est discret, tout comme la conscience. La conscience cosmique rassemble les nuages ​​de résonance et d’information, où  tous les points de contact qui se logent dans l'espace-temps sont construits par intrication quantique.

La conscience stellaire émerge de l’énergie gravitationnelle des étoiles et étend sa portée au-delà de leur champ d'influence. Entravée par une armée d’armures, de carapaces et de couches, emprisonnée dans la toile spatiotemporelle, la conscience communique dans un langage incohérent et passe inaperçue. On croit ici que le flux temporel précède celui des choses. Dans le flux temporel existe l’essence d’une onde. Lorsque le silence cesse et que le bruit grandit, des vagues de conscience se propagent sous l’effet d’une force gravitative multidimensionnelle.

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Vous avez dit 'trou noir'?

Publié le par Catherine Toulsaly

Considérer ce qui manque dans une image de la galaxie NGC 24 dans la constellation du Sculpteur — la matière noire — c’est voir l’invisible. Des dizaines de milliers d’articles ont déjà été écrits sur le sujet sans pour autant s’y retrouver. Submergé par une multitude de questions, l’esprit prend de la hauteur tel un oiseau.

La possibilité qu’une force gravitationnelle, due en grande partie à la masse du halo galactique, puisse jouer un rôle dans la trajectoire d’objets célestes me ramène aux notes que j'ai compilées jusqu’à présent sur la matière noire. Si certains sont convaincus de son existence, d’autres se montrent sceptiques.

Des théories visent à expliquer les différences dans la distribution de la matière noire entre les petites et les grandes galaxies par le fait que son mouvement rétrograde a des effets importants sur la morphologie et l’évolution des galaxies spirales barrées.

Les mécanismes dynamiques impliqués dans l’interaction entre les particules de matière noire et les baryons paraissent cependant encore plus difficiles à cerner. Passant en revue les données de l’expérience ATLAS, il semble que pas plus de 13 % des bosons de Higgs produits dans le Grand Collisionneur de hadrons pourraient être convertis en particules invisibles.

Nous voyageons dans le temps par le biais de modèles et de scénarios sur la façon dont tout a commencé et sur les caractéristiques de l’Univers des premiers instants qui ont conduit au contexte actuel. Au sortir d' une singularité au-delà de l’espace-temps, un gaz d’atomes d’hydrogène a alimenté la formation des premières entités, les étoiles et les trous noirs.

La raie spectrale de 21 cm produite par les atomes d’hydrogène est une découverte essentielle. L’effet de refroidissement (ou le transfert de mouvement) peut s’être produit lors de l'interaction entre les particules noires dotées d'une charge électrique minimale et les baryons. À la limite de l’infiniment petit, seule une fraction de ces particules interagissait avec la matière ordinaire.

Les théoriciens qui cherchent à retracer le temps perdu à l'aube de l’Univers s’interrogent sur la nature ontologique de la réalité. Tout a commencé avec autant de matière que d’antimatière, bien que nous observons aujourd’hui une différence. La matière finira à une époque ultérieure par se désintégrer et le nombre des baryons reviendra à zéro.

Au CERN, les chercheurs tentent de trouver des preuves d’interaction. L’une des expériences du décélérateur d’antiprotons du CERN —  la collaboration ALPHA —  a présenté ses premières évaluations des effets quantiques sur la structure énergétique de l’antihydrogène.

La frontière mouvante entre l’invisible et le visible n’a pas été franchie. Nous parvenons à affiner l’objet de notre recherche en imposant des contraintes sur leurs propriétés. La matière noire pourrait-elle être présente sous notre nez, liée gravitationnellement à des objets célestes tels que la Lune ou Jupiter ?

La matière noire peut être tellement de choses. Il peut s’agir d’un fluide froid, flou et non collisionnel. Elle peut être composée d’un type de particules encore inconnues : des neutrinos à chiralité droite, des baryons de matière miroir, ou même des fermions sombres de cinquième dimension, pour n’en citer que quelques-unes.

La cogénèse de la matière noire et d'un processus appelé leptogenèse — qui a produit l’asymétrie matière-antimatière — a pu se produire en présence de trous noirs primordiaux. Ces objets cosmiques des premiers instants se trouvaient dans un micro-état. Certains sont devenus, au cours de leur évolution, des centres de galaxies tandis que d’autres errent encore sans populations d’étoiles en orbite.

Les simulations de Romulus permettent de prédire quel trou noir, suite à une fusion de galaxies, parviendra à graviter jusqu'au centre et combien de temps ce processus prendra. Il est dit que de nombreux trous noirs binaires se forment après plusieurs milliards d'années d'évolution, tandis que certains n'ont jamais atteint le centre. On a découvert que les galaxies d'une masse égale à  celle de la Voie lactée abritent en moyenne 12 trous noirs supermassifs, qui se trouvent généralement dans les halos de matière noire.

Les trous noirs supermassifs sont des objets invisibles et extrêmement lourds. La même invisibilité et la même lourdeur s’appliquent-elles à la matière noire ? La matière noire pourrait-elle s’accumuler près des trous noirs, sur l’horizon des événements ? Pourrait-elle s'engouffrer à travers le véritable horizon vers un secteur caché ?

L’introduction de dimensions supplémentaires, d’une force de cinquième dimension ou d’un univers miroir porterait un sérieux coup au concept de néant, diminuant encore davantage la possibilité de son existence. S’il n’existe pas de néant précédant la génération de l’espace à partir du « temps zéro », alors il se peut que les entités universelles rétrécissent à l'infini au seuil d’une dimension cachée de l’espace-temps. 

L’espace, comme la mer avec ses courants, est le théâtre de chocs et de vagues de fond qui font que les nuages ​​de baryons et la matière noire se bousculent les uns aux autres et s’attirent les uns les autres. Les traces et les sillages qui se forment suggèrent des perturbations de densité dans l’espace-temps. Même les galaxies satellites, telles que le Grand Nuage de Magellan, pourraient dans un futur lointain laisser, à travers la Voie Lactée, des débris de matière noire qui ne leur seront plus liés gravitationnellement.

L’étude des empreintes de matière noire et des distorsions des flux stellaires est essentielle pour démêler ces processus. Les scènes de leurs rencontres, qui impactent la forme et la vitesse des uns et des autres, sont fixées dans l’espace-temps, gravées dans la mémoire des galaxies.

Certains imaginent l’Univers comme si des amas de baryons s'intégraient dans des halos de matière noire. L’espace agit comme un écran sur lequel sont projetées des scènes de vie universelle. Les scientifiques s’attaquent aux deux extrémités de l’Univers : l’extrêmement petit et l’infiniment grand. Alors qu’ils tentent d’identifier la nature microscopique de la matière noire, ils tentent en même temps de décrire le rôle de la matière noire dans l’Univers macroscopique. De grandes fusions modifient la morphologie des galaxies et les halos de matière noire. L'inflation cosmique et la matière noire sont les deux faces d'une même médaille.

En fin de compte, la matière noire pourrait être hétérogène, se comportant différemment selon l’échelle et la localisation, que ce soit dans des halos autour des galaxies et des amas de galaxies ou autour des centres galactiques. Son hétérogénéité permettrait la possibilité de collisions et d’interactions entre particules de matière noire. Certains imagineraient même que la matière noire auto-interagissante soit à bien des égards semblable à ce que nous observons avec la matière baryonique. La matière noire pourrait-elle être parfois chaude ou tiède, en relation avec la thermalisation de l’Univers ? Pourrait-il y avoir des photons noirs ? La matière noire pourrait non seulement être composée de matière noire auto-interagissante, mais aussi de trous noirs primordiaux.

Les relevés radio d’EDGES, de LOFAR et d’HERA — qui a fourni son premier ensemble de données — ainsi que dans le futur de SKA font partie des premiers résultats dont nous disposons dans l'étude de la topologie primordiale. Dans un Univers en évolution, Penrose imagine les particules de matière noire comme des entités gravitationnelles appelées érébons qui se désintègrent complètement à la fin de chaque éon pour être ensuite créées à nouveau au début. Peut-être, ajoute-t-il, aurons-nous besoin de détecteurs d’un autre type pour voir ces désintégrations d’érébons dans le présent éon.

En plus de la détection des ondes gravitationnelles par des observatoires comme LIGO, Virgo et KAGRA, le télescope James Webb pourrait faire correspondre des images aux émissions radio et fournir des réponses aux questions sur les trous noirs primordiaux. Par exemple, si les particules de matière noire produisaient des signaux gamma par suite de leur conversion, l'intensité des rayonnements, enregistrée à proximité d’un trou noir, en donnerait la preuve.

Le principe appelé rasoir d’Occam stipule que la pluralité ne doit pas être posée sans nécessité. S'il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité, laquelle des hypothèses mentionnées ci-dessus est l’explication la plus simple ? Au lieu de nouvelles particules que nous n’avons pas encore découvertes, pourrions-nous nous débarrasser de la matière noire ? Une nouvelle théorie relativiste de la dynamique newtonienne modifiée se dit être la plus efficace pour reproduire les observables cosmologiques clés. Mais sans recourir au concept de matière noire, peut-on encore prédire ce qu'il adviendra du Grand Nuage de Magellan? 

Round and round it goes (Google - Labs - Image FX)

Dans la ronde autour du centre galactique, nous naviguons un flot incessant de questions. Pourquoi la lumière prend autant de temps du centre galactique à la Terre qu'il faut à la Terre pour effectuer un cycle complet de précession des équinoxes?

Les poètes ne meurent pas. Tombés dans un profond sommeil, ils embarquent sur un vaisseau temporel pour retourner aux commencements.

Poets on a time ship (Google - Labs - Image FX)

 

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La pensée artistique

Publié le par Catherine Toulsaly

Nous occupons la surface d’un minuscule point du superamas de la Vierge, l'appendice d'un superamas encore plus vaste de Laniakea, où les sifflements des oiseaux couvrent le faible bourdonnement des ondes gravitationnelles et les tremblements de terre des volcans. Tout cela renforcent notre connexion avec l’Univers.

De ce poste d’observation, Nicolas Louis de Lacaille a vu dans le ciel austral ce qu’il a appelé l’Atelier du sculpteur. Il l'a dessiné sur son planisphère comme une tête sculptée sur une table à trépied, avec un maillet et deux ciseaux à côté.

Dans cette même constellation se trouve la galaxie du sculpteur — NGC 253 — découverte par l’astronome germano-britannique Caroline Herschel en 1783. Dans la même partie du ciel céleste, il y a aussi le Vide du sculpteur à côté du Mur du pôle Sud.

The Sculptor Void (Google- Labs - Image FX)

Le Vide du sculpteur est rempli des doutes de l’artiste. La recherche prend des formes multiples : art, science, philosophie, langage. Les arts, y compris la poésie qui est une forme d’art, ont commencé comme un terrain de recherche, mais la créativité a débordé des marges de ce domaine. Chaque découverte repousse les contraintes que nous nous imposons. Les scientifiques, tout comme les artistes et les philosophes, sont eux aussi des chercheurs mieux à même de poser des questions que d'y répondre et prêts à s’arrêter et à réfléchir à tout moment face à l’inconnu comme si leur cerveau en ébullition pouvait lentement adoucir les énigmes les plus difficiles que l’Univers a à offrir.

La recherche exige un besoin insatiable de savoir. Elle implique la nécessité de continuer et de passer d’un point à l’autre. Un thème cesse et un autre commence, tous des éléments du même assemblage, créant ainsi un corpus d’œuvres.

Un tel « assemblage territorial » nécessite le démantèlement des frontières, la déterritorialisation de l’espace qui engloutit une série d’éléments, de pensées, d’idées, de concepts, tous destinés à soutenir et à articuler le récit dans la tête du chercheur. La méthode utilisée est ce que j’appellerais (faute d’un meilleur mot) la présentification d’une antériorité alors que le but, pour l’artiste-chercheur en particulier, n’est pas l’appropriation mais l'élargissement erratique d’un espace de ressentis.

Tandis que les artistes ressentent la présence de l’indicible, la science ne considère que ce qui peut être exprimé. Grâce aux arts, nous ressentons les connexions extérieures et intérieures. L’intuition est ce qui nous aide à naviguer au sein de ces influences terrestres et cosmiques.

Créer nécessite une certaine intuition de ce qui sera créé ; cette intuition provient en partie de l’expérience collective antérieure, mais nécessite aussi une étincelle personnelle et intuitive pour dépasser une connaissance antérieure.  Ce n’est pas seulement quelque chose en nous qui cherche à se manifester à l’extérieur, c’est un flux vers l’intérieur.

La recherche commence à petite échelle, puis élargit sa portée. Elle fournit une caisse de résonance à la voix intérieure. Elle nécessite de mêler idées et concepts, de les assembler et de  prendre la mesure de la façon dont ils s’articulent.

La recherche artistique est un processus expérimental. Les contours et le contenu peuvent être qualifiés de rhizomatiques, car l’artiste-chercheur s’engage dans une démarche interminable, en établissant des liens sans fin, car l’acte de création est intrinsèquement un test des intuitions et des spéculations. Au cours du processus, certaines pensées préliminaires suivront leur cours naturellement tandis que d’autres entreront dans une phase de dormance.

En fin de compte, les frontières entre le savoir et l'absence de savoir sont floues, comme si nos sens étaient fermés, balayant un sentiment indicible. Autant nous souhaitons acquérir plus de connaissances, autant nous ignorons ce qu’il nous reste à apprendre, l’étendue de notre ignorance. La recherche devient une caverne dans laquelle l’esprit rampe et creuse à mains nues. Pressés par le temps, celui-ci pourtant ne fait que nous murmurer à l’oreille que nous ne sommes pas seuls et qu'il nous tient compagnie.

Les Mille Plateaux de Deleuze et Guettari sont riches d'analogies et d'idées révolutionnaires, telles que celles du rhizome et du trou noir. Elles ont une influence déterminante pour la suite de cette présente quête. Un artiste-chercheur, lui aussi, n’est pas différent d’un enfant qui s’oriente comme il le peut dans le noir avec sa petite chanson. Il déambule dans un système de pensées désorganisé en improvisant.

Une telle improvisation, cependant, peut conduire à l'aube d’un aménagement territorial. La recherche nous guide pour affiner les bonnes questions à poser et le bon ordre dans lequel les poser. Elle permet au chercheur de savoir ce qui est connu et ce qui ne l'est pas et de déterminer ce qui peut être connu ou ce qui reste à savoir.

Tantôt, un tel système de pensées désorganisé peut tourner autour d’un immense trou noir dans lequel on s’efforce de fixer un point fragile. Tantôt, on organise autour de ce point une allure calme et stable plutôt qu’une forme. Le trou noir est devenu le domicile privilégié. Tantôt, on greffe une échappée sur cette allure, hors du trou noir. Mais pour un artiste-chercheur, il ne s’agit pas seulement d’être chez soi dans un trou noir. Il s’agit de découvrir ce que l’on ressent lorsqu’on est un trou noir, lorsqu’on n’est rien.

Au-delà de ce qui motive un artiste-chercheur se cache l’inévitable désir d’expérimenter, de s’identifier au sujet en question et de ressentir. Les chemins vers ce qui n’est pas m’amènent à la question de l’horizon véritable et de l’horizon illusoire d’un trou noir. L’horizon illusoire est  l’écran holographique du trou noir, codant pour chaque observateur les états qui se cachent derrière l' horizon illusoire.

La perte d’objectivité nous menace tous et l’attrait d’un horizon illusoire représente un risque pour les efforts du chercheur. Alors que les points de référence d’une théorie du tout semblent se déplacer au fil du temps, comment atteindre le véritable horizon ?  Et comment en être conscient? Existe-t-il une boussole à partir de laquelle je pourrais déduire le vrai nord ? Est-ce que mes pas me dirigent vers l’horizon illusoire ?

La recherche ressemble à une chute libre, un plongeon dans des eaux profondes, la taille directe non pas de la pierre mais d’un amas d’idées et de concepts. Le souffle du Vide décrit la trajectoire du processus créatif lors de la sculpture sur pierre lorsque le passé, le présent et le futur se confondent dans la pierre : ce qu’elle était, ce qu’elle est et ce qu’elle sera. Les chercheurs sont comme des sculpteurs qui luttent pour voir des formes surgir de la masse de leurs connaissances. Demain met en valeur les pas d’hier. Un autre jalon sur la carte de l'artiste-chercheur.

Researchers (Google -Labs - Image FX)

 

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