Un grain de sable prend l'air

Publié le par Catherine Toulsaly

The Necklace from where it all started (A grain of sand catching a breeze, July 2022)

Les mots, comme les perles d’un collier, créent une série d’images. Ce sont les voix dans ma tête. Quand on parle de la nature, c’est la nature terrestre que je vois, et non l’univers dans son ensemble. J’imagine que l’un englobe l’autre, que l’univers est un réservoir naturel, et que la nature est une manifestation dans l'évolution  de l’univers, une sorte d’excroissance. Nous, les humains, ne sommes ni au centre de l’univers, ni même au centre de la nature.

La différence entre les deux mots, nature et univers, réside peut-être dans le fait que l’un était plus couramment utilisé dans le passé. Les mots sont porteurs de souvenirs. Pascal nous exhortait à contempler la nature dans toute sa majesté. Le monde visible dans son ensemble, ajoutait-il, n’est qu’un atome imperceptible dans le vaste sein de la nature. Une signification cependant a perduré : la nature et l’univers offrent tous deux un sentiment d’unité. Ils impliquent l’existence d’une seule entité à travers le temps et les échelles de grandeur.

Ce qui était une théorie de la nature est devenu une théorie de tout. Et pour les scientifiques, une telle théorie pose une énigme mathématique plutôt qu’épistémologique. Les règles qui ont été testées et vérifiées de la manière la plus rigoureuse sont élevées au rang de lois de la nature. Ces lois se soutiennent mutuellement comme des blocs de construction dans un jeu d'influences réciproques. Elles s’assemblent, écrit Matthew Bothwell, pour produire un univers rempli de ces structures ridiculement vastes et incomparablement belles.

La nature n’est pas un acteur passif, un simple paysage. « L’être », selon l'article précédent intitulé Franchir le passage, « est né de quelque chose et la nature est née de l’être ». La nature est la genèse des choses en croissance. C’est un processus de développement qui fait référence à l’Univers en tant qu'organisme vivant. En effet, le plus surprenant en cosmologie est que la nature de l’Univers exige un essor continue – la création perpétuelle de nouveaux matériaux de base.

D’une manière ou d’une autre, par son pouvoir de conception, la nature accomplit quelque chose qui semblait impossible : elle déploie plus d’énergie. Elle constitue la floraison universelle. Sa force créatrice fait sortir l’univers du néant et le fait avancer. Non seulement la nature ne permet à rien de périr, écrivait Lucrèce, jusqu’à ce qu’elle rencontre une autre force qui la brise d’un coup ou qui s’insinue dans les fissures et la détricote, mais elle répare aussi une chose à partir d’une autre et ne permet à rien de naître sans qu'une autre ne disparaisse. C’est comme si nous pouvions suivre les empreintes de la nature dans les influences réciproques survenues.

Dans la nature, nous voyons des fractales et des motifs se produire constamment et régulièrement selon un ensemble de catégories bien définies. Les lois de la nature sont-elles inéluctables et leur nombre fini ? Et pourquoi la nature semble-t-elle souvent avoir un sens parce qu’elle aurait un but ?  La nature devient une chose fatale à laquelle l’Univers obéit, le soumettant à ses caprices. Je me demande pourquoi tout se résume à l’existence de lois régissant l’Univers auxquelles il ne peut se soustraire et d’où vient le besoin de donner un sens et de trouver un ordre dans toutes les choses.

Le jeu de confrontation entre nature et culture est précédé par le débat ontologique sur le rapport entre les états de stabilité et d'évolution. Dans les limites de la physique, nous étudions les processus de la nature. Tandis que les conditions favorisent l’évolution, le processus indéchiffrable complique notre compréhension de la conservation de l’ontologie. Les conditions affectent la géométrie de l’ensemble du système. Le cycle évolutif de la nature lié à l'augmentation de l’entropie transporte des vagues de ressentis de-ci de-là à travers l’espace-temps. Aujourd’hui, ce que signifie la conservation de l’ontologie, en terme pratique, c’est la conservation de la nature.

Supposons que le point Janus se trouve au niveau du col étroit d’un sablier. Si l’Univers était une ampoule de verre en expansion et que chaque grain de sable passant à travers le col avait la taille du champ de vue du télescope Webb, qu’est-ce qui constituerait la pérennité du sable ? Pour Fred Hoyle, quelle que soit la distance dans le temps et l’espace à laquelle nous observons le cosmos, nous voyons toujours à peu près le même nombre de galaxies.

À première vue, explique-t-il, on pourrait penser que cela ne pourrait pas durer indéfiniment car la matière formant le fond finirait par s’épuiser. Sur les traces de Lucrèce, il ajoute que la raison pour laquelle ce n’est pas le cas est que de nouveaux matériaux semblent compenser la matière de fond qui se condense en galaxies. Aujourd’hui, les nouvelles technologies qui nous permettent de scruter les confins de l’Univers semblent nous conforter dans cette impression.

En fin de compte, la question des frontières de la nature reste ouverte. Les limites naturelles de l’univers physique devraient-elles s’étendre au-delà ? Cela semble exagéré de vouloir faire commencer la nature au niveau quantique, car elle apparaît moins probabiliste en surface que mécanique. Pour Bohr, je me souviens, ni les particules ni les ondes ne sont des attributs de la nature. Ce ne sont rien de plus que des idées dans notre esprit que nous imposons au monde naturel. Mais certains ont soutenu que la nature nous donne l'indice d’une vérité fondamentale. La mécanique quantique est unique en ce qu’elle permet d’assigner une condition limite finale complète et non redondante à chaque système. L’ambition de la mécanique quantique est de prédire le comportement de la nature. Et plus nous introduisons de symétries globales dans le monde quantique, plus la nature en revendique sa conception.

Aristote observait que la nature peut aussi représenter une chose immanente à partir de laquelle une chose croît. Alors, qu’est-ce qui constitue la perennité du sable ? Si l’Univers est de nature conceptuelle, ce qui est préservé, porté à travers le temps et l’espace peut être son origine conceptuelle,  l'essence immuable et indifférenciée au sein de l’apparente évolution de la réalité. La chose immanente qui perdure, malgré ou grâce aux processus de variation, est la nature quantique déterminée par la Liberté, l’Essence et l’Existence. L’Univers passe par des étapes dues à la mise en œuvre de ses propriétés physiques et dynamiques, et la somme de toutes ses caractéristiques tisse un réseau de connexions complexes au sein d’une architecture en constante évolution.

A Grain of sand catching a breeze, July 2022

Pour un homme qui courbe sous le malheur, écrit Emerson, la flamme de son feu est chargée de tristesse. Le plus beau paysage est dédaigné par qui vient de perdre un ami cher. Le ciel est d'autant moins magnifique qu'il écrase les moins fortunés.

La nature ne porte que les couleurs de l'esprit. L'Univers depuis son état initial est libre d'explorer ce qu'il signifie être. Je m'essaie moi aussi à la poésie:

Un cerf dans le parc,
Des lys dans l'étang,
Le soleil luisant,
Des étoiles, des anneaux et des galaxies.
 
Un lapin qui passe
De la musique dans les oreilles
Le bruit d'autoroute qui perce
Des coureurs et des vélocyclistes.
 
Le soleil brûle
De la lumière dans les yeux
Le son de percussion
Les nuages ​​se rassemblent et le temps passe.
 
Un pic picote
Je le regarde
Un chien se promène
Je suis le grain de sable prenant l'air.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article