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Démocraties

Publié le par Ysia

La démocratie n’est pas un fait ponctuel qui n’arrive qu’une fois. Elle vient et va et est très difficile à maintenir.

Richard Blanton, Université Purdue

 Grâce aux travaux menés par Richard Blanton, un anthropologue à l’Université Purdue de West Lafayette dans l’Indiana, Tlaxcallan fait partie d’un certain nombre de sociétés prémodernes dans le monde que les archéologues considèrent organisées collectivement et dans lesquelles les dirigeants partageaient le pouvoir et les citoyens avaient leur mot à dire dans le fonctionnement du gouvernement. Ces sociétés étaient radicalement différentes des régimes autocratiques héréditaires constatés ou présumés de la plupart des sociétés dites primitives. S’appuyant sur la théorie originale de Blanton, les archéologues disent à présent que ces sociétés collectives ont laissé des traces physiques de culture matérielle, telles qu’une architecture répétitive, une plus grande importance accordée aux espaces publics plutôt qu’aux palais, une production locale privilégiée sur des marchandises exotiques et des écarts de richesse réduits entre les élites et les citoyens ordinaires. Par exemple, à Tlaxcallan toutes les classes sociales semblent avoir possédé et utilisé des poteries ornées de dessins multicolores. Les ratios isotopiques de carbone entre les squelettes indiquent que le maïs produit et stocké localement dominait l’alimentation de la population, ce qui suggère que Tlaxcallan devait dépendre de ses propres citoyens, plutôt que du commerce et des ressources naturelles pour financer ses activités. Seulement 3 ou 4 pièces sur 10 tonnes de céramiques étaient de style Mexica et donc importées.

« Blanton et ses collègues nous ont montré une autre façon d’examiner les données à notre disposition » a declaré Rita Wright, une archéologue à l’Université de New York qui étudie la civilisation de l’Indus vieille de 5 000 ans qui couvre l’Inde et le Pakistan d’aujourd’hui et qui présente également les signes indicateurs d’un régime de gouvernement collectif. Notamment dans la capitale de la civilisation de l’Indus, Mohenjo-daro, située au Pakistan actuel, les œuvres d’art représentent rarement des individus, les maisons sont en briques de même taille et les quartiers sont régulièrement espacés et équipés des premiers réseaux d’égouts.

« Je pense que c’est une avancée » s’accorde à dire Michael E. Smith, un archéologue de l’Université de l’Etat de l’Arizona à Tempe. « Je considère qu’il s’agit de la plus grande contribution de ces 20 dernières années dans l’étude archéologique des structures politiques ». Avec d’autres, il travaille à développer l’idée de Blanton en une méthode vérifiable dans l’espoir d’identifier, à partir des objets recueillis, les États de type collectif. « Sans un modèle rigoureux et acceptable par tous, cela restera hypothétique et subjectif ». David Carballo, archéologue à l’Université de Boston estime que le mode de gouvernement  pourrait ne pas être la mesure la plus importante pour définir ce que Blanton appelle une structure collective. Il mentionne un énorme atelier en obsidienne qu’il a découvert lors de ses fouilles dans un quartier périphérique de Teotihuacan comme étant le signe que les hommes du commun s’organisaient à partir de la base quel que soit le gouvernement en place, ce qui fait de Teotihuacan une société collective, même si elle avait un roi.

Dans les années soixante, les enseignants et confrères de Blanton ne pensaient pas que des sociétés collectives existaient en Méso-Amérique précolombienne. Les républiques prémodernes telles que l’Athènes classique et la ville de Venise médiévale étaient considérées comme un phénomène strictement européen. Il était généralement admis que dans les sociétés non-occidentales prémodernes, les despotes exploitaient leurs sujets et soutiraient leurs richesses. Certaines cultures mésoaméricaines semblent effectivement correspondre au modèle de régime despotique. Il y a plus de 2 000 ans, dans les capitales olmèques de San Lorenzo et La Venta le long du Golfe du Mexique notamment, les rois avaient leurs portraits gravés dans des pierres gigantesques et vivaient dans des palais garnis de produits de luxe exotiques comme des miroirs en pyrite de fer et des roches vertes. Des siècles plus tard, les souverains de la période classique Maya dans le Sud du Mexique et au Guatemala enregistraient leurs conquêtes, mariages et dynasties en glyphes gravés dans la pierre. Les hommes du peuple vivaient toutefois humblement dans des hameaux dispersés autour des centres urbains où se dressaient pyramides et monuments.

Mais au fur et à mesure des fouilles archéologiques et des données recueillies au fil des ans au Mexique, Richard Blanton a constaté qu’un nombre croissant de sites ne se conforment pas au cadre établi. Par exemple, Monte Albán, la capitale des Zapotèques en Oaxaca entre 500 AEC et 800 EC est exempte des représentations ostentatoires des gouvernants si répandues chez les Olmèques et dans l’art classique Maya. Elle semble également être dépourvue des palais et des tombes royales qui regorgent de biens précieux. Par contre, les signes d’autorité restent plus anonymes, liés aux symboles cosmologiques et aux habituelles divinités plutôt qu' à des individus en particulier.

A Tlaxcallan, les espaces publics s'éparpillaient à travers tous les quartiers sans aucune marque de hiérarchie. Plutôt que de gouverner du cœur de la cité, comme le faisaient les rois, le sénat de Tlaxcallan se réunissait probablement dans un grand bâtiment découvert à un kilomètre dans la périphérie de la cité. Cette disposition est également le signe d’un partage du pouvoir politique. Les archéologues ont découvert cet aménagement inhabituel dans un certain nombre d’autres cités mésoaméricaines. L’une est Tres Zapotes sur le littoral du Golfe, qui a prospéré entre 400 AEC et 300 EC après la chute de La Venta, la dernière capitale olmèque. « Bien que les habitants de Tres Zapotes aient conservé un grand nombre de pratiques culturelles olmèques, leur cité ne ressemble en rien aux capitales qui l’ont précédée », déclare Christopher Pool, un archéologue à l’université du Kentucky à Lexington qui a entrepris des fouilles ces 20 dernières années. Tres Zapotes possède quatre esplanades avec la même disposition de pyramides en terre et d’espaces publics. La datation au radiocarbone révèle qu’elles ont servi au même moment. Pool en déduit que quatre factions coopéraient pour gouverner Tres Zapotes.

Ces cités confirment la théorie de l'archéologue Lane Fargher et de son mentor Blanton selon laquelle le meilleur indice d’une structure collective d’État est une solide source de revenu fiscal – c’est-à-dire, des impôts. Après avoir examiné les données ethnographiques et historiques d’une trentaine de sociétés prémodernes, les chercheurs ont constaté que les États dotés de sources de revenu fiscal étaient caractérisés par un haut niveau de biens et services publics, une importante administration gouvernementale et des citoyens habilités à juger les actions de leur dirigeant. Une autre caractéristique qui a pu être mise à jour grâce aux fouilles est le fait que ces structures collectives d’États attiraient des gens par-delà les frontières qui ont apporté avec eux des artéfacts pouvant être liés à d’autres cultures. Tlaxcallan accueillait plusieurs groupes ethniques, dont beaucoup étaient des réfugiés fuyant la domination des Mexica.

Selon Blanton, l’avènement et la chute des structures collectives de gouvernement tendent à se produire par cycles. A Oaxaca, le pendule politique oscille tous les 200 à 300 ans. (trad. par Ysia)

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Déhiscence et Transvaluation

Publié le par Ysia

Dans son ouvrage intitulé De la vérité dans les sciences, Aurélien Barrau nous invite à abandonner les analyses à l’emporte-pièce et la vision caricaturale des choses.

L’étantité (ou étance) des philosophes est-elle à rapprocher de l’ainsité bouddhique ? Cette étantité philosophique peut-elle répondre au gouffre béant où nous entraîne le règne de la philosophie du soupçon ? Qu’est-ce que le domaine de l’ontique ? Un brouillard obscurcit sa vision. Entre réalité et imagination, comment élaborer une voix universelle ?

Il me semble nécessaire de rappeler qu'il importe avant tout d'apprendre à penser, réfléchir et raisonner. C'est bien ce à quoi Benjamin Franklin s'était attelé avant l' âge de 16 ans avec la lecture de deux œuvres fondamentales : : L'essai sur l'entendement humain de John Locke et La logique ou l’art de penser d’Antoine Arnaud et Pierre Nicole (1662). Aurélien Barrau nous met très justement en garde contre la "contamination du savoir par le vouloir".

La science, c’est la capacité de prévoir, d’observer et d’expérimenter. Pourquoi n’est-elle pas le primat de la raison pratique? parce que les scientifiques sont les premiers à reconnaître que « La certitude, en science, n’existe pas ». Comment alors lui accorder au cœur de la société et en politique la place qu’elle mérite ? Si tout est toujours sujet au doute, comment assurer la prééminence des sciences dans une société ? Si « tout peut être remis en cause. Tout doit l’être. Rien n’est acquis. Rien n’est sacré. Rien n’est intouchable », alors comment engager le dialogue avec les sceptiques  et les anti-intellectualistes et combattre le déni de la science ? Les vérités ne sont-elles que

 

Entre une approche théologique du monde et la théorie de la vérité-correspondance à l’émergence d’une vérité logique et pragmatique, la vérité « fixe la ligne de délimitation entre le possible et l’interdit », entre la logique et ce qui définit l’essence de l’être et de l’humanité. Il me semble que l’ambigüité, l’inconfort dans lequel nous place le dilemme de la vérité réside dans la terminologie, dans le vocabulaire, dans la parole même. Le langage ajoute à la confusion. Faut-il insister sur le fait que la montée des eaux et les catastrophes naturelles peuvent porter atteinte à la sécurité nationale des états si certains refusent d'entendre parler de changements climatiques ?

La vérité est sujette aux croyances et aux présupposés. Ces mêmes croyances et présupposés aux formes temporelles qui reviennent inlassablement sur le devant de la scène. Ce sont ces vérités qui sont à l’origine de mondes multiples qui coexistent, se côtoient et parfois s’entrechoquent.

Toute révolution scientifique s’accompagne-t-elle immanquablement d’une redéfinition totale du réel ? (p.31) Imaginons l’effet papillon transposé dans un même corps dans lequel les interactions quantiques entraînent des réactions moléculaires qui, à leur tour, provoquent un mouvement physique. Imaginons alors la terre comme un corps physique unique dans lequel un battement d’ailes soulève l’ouragan. Et imaginons encore l’univers en tant que corps physique unique dont chaque galaxie suscite des réactions en chaîne.A la découverte d’une théorie de gravitation quantique...…. Le débat est ouvert (De la vérité dans les sciences, Aurélien Barrau, pp19-20).

La vérité et le vrai, faut-il les séparer ? Vérité ontologique et vérité logique. La science décrit logiquement le monde mais ne représente pas son en-soi, sa nature propre et véritable. Le problème est bien l’interprétation des faits, constamment remise en cause à chaque révolution. A travers différents prismes, la réalité est la réalité mais sa vision n’est pas la même. L’angle, le point de vue n’est pas le même.

Donc ce n’est pas que tout ce qui est vrai peut être réfuté, c’est que toute vérité est limitée par une autre qu’il reste à découvrir comme un puzzle dont chaque pièce représente une parcelle de vérité.

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Alexander Von Humboldt

Publié le par Ysia

« I was forced into a thousand constraints... and into loneliness, hiding behind a wall of pretense... »

The invention of nature : Alexander Von Humboldt's new world

Alexander Von Humboldt a éprouvé une grande solitude sa vie durant. Il se sentait incompris et, dans le même temps, ne pouvait accepter l’ignorance et la bêtise humaine. Afin de cacher sa propre vulnérabilité, il avait construit une carapace d’ambition et de sagacité. Enfant, il était craint pour ses réparties tranchantes qui lui valaient le surnom de « petit esprit malin », une réputation qui le poursuivit toute sa vie... Il semble avoir été écartelé entre sa vanité et sa solitude, entre son désir de louanges et sa soif d’indépendance. Il basculait entre son besoin d’approbation et son sentiment de supériorité (p.15)… Il  passa de longues heures jour et nuit avec le seul ami intime qu'il n’ait jamais eu, furieux contre lui-même pour s'être laissé aller à nouer des liens si étroits, sachant pertinemment qu'il devrait un jour ou l'autre le quitter. Pendant deux ans, il se remémorait avec nostalgie les moments passés avec lui et s’épanchait dans des lettres espacées par de longs intervalles d'oubli. Un tel tempérament à la fois distant et sensible faisait qu'il demeurait insaisissable.

Il connut Goethe, le poète,  alors que celui-ci était plein de désillusions, vivait en ermite et pour lequel la seule chose qui le poussait à continuer était ses recherches scientifiques.

Il connut Thomas Jefferson qui déclarait ne pouvoir vivre sans livres et qu’il admira tout en dénonçant la question de l’esclavage fondée sur l’avarice humaine. Humboldt, quant à lui, n’aurait pas pu vivre sans mener des expériences scientifiques, notamment l'émission de chocs électriques sur lui-même ou sur des animaux. Friedrich Schiller, son contemporain, estimait qu’Alexandre Von Humboldt  n'aurait jamais pu rien accomplir parce qu’il touchait à trop de sujets à la fois. C’est ce qu’on n’hésiterait pas à lui reprocher aujourd’hui. Pourtant, la capacité de jongler entre différents sujets pour mieux prendre la mesure des choses est essentielle. Puiser son inspiration dans les arts et les sciences permet d’ouvrir des portes et de franchir des horizons insoupçonnés. Alexander Von Humboldt était peut-être l’un des derniers grands disciples de voyages polymathiques.

Humboldt était un fervent partisan de l’empirisme, qui est de croire que notre esprit, à la naissance, est pareil à une page vierge sans idées préconçues et que, tout au long de notre vie, nous amassons des informations fondées sur l’expérience et l’observation. L'homme  n'est pas au centre de l'univers ni même au centre de la nature.  Aristote avait tort et Humboldt, le père du mouvement écologiste, avait raison d’affirmer que la nature dans son ensemble n’a pas été créée pour le plaisir de l'homme. Il faudra qu’il prenne un jour conscience de ses devoirs à l’égard de l’environnement. Il est intéressant de noter qu'en 1669, déjà, le contrôleur général français des finances Jean-Baptiste Colbert interdisait aux villageois le droit d'exploiter les forêts et avait fait planter des arbres pour pourvoir à la construction future des navires tandis que Benjamin Franklin, craignant la disparition des forêts, inventa le chauffage par convection et conçut un foyer plus économe en combustible. Mais la conquête d'espaces vierges, comme l'Ouest américain, soulignait la pensée archaïque consistant à dompter le sauvage, dominer le chaos apparent de la nature et des êtres qui l'habitent, qu'ils soient humains, animaux ou végétaux. Ancienne dichotomie entre ordre et chaos, fondée sur notre peur instinctive de l'inconnu. C'est cette angoisse primitive qu'il aurait fallu et qu’il faudrait dompter. Comment renverser la tendance de milliers d'années durant lesquelles l'être humain ne voit de beauté que dans une nature cultivée c'est-à-dire civilisée ? Un gazon obstinément arrosé malgré la sécheresse, des plantes et arbres non indigènes plantés en hâte pour le regard ou par convenance sans considération pour les conséquences à plus ou moins long terme. N'est- il pas temps d'éduquer l'homme sur la façon dont les forces de la nature contribuent entre elles, des quatre coins du monde, dans l'espace et sous les mers et comment elles sont liées entre elles? C’est bien là le barbarisme de l'homme civilisé. Qui est le barbare? L'étranger ou Celui qui n'a aucun respect pour l'autre ?

La vie coule en ligne droite et puis s'arrête et tourne en rond à l'infini... Deux conceptions s'opposent: celle qui pose en préalable l'éducation en tant que fondement d'une société libre et heureuse et celle qui voit le danger d'éduquer le peuple de crainte qu'il se détache de ses devoirs de servitude. Faut-il vivre en retraite dans une humble solitude ou renoncer à sa liberté intellectuelle et à son génie et prendre sa place de courtisan dans la société peut-être dans l’abnégation de soi et pour le bénéfice de la communauté ?
De la révolution à la dictature impériale ou monarchique... Là est bien le cycle des choses et rien n'y change. Rien ne subsiste. Tout se transforme. La liberté des opprimés est bafouée par les forces réactionnaires qui se soulèvent sempiternellement. Tourner le dos à la politique des hommes et se consacrer entièrement et uniquement à la science et son art et à l'éducation pour aider les êtres à décupler le pouvoir de leur intellect.

Avec la connaissance vient la pensée et avec la pensée vient la puissance. Au crépuscule de la vie, les amis reviennent, les liens se renouent, la boucle est bouclée. La chance tournera et un départ vers de nouveaux horizons approchera. La vie, sous toutes ses formes, crée une toile de relations complexes entre les êtres vivants et inanimés.

Comment comprendre la nature? Il faut l'interpréter, comme l'ont fait Humboldt et Thoreau, dans son ensemble et à travers les liens et connexions de ses éléments, êtres vivants et êtres inanimés et ne pas conclure fatalement que les voies de l'Eternel sont impénétrables.

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La boucle est bouclée

Publié le par Ysia

Je me reconnais dans les anciens coureurs de bois foncièrement indépendants et en rébellion contre l'autorité et vois le monde à travers le regard de l’artiste.

A quoi ressemble l’Europe du XVIème siècle? Une Europe ravagée par la guerre menée par l’empire espagnol contre l’Europe protestante qui fuit en masse vers l’Amérique, et financée grâce aux immenses richesses dépouillées par la force  et ramenées de cette même Amérique (pp.26-27, Colin Woodard, American Nations, 2011). Toute cette ambition pour en arriver à quoi ? Au déclin inexorable de l’empire espagnol.

 

Ainsi commence la conquête de l’Amérique. Mais qu’est-ce que l’Amérique ? El Norte, un territoire espagnol où les indiens étaient asservis au nom de l'église, la Nouvelle France au Nord et au Sud avec la Nouvelle-Orléans où le rêve de Champlain concrétise un vivre ensemble entre Amérindiens et Français, la côte dite Tidewater semi-féodale des ancêtres de George Washington, George Mason et Robert Lee souhaitant reproduire l’Angleterre de l’aristocratie normande,  le pays des Yankees dit Yankeedom,  utopie religieuse, théocratie protestante des puritains, le centre dit Midlands des pèlerins et des quakers, la vaste région dite des Appalaches, violente et pauvre des rebelles écossais et irlandais partisans de se faire justice eux-mêmes, le Sud de la société esclavagiste de la Barbade  qui s’implante progressivement depuis Charleston en Caroline du Sud….

 

 De la pauvreté britannique à la pauvreté américaine. Est-ce cette extrême misère, transplantée en Amérique, qui se retourne contre ses précédents souverains et alimente les rangs de l'armée continentale dans les années 1770? Tout au long de l'histoire se déversent dans la presse et autres moyens de communication les mêmes craintes face aux nouvelles vagues d'immigration. C'est une nation britannique ravagée par des guerres successives qui nourrit le flot migratoire tout comme les guerres sur le continent africain ou au Moyen-Orient exacerbent les flux migratoires aujourd’hui. L'histoire des États-Unis révèle la rivalité de deux idéaux: la liberté individuelle contre la cohésion sociale. C’est dans ce contexte que, pour la première fois,  sont adoptées les premières lois contre l'immigration sous la présidence de John Adams.

 

La  défaite de la France provoque la déportation des Acadiens tandis que la guerre d'indépendance et la guerre anglo-américaine de 1812 causent la migration vers le nord des populations éprises de paix du Yankeedom et du centre dit Midlands (quakers et autres communautés). Le Vermont est déjà alors le champion des droits des esclaves et l'ennemi des spéculateurs new-yorkais (p.157, ibid.)

 

Alors commence la conquête de l'Ouest menée simultanément par les principaux protagonistes, à savoir les populations du nord-est Yankeedom aux idéaux puritains, du centre Midlands de culture allemande et porteur d'une tolérance héritière de William Penn, de la tranche belligérante appalachienne qui affirme l'hégémonie déclarée d'une ethnie sur les autres, renforcée par la culture esclavagiste du Sud et concrétisée dans la personne d'Andrew Jackson et autres extrémistes. Cependant Yankees et Appalachiens cohabitent notamment dans le nord-ouest comme en témoignent les villes yankees et les campagnes appalachiennes de l'Oregon. Contre toute attente, une nouvelle forme de pensée apparaît dans le mélange de culture sur la côte ouest, à la fois idéaliste et individualiste.

 

La guerre civile n'a pas changé les mentalités. Les guerres traversées laissent un goût amer d'autant si elles ne sont pas suivies d'un réel et profond effort de reconstruction sociale et économique. Les disparités économiques entre régions ont toujours existé. Elles n'ont jamais disparu et se sont perpétuées au gré des politiques inhabiles et malavisées et des idéologies destructrices. Une fois la guerre de sécession terminée, de nouvelles formes de résistance intolérante ont véhiculé un message raciste et antiscientifique par le biais des instruments de communication au fil des ans : des cercles fondamentalistes aux universités conservatrices, des stations de radio aux chaînes de télévision, des journaux aux sites web et réseaux sociaux. Comment aider ceux qui refusent de s’aider eux-mêmes, ceux-là même qui refusent les réformes sociales, trouvent une justification dans la religion à l’esclavage ou au tribalisme et dénoncent comme contraires à la volonté divine, aujourd’hui comme hier,  la laïcité, le féminisme, l’écologie et les découvertes de la science moderne?

 

Trente-six millions d'immigrants sont arrivés entre 1830 et 1924 (66 millions entre 1790 et 2000). En épousant les coutumes locales, ce sont les différences préexistantes entre régions qui se sont accentuées. L'immigration s’est limitée essentiellement aux trois régions de la Nouvelle-Hollande, du Midlands et de Yankeedom. La multiethnicité et le multiculturalisme n’ont jamais été que la caractéristique  de ces régions mais pas des autres. Quant à l'Ouest américain, ces peuples de culture ou ethnie différente arrivèrent à peu près en même temps. Mais si l'éducation est le fer de lance des Yankees, dans le sud on a découragé l'éducation mixte des populations noire et blanche et, en Californie, les Japonais n'étaient pas autorisés à s'instruire à l'école jusqu'en 1907.

 

Un cycle historique se termine là où il a commencé: la majorité des immigrants de souche mexicaine s'implante dans la région El Norte qui fut à l'origine espagnole. 

 

Pourquoi le même destin n'a-t-il pas échu au Canada?  Peut-on imaginer une Amérique différente ? De l’avis de Colin Woodard, son histoire et son présent sont plus complexes. Il y a l’Amérique respectueuse et tolérante, il y a l’autre et celle qui oscille entre les deux.

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Le sort de l'humanité

Publié le par Ysia

Pourquoi parle-t-on d'une croissance économique décevante depuis 1970? Parce qu'elle se cantonne selon Robert Gordon, auteur de l'ouvrage monumental intitulé The Rise and Fall of American Growth (Princeton 2016), dans la sphère limitée des communications, du divertissement et des technologies de l'information. Il est vrai que le progrès observable par l’homme contemporain, s'agissant de l'alimentation, des vêtements, du logement, des transports, de la santé notamment, est depuis 1970 relativement lent en termes qualitatif et quantitatif. Faut-il qualifier d’unique la contribution de la période entre 1870 et 1970 à la croissance économique qui a rompu singulièrement avec la lente progression des cent mille premières années de l'humanité? S’il faut juger de l’importance d’une invention sur l’impact réel dans la vie quotidienne alors ni l’invention du feu, ni la révolution agraire ni la révolution industrielle des siècles précédents ne saurait égaler, de par leur occurrence isolée dans l’histoire de l’humanité, la cadence accélérée des grandes inventions de la période donnée.

Faut-il craindre la stagnation de l'humanité durant les prochaines décennies voire siècles, ne considérer la période de 1870 à 1970 que comme un soubresaut dans l'évolution humaine, une anomalie et prédire le déclin inéluctable de l’humanité dans un divertissement virtuel sans fin, un cycle infernal de passions numériques?

Ce que je crois, c' est que dans ce débridement du réseau informatique se trouve un nouveau siècle des lumières, un éveil au monde et aux autres, la gestation des grandes inventions futures, une tout autre forme d'énergie qui pourrait révolutionner le monde. Mais il est trop tôt pour le dire. Le présent recèle les germes d’un bouleversement futur.

 S’agissant des aspects positifs de la culture Web, ne sous-estimons pas le pouvoir de l’Internet dans le domaine de la diffusion de la connaissance des sciences, de la philosophie et des libertés. Toutes les idées ne sont pas bonnes à prendre, certaines sont même fallacieuses. Mais rien n’est parfait dans ce monde. Même les glorieuses inventions ont progressivement apporté leur lot d’inconvénients, notamment le transport routier, ses conséquences dramatiques sur l’environnement et le nombre élevé des accidents de la route.

L'information en nuage est-elle une conscience collective, un niveau supérieur de l’humanité?

Le ton pessimiste de Robert Gordon peut aussi être interprété comme une sonnette d'alarme, un rappel du but fondamental d'une grande invention future qui serait d'améliorer l'existence quotidienne, de protéger l'environnement naturel et d'élever le discours des êtres.

Comment est-ce possible qu’au cœur de l’abondance persiste la misère de plus de 50 millions de personnes vivant dans des foyers en situation d’insécurité alimentaire, en particulier les ménages dirigés par des femmes dans le Sud des États-Unis et les centres urbains des grandes métropoles ? Et comment se fait-il qu’une relation confirmée dans les chiffres existe entre pauvreté et obésité ?  Et comment ne pas souligner l’impact de la pauvreté sur l’espérance de vie? Alors qu’en Europe, un système de protection sociale était déjà mis en place sous Bismarck dans les années 1880, comment expliquer que l’Amérique possède encore aujourd’hui le système de protection sociale le plus cher et le niveau d’espérance de vie le plus bas des pays les plus riches ?

A la recherche de mondes multiples ou parallèles? Utopie!

Il  est  remarquable de noter que l'espérance de vie ne s'était guère améliorée avant 1870 voire 1890.  Même les femmes avaient vu leur espérance de vie se dégrader en l'espace d'un siècle. Comment expliquer un tel bond en avant? Il semble que de nombreux facteurs y ont contribué : les progrès de la médecine, une meilleure nutrition, l'hygiène sanitaire, l'aménagement des eaux, les réglementations nouvelles concernant l'approvisionnement en alimentation et les services de santé, l’amélioration des conditions de travail et la diminution de la violence.  Même  les moustiquaires inventées dans les années 1870 y ont été pour quelque chose. Cependant l’embellie n'était pas générale mais dépendait des conjonctures sociales et des circonstances locales, notamment dans le sud des États-Unis.

Il  faut souligner cependant que même si la mortalité due aux maladies infectieuses est passée de 37 % à 2% de 1900 à 2009, dans le même temps, la mortalité due aux trois maladies chroniques (cancer, infarctus, maladies cardiaques) est passée de 7%  à 60%.

Les hôpitaux n’étaient pas subventionnés par le gouvernement ni ne faisaient payer les pauvres mais étaient financés grâce à de riches philanthropes et aux associations religieuses ou ethniques. En 1926, seulement 28%  des hôpitaux étaient la propriété du gouvernement fédéral ou local. Qu'est-ce qui accélère le coût de la vie? Trouve-t-on encore des docteurs qui offrent gracieusement leurs services aux pauvres ? On déplore depuis lors le coût des écoles médicales, le monopole de la collation des grades et des titres universitaires, comme celui du doctorat de médecine,  la hausse constante du coût des soins hospitaliers, des équipements de plus en plus onéreux et des spécialistes aux tarifs toujours plus exorbitants. Combien restent-ils de dispensaires et de cliniques gratuites pour les pauvres ? Combien inadéquate demeure l'assurance-maladie ? Aujourd'hui tout comme hier on évite de voir le docteur pour ne pas payer de frais médicaux. Quel est le nombre de personnes qui meurent faute de moyens ou qui se sont vu refuser des soins? 35 000 à 45 000 Américains entre 18 et 64 ans meurent chaque année parce qu'ils n'ont pas d'assurance-maladie, selon l'Université Northwest qui cite une étude parue en 2009.

 

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La vérité sur l’adaptation humaine

Publié le par Ysia

L’histoire de l’humanité regorge d’exemples, de situations ou de faits auxquels des peuples ou des hommes ont cru, dur comme fer, mais qui se sont avérés faux et qui, pour nous contemporains, auraient dû paraître erronés même alors. Les hommes ont souvent persisté dans des actes ou actions qu’ils ont cru viser l’effet escompté en dépit que, comme la science nous permet de le comprendre aujourd’hui, ces actes ou actions auraient inévitablement échoué. (Oliver Morton, The planet remade, p.130). Malheureusement, comme il est souvent le cas, une victime majeure des jeux politiques habituels est l’effort indispensable pour permettre à une population de s’adapter aux défis inexorables de la mondialisation ou, dans ce cas particulier, des changements climatiques. L’adaptation a de grands avantages sur les réductions des émissions de gaz de serre (connues dans les cercles politiques pour n’être que des mesures d’atténuation) dans la mesure où de nombreuses sociétés dans le monde ne sont pas particulièrement bien adaptées aux conditions climatiques actuelles. Les préparer à leur éventuelle aggravation future pourrait en fait être effectivement bénéfique ici et maintenant. (ibid., p.146). Cette obstination à refuser toute idée d’adaptation et la question des moyens financiers nécessaires à la préparation sur une grande échelle de certains pays en développement ont gravement affaibli la capacité de la communauté mondiale à s’attaquer aux changements climatiques.

Comment briser le cercle de la pauvreté? Le taux de réussite au baccalauréat n'a jamais été aussi haut en France alors qu'aux États-Unis, que faire des quelque 25% de jeunes qui ne finissent pas l'école secondaire, un nombre qui stagne depuis 1970? Alors que les États-Unis étaient les premiers autrefois s’agissant de la réussite universitaire, aujourd'hui ils ne sont plus qu'à la 15e place tandis que le prix des études universitaires ne cesse de grimper et est dix fois plus élevé qu'en 1950. Depuis trente ans, plus de femmes que d'hommes terminent leurs études universitaires. La femme américaine de moins de 30 ans gagne plus qu’un homme de la même tranche d’âge (à l'exception des trois plus grandes villes américaines). Depuis la récente récession, seulement une femme pour trois hommes a perdu en moyenne son emploi. Mais en dépit du plus grand nombre de femmes dans le monde du travail, la tendance s’est renversée depuis 2000 et l'écart des salaires entre Blancs et Noirs stagne depuis les années 1990 (Robert Gordon, The Rise and Fall of the American Growth).

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Psychologie environnementale

Publié le par Ysia

Est-ce que c’est vrai ce que l’on dit que la moitié du monde ne sait comment l'autre vit ? Rabelais l’écrivait  il y a cinq cents ans. La phrase fut reprise par Jacob Riis pour dénoncer de manière emphatique la triste condition de vie des immigrants européens arrivés à New York à la fin du XIXème siècle. Mais c’est une expression, pas  une exacte mesure des choses,  qu'il a utilisée pour dépeindre la situation des quartiers pauvres du sud de Manhattan en ajoutant que si la moitié du monde ne sait comment l'autre vit, c'est parce que ça lui est égal.

De Jacob Riis à Bob Adelman et JR, on a montré génération après génération l’autre face du monde, celle des ghettos, des favellas, des zones de bidonvilles. Jacob Riis n'était pas un économiste, mais il a eu la clairvoyance de souligner l'impact de l'environnement physique et social, familial et culturel sur les membres d'une population.

Il est clair, à la lecture du livre de Robert Gordon, que les conditions historiques et environnementales d'un pays ou d'une région donnée ont un impact certain sur l'évolution économique dans le temps.

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