Le mot n’est pas la chose
En dépit des deux découvertes majeures d'Abel daté de 3,5 millions d’années et de Toumai de 7 millions d’années, dont le paléontologue Michel Brunet est à l'origine, la genèse du genre humain est obscure du fait de la dispersion des données et de la sporadicité des ossements fossiles dans le temps et l'espace. Il semble qu'il ait connu une première évolution dont la preuve constatée sont les fossiles humains découverts après les plus vieux outils de pierre à partir de 2,6 millions d’années. C'est au cours de ces trois millions d’années que nous sommes devenus humains par un processus ascendant - des pieds à la tête - car c’est l’ancêtre doué de ses mains et debout qui a précédé le penseur. Les espèces sporadiques se sont tout autant succédées qu’elles ont cohabité de l'Afrique à l'Asie et l'Europe jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une, l'Homo sapiens.
En rétrospective, il apparaît qu'un modèle mental s'est instauré et a évolué au gré de l'ingénuosité humaine, de cause à effet. Le genre humain se caractérise par une longue période de l’enfance qui s'est allongée dans le temps permettant l'apprentissage et l'enseignement des connaissances acquises au fil des générations. Depuis le moment où l'Homo a développé des instincts carnivores, ses outils oldowayens il y a 2,6 millions d'années ont servi à dépecer avant l'adoption de techniques de fabrication plus sophistiquées, pierres de silex acheuléennes il y a 1,7 millions d'années. Premier omnivore diurne, l'Homo erectus a donné la preuve d'une incroyable endurance pour chasser et migrer vers l’Asie et l’Europe. De cause à effet... le cerveau en ébullition s'est emballé dans une fuite en avant fulgurante. C'est un apport de ressources energétiques nouvelles qui a alimenté l'évolution progressive du genre humain. Son ingénuité a créé les conditions nécessaires lui permettant d'extraire les ressources de son environnement et engager une nouvelle stratégie de vie. Deux détails sont à considérer: un dimorphisme sexuel impressionnant, comme le montrent les expositions des musées d'histoire naturelle, a toutefois diminué avec le temps passant de 20% à 8% de l'Homo erectus à l'homme moderne tandis qu'un commencement d'expression orale a découlé des transformations avérées du larynx chez l'Homo erectus. Sur les circonstances qui ont entouré la naissance de ce qui constitue aujourd'hui l'outil essentiel de communication de l'homme moderne, à savoir le langage, il y a toutefois en désaccord (The Evolution of the Human Head, p.477-520).
L'évolution du visage humain, aspect marquant de l'homme, a commencé il y a cinq cent millions d'années avec l'apparition des vertébrés et des traits distinctifs que sont les yeux, la bouche et le nez. Ce faciès, quartier général des sens, devint un peu plus expressif avec les figures poilues des mammifères, pourtant capables de quelques expressions faciales. Des mammifères aux primates, les visages nus montrent un plus grand éventail d'expressions avec six expressions faciales fondamentales et 20 expressions mineures pour l'être humain. Ce sont les multiples muscles faciaux qui donnent vie au visage. Peur, surprise, amour ou peine se lisent sur nos visages au point qu'il devient presque possible de deviner le caractère d'un être humain.
Trois hypothèses ont été retenues pour expliquer ce qui a été le moteur de cette évolution: une meilleure nutrition, le développement d'une ingéniosité nécessaire pour la recherche et la gestion des aliments et l'hypothèse du cerveau social que soutient Adam Wilkins dans le livre Making Faces :The Evolutionary Origins of the Human Face, Harvard University Press, 2017.
Chaque nouvelle découverte apporte son lot d’interrogations nouvelles..
Si la fabrication d’outils par les hominidés a commencé il y a 2,6 millions d’années, il a fallu longtemps pour maîtriser les facultés motrices et cognitives mises en cause et ainsi allier le geste à la pensée. Les premières industries soulignent un processus ayant pour aboutissement la création d’un produit fini et implique l’acte de volition. La volonté, voire velléités, est une manifestation primitive de l’être. Toutes les variations de l’organisme s’expliquent par l’usage et le non-usage, sous la pression de l'environnement, de ce potentiel biologique, moteur ou culturel, confirmant l’intention première de l’être préhistorique. La coordination entre le geste et la pensée implique la capacité innée d’emmagasiner l’information et de la reproduire dans un but utilitaire.
Le cerveau est une éponge qui s’imprègne du fluide de la connaissance. La conscience est sans cesse en évolution du néant à l’infini. Le facteur génétique explique l'architecture crano-faciale, en particulier deux gènes ont été identifiés comme essentiels dans la formation des traits du visage.
Mais c'est ce cerveau social qui m'intrigue davantage aujourd'hui.
Au cœur du paysage sonore aux allures de laboratoire scientifique, quatre paramètres successifs, à présent concomitants, ont marqué la vie sur terre depuis l'apparition des premières cellules à l'avènement des civilisations: évolution, développement, apprentissage, influence culturelle. La culture est un phénomène social qui dépend de la façon dont les humains se comportent et agissent les uns envers les autres (Human Head, Harvard University Press, 2011, p.2). Ces quatre caractéristiques découlent naturellement l'une de l'autre jusqu' à former aujourd'hui un ensemble complexe interdépendant. La vie a pris origine il y a 3.8 milliards d'années environ, mais les circonstances précises qui ont conduit à l'apparition des premières formes de vie sont inconnues. Il est improbable qu'il y eut un commencement clairement défini car l'évolution passe par une kyrielle de boucles cycliques (ibid. p59). Comment un est devenu deux? Si une forme génétique élémentaire a commencé à se reproduire par la coopération et la persistance de ses éléments la composant, chaque changement dans la position des nuages de population correspond à une modification de la composition génétique des espèces. Plus l'espace occupé s'étend, plus les possibilités génétiques se multiplient sur deux échelles de grandeur, l'infiniment petit et l'infiniment grand, du fait de l'adaptation et de l'interaction des éléments qui y résident. Variation, persistance, renforcement, concurrence, coopération, richesse combinatoire et récurrence sont les sept clefs de la vie. Pourquoi parle-t-on de nuages de population? Les êtres tels des nuages flottants se sont dispersés sur la terre sous l'émission et la transformation de la lumière créatrice. C'est le temps qui régit notre vie passée et future. N'est-ce pas la date d'apparition des zébrures sur le corps de l'embryon qui décide de l'apparence du zèbre ?
De petits groupes d’êtres humains aux regroupements en villages et villes, en royaumes de plus en plus importants sous un chef puissant, un emblème, caractérisés d’un fétichisme latent. Des luttes entre individus aux combats entre communautés à la création par les vainqueurs de pays-nations.
Ce sont les interactions entre les êtres humains qui aiguisent et développent l'intelligence et par là même contribuent à l'accroissement de la taille du cerveau et à l'élargissement du front. Les yeux se sont rapprochés, le museau a cédé la place au vestige résiduel du nez et la mâchoire s'est rétrécie.D'un groupe au nombre restreint d'individus, une centaine peut-être, parti d'Afrique à la conquête du monde d'abord avec les espèces humaines plus anciennes puis avec les Homo Sapiens au village planétaire où les interactions entre les êtres se multiplient, s'accélèrent et s'intensifient, quel sera le devenir du visage humain?
Quelle est la prochaine étape ? L’apparition d’un nouvel ordre mondial. La plus grande menace qui pèse sur le devenir de l’humanité est la concentration du savoir entre les mains de privilégiés et la confiscation des connaissances. Ce n’est pas la peur de la connaissance qu’il faut craindre mais la peur du néant dans lequel les âmes perdues, dépouillées de certitudes plongent. La peur de reconnaître la fragilité de nos valeurs et l’incapacité de certains à accepter le doute. Le compas de la vérité, c’est l’humilité. Si la réalité n’est pas ce qu’elle est ? La question n’est pas « qu’est-ce que c’est » mais comment et pourquoi ces apparences trompeuses ? Par quels subterfuges sommes-nous rendus aveugles ? Quel est ce voile qui masque la réalité de l’existence ? Ce voile réside dans l’inconscient, dans les neurones et les synapses du cerveau.
S'agissant de l'exploitation par l’être humain de ses capacités innées, l’article sur l’anthropologie psychoanalytique reconnaît la place de l’ouïe dans le cheminement de l’artiste de la préhistoire et comment le jeu des sons a favorisé son adaptation dans le milieu sombre des cavernes. De la pierre taillée à la pierre polie, l’artiste des cavernes fait penser à un animal cavernicole à l'aube de sa conquête du milieu épigé sur la route de son évolution biologique. Mais à l’opposé de cette faune soumise à une évolution régressive, l'homme évolue dans le sens de l’ouverture, preuve de la capacité d’expansion et de complexification de la nature humaine. Nonobstant les technologies et la culture dans laquelle baigne l'homme moderne depuis sa naissance, ne peut-on s'émerveiller de l'ingénuosité des artistes des cavernes peut-être égale, même si différente, à la nôtre ?
Pourtant depuis quelque 20 000 années (12 000 d'après The Evolution of the Human Head), le cerveau se rétrécit.Une thèse pour expliquer cette tendance amorcée est le fait que les hommes vivant en société font face à des circonstances beaucoup plus favorables que l'homme préhistorique, ce qui aurait provoqué la lente diminution de la taille du cerveau. Peut-être serons-nous un jour semblables à des sauropodes aux corps élancés surmontés de longs cous et de petites têtes.
Ce décroissement surprenant, Richard Wrangham l’explique autrement : elle est due à la diminution de l’agressivité chez homme.
On peut craindre cependant que la tendance se soit une fois de plus renversée depuis les temps coloniaux, selon Richard Jantz. Faut-il alors redouter avec elle, une recrudescence de l'agressivité humaine ? A suivre.