La Nature du temps

Publié le par Ysia

Un sentiment étrange m’envahit dans un aéroport comme si le temps était suspendu et quand je voyage d’une ville à l’autre, mon corps et mon esprit semblent désarçonnés comme s’ils cherchaient à s’ajuster à une autre réalité, un autre univers, un autre espace-temps. Portland par son non-conformisme, ses coopératives de crédit, ses cinémas à un prix modique et ses films indépendants jusque dans l’aéroport me semble aussi, subjectivement, un lieu où le temps s’est figé.

Carlo Rovelli est un chercheur éminent dont le domaine de compétence est la gravité quantique. Il tente présentement de calculer la durée du rebond d’un trou noir. Poète, il déclare que la poésie est peut-être l’une des racines profondes de la science car elle aide à voir au-delà du visible.

Pour lui, l’univers s’articule en une infinité de processus en mouvement qui convertissent des quantités physiques dont il devient possible de calculer les probabilités et de déterminer les relations entre elles (p.195).  Dans son livre intitulé The order of time et paru en 2018 (Riverhead books), il explique que l’univers est pareil à une superposition de strates qui s’influencent et se chevauchent l’une l’autre. Chacune des parties de cet univers interagit avec une petite portion de toutes les variables dont la valeur détermine l’état de l’univers quant à ce sous-système particulier (p. 155).  Les physiciens appellent « champs » les fils du tissu de la réalité physique universelle. Il y a le champ électromagnétique de quoi est fait la lumière. Il y a le champ gravitationnel, texture du temps et de l’espace, sur lequel  s’imprime l’univers. L’espace-temps est ce champ gravitationnel qui fléchit, s’étire. Distendu, le champ spatio-temporel est une entité dynamique et concrète mais surtout dépendante du reste,  dans laquelle les distances s’allongent ou se contractent comme un ruban élastique. Le temps complexe et multicouche, qui tisse la toile d’une géométrie complexe entremêlée à celle de l’espace, forme le lien entre conscience et univers. Le temps qui est la forme sous laquelle nous interagissons avec l’univers est la source de notre identité (pp.197-198).

Akim Farrow, Reed College, Portland

Akim Farrow, Reed College, Portland

Carlo Rovelli énonce les caractéristiques de l’espace-temps : Il y a la granularité qui se manifeste dans les particules de lumière, dans l’air et la matière la plus dense sous la forme de particules élémentaires, de photons ou de quanta du champ gravitationnel à l’échelle de Planck. Il y a l’indétermination. Comme un électron  qui apparaîtrait à un point ou à un autre sans position précise, le champ spatio-temporel est un quadrillage invisible formé d’espaces temporels dans lesquels ni le passé ni le présent ni le futur ne constituent des compartiments cloisonnés, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de définition universelle du fait de l’évolution constante de la relation entre les évènements qui surviennent.  Chaque objet ou fait dépend du cadre temporel et spatial  imprévisible, ni directionnel ni linéaire,  dans lequel il est observé.  Et c’est de cette imprévisibilité que découlent les probabilités de la relation étroite entre l’espace-temps et les objets physiques sous la forme desquels il interagit (p.89). L’espace et le temps sont les approximations d’une dynamique quantique (pp.127-128). A un niveau fondamental, l’univers est composé d’un assemblage de faits relativement  ordonnés dans le temps qui révèlent la relation avec des variables physiques. C’est ce frottement irrésistible qui provoque les évènements dans l’univers et écrit l’Histoire.

L’évolution du cosmos suit un processus de désordre. L’univers dans son ensemble est pareil à une montagne qui s’effondre au ralenti, comme une structure qui s’émiette graduellement. Pour que le passé laisse des traces, il faut que quelque chose s’arrête, s’immobilise dans son mouvement, dans une perte irréversible d’énergie, une baisse d’entropie. Temps et énergie sont interdépendants. L’énergie gouverne l’évolution temporelle d’un système.  Carlo Rovelli explique que l’entropie quantifie notre incertitude et  n’est rien d’autre que la somme des états microscopiques que notre vision embrumée et  notre perception imparfaite ne peuvent discriminer (p.34).

Mais le mystère de la relation entre deux évènements, l’un passé l’autre futur est-il le fait de notre incapacité à le démêler dans les présentes limites de nos connaissances ? Ce que nous commençons à comprendre, c’est que notre cerveau opère sur la base d’un ensemble de traces laissées par le passé sur les synapses, lieu de jonction entre nos neurones,  qui se forment à l’infini et se défont, laissant derrière elles une vague réflexion de ce qui a causé une empreinte par le passé sur notre système nerveux. Notre cerveau est une machine à remonter le temps parce qu’il se  souvient du passé pour prédire l’avenir, le mesure,  perçoit son passage et voyage dans le temps (Dean Buonomano, Your brain is a time machine, Norton & Company, 2017). L’existence de l’espace-temps définit « quelque chose » qui nous semble à la fois évasif et capricieux et qui existe au-delà de notre propre entendement. Le temps n’est ni unique ni absolu. Il se manifeste dans la mutation des êtres animés et inanimés. Parler du « quand » et du « où » implique nécessairement une relation avec le « quoi » (Carlo Rovelli, p.76-77). C’est  par l’extension de ses effets que nous mesurons le temps écoulé. Le temps et l’espace ne sont pas des phénomènes illusoires mais ils sont relatifs. Selon Einstein, on a tous été en proie aux doutes quant à la réalité de ce que nous avons vécu. Le cerveau s’applique à ranger conceptuellement les expériences dans les archives de sa mémoire en dissociant les souvenirs passés des expériences vécues dans le présent.

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