L'ordre du temps
Il serait plus exact d'utiliser la métaphore du treillis plutôt que de l'arbre pour décrire le génome humain vu les innombrables croisements au fil du temps. Les similarités génétiques s’expliquent par les mélanges de population successifs. Les groupes génétiques de population sont eux-mêmes aujourd’hui les fruits du mélange de populations très différentes qui ont autrefois existé. Le livre de David Reich se lit comme un travail de détective pour mieux comprendre les détours et culs-de-sac par lesquels l’évolution des hominidés est passée. Son objectif est de retracer leur parcours, de retrouver les populations fantômes qui ont arpenté la Terre, c’est-à-dire celles qui pourraient expliquer le lien génétique entre divers groupes de population ancestraux séparés géographiquement. Chaînons manquants, trous noirs génétiques dont les restes en Afrique, en Asie ou en Europe donnent la preuve de la cohabitation et mélanges épisodiques. Ce qui est certain, en Afrique comme ailleurs, le modèle de l’arbre de l’évolution dans lequel les populations aujourd’hui seraient inchangées et séparées à chaque nouvelle branche est obsolète. En vérité, la vie a suivi des cycles de mélanges et de ruptures, ce qui laisse à s’interroger sur le devenir de l’humanité.
Il y a eu tant de mouvements migratoires et d’extinctions de populations qu’il est dans la plupart des cas difficile de réécrire les détails des faits démographiques anciens simplement à partir de l’ADN des populations actuelles. Le seul moyen à ce jour à notre disposition est de comparer l’ADN ancienne de restes retrouvés avec celui des groupes de population qui sont demeurés plus isolés et séparés du reste des hommes, notamment les pygmées d’Afrique centrale, les chasseurs-cueilleurs San de la pointe sud de l’Afrique ou encore la population Hadza de Tanzanie. En Afrique, berceau de l’humanité, les séquences du génome offrent une diversité environ un tiers plus grande que dans le reste du monde non seulement au sein des populations africaines mais aussi entre elles.
Trois options ont déterminé l'évolution de l'espèce Homo : l'extinction, le déplacement et l'adaptation. Entre éruptions volcaniques et périodes glaciaires, la capacité d’adaptation face aux catastrophes naturelles et changements climatiques a été la cause fondamentale du devenir des hominidés. Il y a 50 000 ans, quatre importantes tendances migratoires ont marqué l'histoire des premiers hommes modernes : le déplacement hors de l’Afrique et vers l’Eurasie, l’expansion des chasseurs-cueilleurs en Europe d’abord des aurignaciens puis des gravettiens, l’expansion magdalénienne et enfin la migration lors de la période chaude du Bölling/Alleröd.
Il y a plus de 50 000 ans, une population vivant dans la région septentrionale de l’ Eurasie était l'une des populations ancestrales primordiales. Une partie a migré vers l’est à travers la Sibérie et le détroit de Béring pour donner naissance à la population amérindienne, une autre vers l'ouest pour faire partie de la population dans le sud de l’Europe (p.79-80). C’est sur la base d’une reconstruction statistique que l’existence de populations fantômes est inférée. On sait ainsi que les Amérindiens descendent en fait du croisement de deux populations, l'une venant d’Asie de l’Est et l'autre de l’Ouest de l’Eurasie.
On sait encore que les habitants de l'Asie de l’Est sont plus proches génétiquement des anciens chasseurs-cueilleurs d’Europe que des ancêtres de la population européenne actuelle par le biais d’une population fantôme dite basale eurasienne qui a contribué au quart de la composition génétique ancestrale des populations de l’Europe et du Moyen-Orient.
C’est la sédentarisation des populations avec l’agriculture et la domestication du bétail il y a environ 11 000 - 12 000 ans qui ont favorisé une plus grande homogénéisation des populations. Et c’est d’une certaine façon un autre modèle d’homogénéisation qui prend place aujourd’hui avec les révolutions industrielle et de l’information.
Le passé a montré que la période actuelle n’est pas plus extraordinaire au regard des grands mouvements de fond qui se sont succédés. Et dans un grand nombre de ces faits démographiques au cours de l'évolution, le leit-motiv est l’accouplement de deux catégories : les mâles jouissant du pouvoir social dans une population, les femelles dans une autre (ibid., p.231 et autres références notamment en Europe de l’Est, en Inde, en Colombie et aux Etats-Unis p.137).