L'être humain écartelé
Il y a un paradoxe, une tâche impossible qui peut être transcendentalement compréhensible et laissée à d’autres le soin de la comprendre. Bien que nous ne connaissions du néant que son absence, lorsque la matière finit par disparaître, j’ai le sentiment que le néant devient non seulement un concept mais une présence intemporelle.
Si tout ce qui compte est ce que nous vivons, comment pourrions-nous vivre le néant ? Le néant est le creux entre deux crêtes d’une vague. Il est déjà passé alors que mon fil de pensée continue. Il nous donne le vertige comme si le lieu du néant était logé à l’intérieur de nous. Intérieurement, on a l’impression que le cœur doit s’arrêter pour en faire l’expérience. À l’intérieur et à l’extérieur, c’est le passé tout en étant toujours notre destination. Étourdie et perdue, notre âme est aspirée dans un trou noir.
Chaque article tente de compléter une idée ou de rediriger une opinion. Il devient un addendum à un article précédent comme une série de fractales. Mais les batailles que nous menons ne se limitent pas au royaume des mots. Les ombres sont triples. Elles obscurcissent le monde physique, entravent notre compréhension de l’Univers et affaiblissent le fondement même de notre expression. Le verbe ne peut nommer des entités cachées dont il n’a pas l'expérience.
L’histoire de l’Univers se déroule comme une vague qui disperse la matière émergente. Elle en combat le sentiment d’isolement en inscrivant dans l'espace le temps. Elle plante localement ressentis, conscience et connaissance. L’espace prend un rôle divergent tandis que le temps joue celui de la convergence parce qu'il se fond dans la nuit. Le bruit qui agit sur le système quantique et sur lequel le système quantique agit en retour est la voix du temps. Le temps et l’Univers quantique parlent énigmatiquement. Une fois couplée à la masse et au volume, la voix se perd dans sa traduction. Les fréquences qui amplifient et se multiplient créent le chœur du temps.
En apparence, l’Univers semble très compartimenté dans la façon dont l’information est stoppée dans son élan sur les lignes défensives entre les émetteurs et les récepteurs. Kitarō Nishida dirait cependant que le soi est incapable de déterminer sa propre existence à partir de lui-même. C’est l’environnement objectif et le réseau connexe de relations multidimensionnelles dans lequel il est intemporellement piégé qui confèrent sens et identité à l’individu (objet individuel).
En marchant vers le lever du soleil, laissant derrière moi la pleine lune, j’essaie de vider mon esprit de toutes les redondances. L’analyse de notre processus de pensée est une partie essentielle de notre chemin. Il faudrait survoler le nid d’entrelacements mentaux comme un pygargue à tête blanche et ainsi avoir une vue d'ensemble sur la réalité dont l'esprit est le miroir. Le dilemme auquel nous sommes confrontés entre notre vision matérielle de l’Univers et la quête que nous portons en nous d’un miroir transcendantal rend incertains nos efforts et les choix que nous devons faire.
Notre histoire ne se résume pas à l'aspect physique. Il se peut que tout ce que nous savons du caractère intrinsèque de l’Univers dérive du métaphysique. Mais l’étude du non-être n’a de sens pour la science que si elle révèle de quelque chose. Nous sommes engagés dans une quête d’absolus alors que tout ce que nous ressentons, voyons et touchons est relatif. L’extension technologique de notre portée visuelle et auditive nous permet d’accéder à l’inconnu et de combler les lacunes de notre esprit.
Comment l'humanité, bâtie sur son extension considérable dans le temps et sa place insignifiante dans l'espace, peut-elle entrer dans une nouvelle ère de connaissance ? C'est en reconnaissant que, bien que nous soyons des êtres physiques, notre nature a une dimension infiniment métaphysique. Steven French décrit deux types de réalisme structurel : l'un épistémologique (« tout ce que nous savons est structure ») et l'autre ontique (« tout ce qui existe est structure »).
Notre esprit s'appuie sur une pyramide de termes d'ordre structurel pour construire une image de l'Univers. Stathis Psillos résout l'opposition entre les deux points de vue en définissant le réalisme métaphysique - dans sa version la plus forte - comme l'affirmation selon laquelle l'Univers est plus que sa structure, « et ce plus - le X - peut être connu ». Il existe un continuum dimensionnel supérieur dont le point d'origine défie notre imagination et notre raison.
Le néant rencontre l'être dans l'univers quantique où les noms ou les étiquettes sont « obscurcis par les descriptions globales pertinentes en termes de fonctions d'onde ». Erik Verlinde a en tête une reconceptualisation fondamentale lorsqu'il décrit l'émergence de notions « macroscopiques » d'espace-temps et de gravité à partir d'une description microscopique sous-jacente dans laquelle elles n'ont pas de signification a priori. Les noms, les étiquettes, les notions et leur sens tentent de suppléer la connaissance mais l'espace-temps et la gravité quantique jettent des ombres sur le monde physique. Du simple fait qu'ils sont dits émergents, ils présupposent une temporalité.
Le débat sur les principes fondamentaux régissant les relations causales de l’Univers appelle à un mouvement vers le haut, un toit sur la maison théorique du tout sous lequel des cercles d'éléments fondamentaux exécutent leur danse. Trois tourbillons entrelacés s’échappent du toit et un arbre physique pousse de l’intérieur. Le temps, l’Univers quantique et le néant sont les volutes universelles.
En coupant à travers les cercles corrélationnels, le temps s’échappe de l’anneau initial, glisse vers le haut, laissant derriere lui l’espace et la gravité. Le temps est une expression vernaculaire de tout ce qu’il représente : la simultanéité et l’intemporalité. L’Univers est un arbre physique et ses limites sont des murs de concepts fondamentaux. En dehors de l’esprit et objectivement, les limites fixées par l’Univers, dans lequel nous existons, ne sont pas celles d’un absolu. Au-delà du cadre physique empirique, l’esprit se fraye un chemin à travers le néant de la même manière que le corps se meut dans l’espace.
Plus les théories sont élaborées, plus elles deviennent complexes. J’aimerais que ce soit plus simple. Si c’était le cas, les patchworks de lois et de théories s’effondreraient comme un château de cartes et laisseraient à nu un sentiment renouvelé de conscience unifiée. Une explication plus simple est une description relationnelle, peut-être une théorie de la sélection naturelle appliquée non seulement à la vie elle-même mais à l’Univers dans son ensemble. Notre Univers est membre d’un multivers dans lequel les trous noirs agissent comme des cellules reproductrices.
Il serait utile d’avoir un aperçu de l’horizon lointain et de voir où tout cela va. Une théorie relationnelle permettrait de préciser les formes à attacher aux supra-individus et les aspects relationnels qui continueront à les lier, mais elle pourrait manquer de précision en partie à cause de notre connaissance, encore imparfaite, du processus. La précision de nos prédictions concernant l’évolution des individus se heurte à un mur.
Le bruant à gorge blanche est sorti de l’ombre. Son sifflement comble l'absence spatiotemporelle qu’il avait laissée derrière lui il y a quelques mois à peine. Les ombres sont comme des reflets dans le rétroviseur d’objets en mouvement rapide. Si l’imprévisibilité est la norme, l’Univers pourrait être purement utilitaire. Les objets individuels n'auraient qu'une valeur instrumentale limitée dans le temps et basée sur les besoins du moment. Nous continuons cependant à croire que le passage du temps aidera à faire la lumière sur les individus et sur ce qui va au-delà de leur physicalité.