Mélanges de formes
Quelle est la structure spatiotemporelle de l’Univers ? À travers le miroir, il y a un élément de prédestination dans ce qui est « relationnel » et un élément de libre arbitre dans ce qui est « intrinsèque ». L’autodétermination et la prédestination s’appliquent à l’histoire de l’Univers. Ces variables relationnelles exprimées dans la dynamique intrinsèque de l’Univers forment des rapports sans dimension aux variations infinitésimales. Lorsque l’un d’eux change, ces rapports changent collectivement. Puisque le futur chevauche le présent et le présent fond dans le passé, l’origine est cachée dans l’absence d’interactions entre les particules au plus profond de la première étincelle de l’état volitif de l’Univers.
Le secret de la topologie temporelle précède le règne de la matière pendant lequel d’innombrables degrés de liberté fusionnent sous nos yeux en une réalité tridimensionnelle. C'est dans ces premières empreintes lointaines que l'Univers exprime son libre arbitre, libère l'énergie et introduit des variables dans le mélange des formes. Le rapport entre la courbure de l'espace et la courbure de l'espace-temps est lié à la gravité.
Assis sur la colline autour d’une marmite de principes fondamentaux, les esprits des poètes défunts débattent à l’aube au son du chant d’une tourterelle dite triste. Experts dans l’art de formuler des vœux, leurs voix envoient des ondes qui flottent plus haut dans l’espace que le chant des grillons au ras du sol. La visualisation directe et la représentation abstraite sont ce qu’ils comprennent le mieux.
Edgar Poe parle de visions de la nuit noire tandis que John Ashbery, appelant les autres, demande : « Que dire du libre arbitre et de la prédestination, sans parler d’autodétermination ? Comment est-ce qu'ils s'enchevêtrent ? ». Certains restent silencieux. D’autres louent la beauté de la liberté et de la nature sauvage. Walt Whitman parle de la Loi irréductible à laquelle nous n'échappons, paradoxalement, que pour accéder à une liberté authentique.
Si pour certains, libre arbitre et prédestination relèvent de deux systèmes de pensée opposés, pour d’autres, ils sont étroitement liés. Dans l’espace-temps, le présent dans lequel nous nous trouvons est choisi parmi d’innombrables chemins qui s’offraient à nous. George Eliot parle de la route sinueuse que nous empreintons comme si elle était « faite par le libre arbitre des arbres et des sous-bois ». Les poètes pour qui la sensibilité et l’intuition sont le seul canal de communication avec l’Univers voient les étoiles et les concepts comme une seule et même chose.
Le fou sur la colline, assis à leur côtés, a rejoint les poètes défunts et demande si le moi peut échapper à son identité prédestinée ? Charles Baudelaire, qui est désormais pleinement conscient de l’unidirectionnalité de la flèche du temps, répond depuis la tombe:
« Pour que la loi du progrès existât, il faudrait que chacun veuille la créer ; c’est-à-dire que, quand tous les individus s’appliqueront à progresser, alors, et seulement alors, l’humanité sera en progrès.
Cette hypothèse peut servir à expliquer l'identité des deux idées contradictoires, liberté et fatalité. Non seulement il y a, dans le cas de progrès, identité entre la liberté et la fatalité, mais cette identité a toujours existé.»
J’ai lu, cependant, que le libre arbitre est une illusion née de notre expérience fréquente de vouloir faire quelque chose et d’y parvenir. Pour que cette loi du progrès existe, en quoi consiste notre vœu de la créer ? Chaque pas en avant dans le flux des pensées est un exercice d’équilibre entre la non-localité et la causalité. Ce vœu peut être envers soi ou envers les autres.
Thomas, le yogi, qui reste assis en silence et repousse avec diligence le brouhaha incessant de ses pensées, ressent aussi le besoin de formuler des vœux. Pour lui, c’est un acte de générosité, lorsqu’il rencontre d’autres personnes et leur souhaite bonne chance, lorsqu’il souhaite que le changement climatique s’inverse et que les plantes et les créatures ne disparaissent pas. C’est une composante inhérente de la conscience, dit-il, bien qu'il n'ait aucun moyen de savoir quel effet ont produit les vœux « parce qu’ils ont traversé le temps et les distances bien au-delà de sa présence physique », de manière similaire à l’effet papillon.
Les concepts philosophiques pénètrent le monde physique à travers le réseau complexe de la géométrie et de la matière. Un choix libre ne peut être qu’aléatoire. Mais si un choix libre peut produire n’importe quel modèle par simple hasard, alors l'existence d'un tel modèle devient prédestiné.
Le libre arbitre et la prédestination forment des fractales irrégulières. La matière et la géométrie interagissent généralement sur un pied d’égalité, mais pas à proximité du Big Bang et dans les trous noirs où la géométrie a le dessus. Loin du Big Bang surviennent des rebondissements géométriques. Les particules massives en chute libre suivent des géodésiques temporelles dont le chemin est déterminé par la courbure et la structure causale de l’espace-temps qui les entoure « non seulement en avant et en arrière dans le temps, mais aussi dans les trois directions de l’espace ». Comme les géodésiques voisines s'éloignent de l'environnement spatial qu'elles avaient partagé, elles ne peuvent plus se parler. Au-delà du visible, le silence asymptomatique des géodésiques fait écho au silence de l’intrication quantique.
L'Univers est l'œuvre du temps, alors que notre connaissance de celui-ci est retardé comme si elle suivait une trajectoire différente. Les fractales impliquent des modèles et des fluctuations invariables. Mais à une certaine distance indéfinie, l'Univers est plus inhomogène et anisotrope que nous l'imaginons. Ses irrégularités continuent d'échapper à notre capacité de prédiction.
Les variables relationelles sont multiples et s'étendent à l'infini. Les relations sont intentionnelles ou accidentelles, quantitatives ou informationnelles. Elles se situent dans la dimension tant physique que spirituelle. En considérant les expressions 0/1 sous un angle différent, le moment cinétique de l'Univers relationnel « est et reste à jamais exactement zéro » tandis que la constante de la courbure de l’espace par rapport à la courbure de l’espace-temps est proche de un. De zéro à un, ce moment cinétique passe par une série de faits successifs, une chaîne de relations intriquées.
Les rêves tracent un chemin par lequel la providence pénètre l'univers physique. Un poète rêvant d’une rencontre fortuite avec l’esprit d’un ami au visage ridé sent la présence conjointe du passé, du présent et du futur tandis que ces mots lui sont soufflés à l’oreille : « Il n’y a que des formes mélangées qui s’étirent dans le temps, émergent dans l’espace, éclatent symphoniquement, car le temps glisse, transparent. Les formes, les ondes, la matière – tout pointe au-delà et s’engage dans des murmures profonds à travers l’espace-temps. »