Apprivoiser l'Infini
Certaines fleurs fuient la lumière, cachées au ras du sol sous les feuilles épaisses du podophylle pelté. D’autres, à l’extrémité des tiges, rivalisent d’élan pour s’élever au-dessus de tout. L’esprit, sur ses gardes, s’introduit dans chaque brèche. Il rampe dans chaque creux et se faufile dans chaque interstice, espérant un face à face avec le néant.
L’Univers, tel que je le vois, s’est révélé en s’exprimant. Il y a un « ordre » dans la façon dont les éléments d’information qui s’autoalimentent construisent des connexions croissantes au sein d’un cadre conceptuel général. Plus l’esprit humain tente de percer l’épais brouillard des concepts et d’examiner les relations entre tous les objets, plus l’intuition et la visualisation s’affinent. La forme générée par l’Univers est une réalité structurelle qui suit des lignes visibles et invisibles, comme la symétrie de rotation d’un plan autour d’un point.
Apprivoiser l’infini évoque l’image d’une longue marche sur une route sinueuse qui serpente entre des flaques d’eau et qui s’éloigne de l’œil de l’observateur pour disparaître à l’horizon. C'est une rivière qui prend sa source en amont, coule en méandres, traverse des lacs et descend en cascades pour irriguer la Terre.
Comment une ligne infinie, une route creusée dans l’air, peut-elle aller du passé au futur ? Si le temps est quelque chose qui s’ajoute à l’espace, il s’agit d’un espace en boucle infinie. Des particules aux objets astronomiques, où que nous allions, il y a circularité et des rondes tracées. Bien que la circularité des particules soit plus facile à déterminer que leur sphéricité, une « sphéricité presque parfaite » est à l’origine de toute structure dans l’Univers, soutient Julian Barbour. Des amas de particules ou de matière ont formé des zones circulaires. Apprivoiser l’infini signifie apprivoiser le flux du temps et toutes les choses qui s’y trouvent, une à la fois.
L’émotion du temps naît de la manifestation organisée des ressentis animés. Il est peut-être possible d’apprivoiser l’infini si nous considérons l’espace-temps comme un espace relationnel. Les occurrences sont nécessairement relationnelles sur un champ quantique ou dans un hyperespace dynamique comme l’Univers observable.
Les formes des objets apparaissent comme des propriétés fondamentales. Le « rien » est ce qui précède la mesure de ce qui est produit. Julian Barbour le qualifie de nombre le plus important de l’Univers. Il définit la « proportion de l’énergie cinétique totale qui change de forme et donc modifie – en fait, augmente – la quantité de structure dans l’univers ». On dit que les nombres présentent deux faces. L’une est algébrique, l’autre topologique. Si une sphéricité presque parfaite décrit initialement l’espace topologique, la mesure de ce qui le compose en est l’image algébrique.
Une perspective relationnelle est mise en évidence dans la théorie causale de la connaissance de Lee Smolin. Il propose que l’Univers soit constitué de perspectives visuelles présentant des informations sur l’énergie et l’élan transférés à une occurrence à partir de faits passés causaux. Dans une formulation particulaire, écrit-il, c'est le quadrivecteur énergie-quantité de mouvement qui coïncide ou interagit lors de l'occurence.
Cela me ramène à Whitehead et à l’existence des phénomènes de ressentis au sein d’un univers intrinsèquement expérientiel dans lequel chaque élément possède son point de vue particulier. Les occurrences dans les interactions de particules ont dessiné les contours d’une sphère de forme.
D’une sphère de forme à la sphéricité de la Terre et du Soleil, l’Univers est-il lui aussi une sphère parmi d'autres qui se frottent contre l’autre, tentant de se faire une place au sein d'un multivers? Mais l’Univers, nous dit-on, est plat.
La façon dont les choses s’emboîtent et dans quelle mesure elles s’imbriquent est une question de perspective. Nous ne pouvons qu'en observer les résultats physiques, qu’ils soient de forme sphérique, ellipsoïdal ou tout autre objet de forme muldimenstionelle.
Van der Waerden aurait déclaré qu’Emmy Noether « ne travaillait qu’avec des concepts », soulignant le principe de détachement qui caractérisait son travail dont la contribution marque un tournant de l'étude des objets mathématiques particuliers à l'établissement de connexions conceptuelles plus générales. Elle expliquait dans son article de 1918 intitulé Invariant Variation Problems que par « groupe de transformations », on entend un système de transformations tel que pour chaque transformation, il existe un inverse contenu dans le système, et tel que la composition de deux transformations quelconques du système, à son tour, appartient au système.
A chaque propriété d’invariance ou de symétrie des lois de la nature ou d’une théorie proposée correspond une loi de conservation et vice versa. Cela signifie, je crois, l’invariance relative des propriétés, l’existence d’une codépendence entre les formes des objets et l’espace qu’ils couvrent même lorsqu'elles se déforment.
L’invariance d’échelle mène à une absence d’échelle, l'aspect sans dimension de l’Univers. Christof Wetterich propose qu’une théorie quantique fondamentale des champs n’impliquerait aucun paramètre intrinsèque de dimension, de masse ou de longueur. C’est ce que signifie l’invariance d’échelle fondamentale.
Quant à moi, lorsque j’entends le mot invariance, il rime avec le mot convergence… Ce qui est variationnel s'emboîte avec ce qui est invariant dans l'alliance entre les occurrences et les objets.
L'image poétique est en effet essentiellement variationnelle. Elle n'est pas, comme le concept, constitutive. Sans doute, la tâche est rude - quoique monotone − de dégager l'action mutante de l'imagination poétique dans le détail des variations des images
Au début, une impulsion venue de « rien » a déclenché des étincelles d’énergie. Nous nous demandons si ces étincelles apparaissent avant tout cadre relationnel. Philip Morison, pour sa part, écrit que l’Univers est, à la base, modulaire. Son plus petit dénominateur est une particule ou un quantum. Les objets ont des propriétés dispositionnelles dans les limites de leurs degrés de liberté internes et externes. C’est peut-être la raison pour laquelle la dynamique des formes adopte une approche relationnelle envers les objets. Comme pour l’orbite de la Lune, la révolution de la Terre, l'agrégation des nuages moléculaires, et l’expansion de l’Univers, un relationnalisme spatial et temporel a été initié et maintenu dès le début, puisse-t-il être de forme sphérique.
Dans un labyrinthe d’abstractions, le temps est-il quelque chose ajouté à l’espace ou l’espace quelque chose ajouté au temps ? Au-delà de la transformation et de la différenciation, que reste-t-il de l’identité des choses ? L’invariance, plus communément appelée constance, détermine le flux intemporel.
Elle définit l’uniformité, l’homogénéité et l’isotropie de l’espace-temps. L’invariance caractérise la fluidité des occurrences. Elle souligne une relation qui dure dans le temps. Elle témoigne aussi d'un comportement qui se rapproche du non-agir, de l' inaction, d'un principe de détachement volontaire de la philosophie taoïste. En substance, le « rien » est-il un état relationnel sans relata?