L'inconscient est une grotte
Ce n'est pas devant toi que je me suis prosterné, c'est devant toute la souffrance de l'humanité. (Dostoïevski, Crime et Chȃtiment)
Sainte-Catherine et son ombre débattent avec l’être anthropomorphe du sens de la vie
Chacun de nous appartient à la société autant qu'à lui-même. Si sa conscience, travaillant en profondeur, lui révèle, à mesure qu'il descend davantage, une personnalité de plus en plus originale, incommensurable avec les autres et d'ailleurs inexprimable, par la surface de nous-mêmes nous sommes en continuité avec les autres personnes, semblables à elles, unis à elles par une discipline qui crée entre elles et nous une dépendance réciproque. S'installer dans cette partie socialisée de lui-même, est-ce, pour notre moi, le seul moyen de s'attacher à quelque chose de solide ? Ce le serait, si nous ne pouvions autrement nous soustraire à une vie d'impulsion, de caprice et de regret. Mais au plus profond de nous-mêmes, si nous savons le chercher, nous découvrirons peut-être un équilibre d'un autre genre, plus désirable encore que l'équilibre superficiel. Des plantes aquatiques, qui montent à la surface, sont ballottées sans cesse par le courant ; leurs feuilles, se rejoignant au-dessus de l'eau, leur donnent de la stabilité, en haut, par leur entrecroisement. Mais plus stables encore sont les racines, solidement plantées dans la terre, qui les soutiennent du bas. Toutefois, de l'effort par lequel on creuserait jusqu'au fond de soi-même nous ne parlons pas pour le moment. S'il est possible, il est exceptionnel ; et c'est à sa surface, à son point d'insertion dans le tissu serré des autres personnalités extériorisées, que notre moi trouve d'ordinaire où s'attacher : sa solidité est dans cette solidarité. Mais, au point où il s'attache, il est lui-même socialisé. L'obligation, que nous nous représentons comme un lien entre les hommes, lie d'abord chacun de nous à lui-même. (Henri Bergson, Les deux Sources de la morale et de la religion)
Les entrailles telluriques symbolisent ce qui nous a été transmis depuis la nuit des temps, depuis les premières cavernes préhistoriques où prirent place les rites initiatiques. L’image de la grotte se retrouve dans l’édifice chrétien où l’âme mélancolique languit de la lumière divine et aspire aux retrouvailles d’avec la vie fœtale des Origines. La terre représentée par une divinité féminine symbolise la mère qui enfante et dans les grottes et cavernes utérines de laquelle se répète à l’infini dans le temps et dans l’espace, de l’Orient à l’Occident le retour à la matrice originelle.
Quand l’être saint ou pieux, moine ou ermite, effectue une retraite solitaire dans une grotte, c’est son âme qui l’appelle et l’incite à passer à l’étape ultime pour répondre à la question :
« Qui suis-je ? »
Les cauchemars sont souvent des couleuvres difficiles à avaler permettant la prise de conscience de nos manquements, la douloureuse appréhension de la vérité. Aussi amère que soit la pilule, il s’agit de l’accepter après parfois de longs mois ou des années. L’ombre est cette forme personnifiée de même sexe qui apparaît en rêve, souvenir d’une innocence perdue, mémoire de qualités depuis longtemps disparues avec l’âge adulte. L’ombre devient menaçante lorsqu’elle est ignorée ou méconnue. Invisible, nous la projetons sur les autres en faisant un portrait systématiquement négatif des autres et de leurs intentions. L’inconscient est un labyrinthe parce qu’il offre des possibilités insoupçonnées.
L’animus est la figure masculine menaçante de la femme qui rêve et que symbolise le personnage de Barbe-bleue, la coupant de tout autre contact humain et surtout du contact avec d’autres hommes. Par l’isolement qu’il professe, il personnifie le cocon inviolable tissé de désirs et décrets auxquels la femme se soumet sur la façon dont les choses doivent être. L’animus représente la toile de pensées calculatrices, pleines de malice et d’intrigue qui la portent à souhaiter la mort aux autres ou la paralyse, convaincue dans son for intérieur de sa nullité. Il importe de ne pas se laisser emprisonner par ce dialogue intérieur.
The consequence of my resolve, and my involvement with things which neither I nor anyone else could understand, was an extreme loneliness. I was going about laden with thoughts of which I could speak to no one: they would only have been misunderstood. I felt the gulf between the external world and the interior world of images in its most painful form. I could not yet see that interaction of both worlds which I now understand. I saw only an irreconcilable contradiction between “inner” and “outer”. (Memories, Dreams, Reflections, C.G. Jung)
The actual process of individuation - the conscious coming-to-terms with one's own inner center (psychic nucleus) or Self - generally begins with a wounding of the personality and the suffering that accompanies it. This initial shock amounts to a sort of "call", although it is not often recognized as such. On the contrary , the ego feels hampered in its will or its desire and usually projects the obstruction onto something external. That is, the ego accuses God or the economic situation or the boss or the marriage partner of being responsible for whatever is obstructing it.
…beneath the surface a person is suffering from a deadly boredom that makes everything seem meaningless and empty…One is seeking something that is impossible to find or about which nothing is known. In such moments all well-meant, sensible advice is completely useless – advice that urges one to try to be responsible, to take a holiday, not to work so hard (or to work harder), to have more (or less) human contact, or to take up a hobby. None of that helps , or at best only rarely. There is only one thing that seems to work; and that is to turn directly toward the approaching darkness without prejudice and totally naïvely, and to try to find out what its secret aim is and what it wants from you… All the contents are blurred and merge into one another, and one never knows exactly what or where anything is, or where one thing begins and ends. (Man and his symbols, The process of individuation, M.-L. von Franz, p.166-167)